Véhesse

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mercredi 30 décembre 2015

En lune de miel avec mon frère

Ce livre apparaît à la fin de cette liste. Comme celle-ci n'était pas trop décalée par rapport à mes appréciations, j'ai décidé de tenter la lecture. (Apparemment il n'est pas encore traduit).

L'auteur a été "abandonné (planté?) au pied de l'autel" par sa fiancée. Comme les invités avaient déjà réservés, ils sont venus malgré tout et le frère de l'auteur a organisé à la place du mariage une fête de consolation. De fil en aiguille, les deux frères sont partis pour un tour du monde.
En réalité, le livre n'est pas un récit de voyage très précis. Il présente des vignettes. C'est aussi un livre d'introspection et de découvertes des autres (qui suis-je, qui est mon frère, que veux-je vraiment). C'est à la fois un livre attachant, tonique, qui n'offre pas cependant de grandes découvertes autre que celle de se rendre compte une fois de plus que nous connaissons déjà les lois de la sagesse. Le problème serait plutôt de les appliquer.
At the end of a lasagna dinner on our last night in Banos, Kurt asked Dean if he had any final words of wisdom.
"Do what's right", he answered without pause.
Pow. Simple. Sane. Stronger than a self-help book or a twelve-step program. Dean didn't bother to elaborate. He tore off a chunk of bread knowing there was no room for misinterpretation.
As we left Banos the next morning, Kurt unzipped his bag and grabbed a hotel towel. He stared at it, then threw it on the floor.
"Goddam Dean", he said. "I won't be able to lift anything from hotel again".

Franz Wisner, Honeymoon with my brother, vers la fin du chapitre 19


A la fin d'un dîner de lasagnes lors de notre dernière nuit à Banos, Kurt demanda à Dean s'il avait un ultime précepte de sagesse.
«Faites ce qui est juste» répondit-il sans marquer de temps de réflexion.
Pouh. Simple. Sage. Plus sûr qu'un livre de self-help ou un programme en douze étapes. Dean ne prit pas la peine de développer. Il rompit un morceau de pain, sachant qu'il n'y avait aucune confusion possible.
Alors que nous quittions Banos le matin suivant, Kurt ouvrit son sac et attrapa une serviette de toilette de l'hôtel. Il la fixa puis la jeta à terre.
«Maudit Dean, dit-il. Je ne vais plus arriver à emporter quoi que ce soit des hôtels».
Le voyage se termine en Afrique, le continent réputé pour être le plus dur aux voyageurs. L'auteur résume ses conclusions :
In fact, if you limited me to just one adjective to describe the world, I'd use poor.
[…] They'd [American children] recognized that poverty doesn't automatically equate unhappiness. Some of the biggest smiles we've seen have been in areas where people have the least.

Ibid, vers la fin du chapitre 25


En fait, si vous me demandiez de décrire le monde en un mot, je répondrais: pauvre.
[…] [Les enfants américains qui viendraient ici] apprendraient que pauvreté ne signifie pas automatiquement tristesse. Certains des plus larges sourires que nous avons vus venaient des endroits où les gens possèdaient le moins.
Enfin, je ne résiste pas au plaisir de transcrire cette conversation, qui me fait penser à H. refusant d'aller dans le Bronx ou aux gens nous disant de ne pas vadrouiller seuls à la Nouvelle Orléans.
In Kenya, we decided we needed a movie fix. Kurt opted for AH, while I went to Training Day, with a plan to meet in the lobby afterward. After Denzel's downfall, I finished my popcorn by the door and started to chat with a couple of Kenyans who'd seen the film. No way they'd go to the United States, they said. Too dangerous. Too many killings on the streets. Here we were in Nairobi, one of the most crime-ridden cities of the planet, and thes guys were petrified about Nebraska, Graceland, Highway 1, and the rest of America, thanks to Hollywood. I tried to explain it wasn't all that bad, but ended up confusing everyone. Including me.
"Sure, we have a lot of crime, but mostly it's centered in certain areas."
"Same as here."
"Here seems much more dangerous".
"How can it be? We have knives. You have expensive guns."

Ibid, vers la fin du chapitre 25


Au Kenya, nous avons décidé que nous avions besoin d'une dose de cinéma. Kurt choisit AH et moi Training day, avec l'intention de nous retrouver dans le hall après la séance. Après la chute de Denzel, je finis mon popcorn à la porte et commença à discuter avec un couple de Kenyans qui avaient vu le film. Rien au monde ne les ferait aller aux Etats-Unis, disaient-ils. Trop dangereux. Trop de meurtres dans les rues. Nous étions ici à Nairobi, l'une des villes de la planète la plus dévastée par le crime, et ces gens étaient terrorisés par le Nebraska, Graceland, la Highway 1 et le reste de l'Amérique grâce à Hollywood. Je tentai d'expliquer que ce n'était pas si terrible, mais finis par embrouiller tout le monde. Moi compris.
«Bien sûr, il y a beaucoup de crimes, mais en grande partie concentrés dans quelques quartiers.
— Pareil ici.
— Ici, ça paraît beaucoup plus dangereux.
— Difficile à croire. Nous avons des couteaux. Vous avez des armes à feu hors de prix.»

dimanche 13 décembre 2015

Les livres «morts»

Schechter partit pour Le Caire en décembre 1896, dès la fin du premier semestre universitaire, muni d'une lettre d'introduction du grand rabbin de Londres, Hermann Adler, au grand rabbin du Caire, Aaron Raphaël Ben Shim'on. Une fois sur place, il dut passer de nombreuses heures, voire des journées entières, à fumer des cigarettes en sirotant du café en compagnie du grand rabbin jusqu'à ce que celui-ci le récomprense de sa patience en lui accordant sa confiance et en l'emmenant à la synagogue Ben Ezra, la plus ancienne du Caire1. A l'extrémité d'un passage couvert, Schlechter aperçut une ouverture en hauteur dans un mur à laquelle seule une échelle permettait d'accéder. Schechter, en y montant, aperçut de quoi faire frissonner d'enthousiasme un érudit de sa trempe: une «salle sans fenêtres et sans portes de belles dimensions» remplie d'un fatras de livres et de papiers, de manuscrits et de textes imprimés, abandonnés là sans ordre depuis plus de huit siècles. Il venait de découvrir, comme il s'y attendait d'ailleurs à moitié, une gueniza.

Le mot «gueniza», expliquerait Schechter dans une lettre au Times, «vient du verbe hébreu "ganaz" et signifie cachette ou trésor. C'est un peu l'équivalent pour les livres de la tombe pour les hommes. C'est un peu l'équivalent pour les livres de la tombe pour les hommes. Quand l'esprit qui les habite les quitte, nous enfouissons les corps afin de leur épargner toute injure. De même, quand un écrit ne sert plus à rien, nous le mettons à l'abri pour lui éviter d'être profané2».

Une loi juive interdit la destruction du moindre document contenant les quatre lettres du saint nom, le tétragramme. Dans la plupart des cas, on enfouit sous terre, à la manière des restes humains, les documents en question qui, sous les climats humides, ne tardèrent pas à se décomposer. Dans les pays chauds et secs, les guenizot consistaient parfois en simples cavers ou en jarres, où les documents demeuraient intacts pendant des années, voire des siècles, comme à la synagogue Ben Ezra du Caire.

Les guenizot recevaient, outre les livres «morts», des ouvrages en mauvais état, dont certaines pages manquaient, ou «en disgrâce» parce que leur contenu ne semblait pas tout à fait orthodoxe. Au fil du temps, n'importe quel document écrit dans la langue sacrée, qu'il s'agît d'une chanson d'amour ou à boire, d'un testament ou d'un contrat de mariage, pouvait échouer dans une gueniza. Depuis huit siècles, l'ouverture en hauteur dans le mur de la synagogue Ben Ezra servait en quelque sorte de dépotoir aux écrits hébreux dont la communauté juive du Caire ne voulait plus.

Schechter décrivit aux lecteurs du Times la salle plongée dans la pénombre en des termes que n'aurait pas reniés Darwin:
«C'est un champ de bataille de livres où se sont affontées les œuvres de bien des siècles et om ne gisent plus que des feuilles éparses. Certains combattants ont péri sur le coup et sont tombés en poussière à l'issue d'une terrible lutte pour leur espace vital tandis que d'autres s'entassent en monceaux informes, impossibles à détacher les uns des autres sans endommager irrémédiablement les textes, même en s'aidant d'un produit chimique. Dans leur état actuel, ces monceaux de papiers présentent de curieuses associations: il arrive ainsi qu'on découvre un extrait d'un ouvrage de science niant l'existence des anges ou du diable, attaché à une amulette où ces mêmes êtres (surtout le diable) sont priés de bien se tenir et de ne pas s'opposer à l'amour de Miss Yair pour on ne sait plus qui3

Janet Soskice, Les aventurières du Sinaï, p.271-272, JC Lattès 2010 - traduction Marie Boudewyn



Notes:
1 : Stefen Reif, A Jewish Archive from Old Cairo (Richmond, 2000), p.19.
2 : Cf. le Times du 3 août 1897.
3 : Ibid.

mardi 1 décembre 2015

Paul Claudel

Mardi 9 avril 1946

Placé à la gauche Paul Claudel, lors d'un déjeuner organisé par Pierre Brisson, au Ritz, en son honneur, je suis amené à défendre le Stendhal du Rouge et de la Chartreuse, et le Flaubert de l'Education, qu'il traite superbement d'imbéciles et d'impuissants. il explique comment l'auteur du Rouge et le Noir a amoindre et édulcoré la véritable aventure de Brangues à laquelle il emprunta le sujet de son roman. «En somme, c'est Le Rose et le Noir», interrompt le professeur Mondor. A propos de Stendhal, toujours, Claudel se lance dans une charge violente contre l'introspection affirmant que l'homme est ce qu'il fait, non ce qu'il pense. Je ne peux m'empêcher de dire: «C'est aussi ce que Sartre prétend…», interruption qui fait rire toute la table (surtout mon père et Henri Mondor) et le rend visiblement furieux.
Paul Claudel, si curieux que cela puisse paraître, n'a pas du tout l'air de cet «académicien malgré lui» dont on a parlé. Un surcroît d'orgueil illumine au contraire son beau visage de vieux pontif-paysan. «On voit l'importance de cette Académie tant vilipendée à la joie de ceux qui y entrent», me dit ensuite mon père.
L'exultation de Mondor n'était en effet dépassée que par celle de Claudel. Et pourtant, Claudel…
Il déchire à belles dents hommes et choses avec l'alacrité joyeuse et sans remords du génie, sa forte mâchoire semblant broyer les mots qu'il prononce. Il ne s'attendrit que sur le Japon, dont James de Coquet, qui en revient, raconte les immenses destructions. Moins sourd que je ne le pensais, avec un visage que les contorsions et les rictus ne réussissent pas à rendre méchant.

Claude Mauriac, Aimer de Gaulle, p.275-276 - Grasset, 1978

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