Billets pour la catégorie Adams, Douglas :

Préparer un thé

C'est aujourd'hui towelday, journée d'hommage à Douglas Adams, écrivain de science-fiction mort le 11 mai 2001.

Je mets en ligne l'un de mes passages préférés: le héros, un terrien exilé sans espoir de retour puisque la Terre vient d'être détruite, fatigué de boire la lavasse livrée par le distributeur de boisson du vaisseau spatial qui l'a sauvé, explique à celui-ci ce qu'est le thé.
Mais que veut dire expliquer le thé? Eh bien, cela consiste à le raconter, et cette idée m'enchante: un terrien dernier de sa race raconte le thé à une machine pour essayer de lui en faire comprendre l'essence. Il me semble qu'on touche là au mystère du langage: cela serait-il possible, d'expliquer le thé?

«Non! dit-il. Ecoute: c'est très simple... tout ce que je veux... c'est une tasse — de — thé. Tu vas m'en préparer une. Sois sage et écoute bien.»
Alors il s'assit. Et il parla au Nutri-Matic de l'Inde, il lui parla de la Chine, il lui parla de Ceylan. Il lui parla de grandes feuilles séchant au soleil. Il lui parla de théières en argent. Il lui conta les après-midi d'été sur le gazon. Il lui conta comment on versait le lait en premier pour éviter qu'il ne soit ébouillanté. Il lui raconta même (brièvement toutefois) l'histoire de la Compagnie des Indes orientales.
«Alors c'est donc ça, n'est ce pas?» dit le Nutri-Matic quand il eut terminé.
«Oui, dit Arthur, c'est ce que je veux.
— Vous voulez un goût de feuilles séchées bouillies dans l'eau?
— Euh... oui. Avec du lait.
— Giclé d'une vache?
— Eh bien, enfin, c'est une façon de parler, oui, je suppose.
— Là, je vais avoir besoin d'un coup de main pour ce dernier truc», dit la machine, laconique. C'en était fini des murmures joviaux, le ton était à présent affairé.
«Eh bien, si je peux t'aider..., proposa Arthur.
— Vous en avez fait bien assez», l'informa le Nutri-Matic. Qui prévint l'ordinateur de bord.
«Salut tout le monde!» lança l'ordinateur de bord.
Le Nutri-Matic expliqua son histoire de thé à l'ordinateur de bord. L'ordinateur marqua son ahurissement, coupla ses circuits logiques avec ceux du Nutri-Matic et, de concert, ils s'enfermèrent dans un sombre mutisme.
Arthur regarda et patienta quelques temps mais rien ne se produisit.
Il tapa sur la machine mais il ne se produisit toujours rien.
Au bout du compte, il abandonna et monta faire un tour sur le pont.

Douglas Adams, Le Dernier Restaurant avant la fin du monde, p.21-22

Pendant que les ordinateurs réfléchissent, le vaisseau est attaqué et n'échappe à la désintégration que par hasard, les machines ne répondant plus («mourir pour une tasse de thé»). Un ami et un robot se volatilisent sans explication. Et quelques pages plus loin:

Dans la fente distributrice du synthétiseur de boisson Nutri-Matic se trouvait un petit plateau sur lequel étaient posés, sur leur soucoupe, trois tasses en porcelaine de Chine, un pot de lait en porcelaine, une théière d'argent emplie du meilleur thé qu'Arthur ait jamais eu l'occasion de goûter et un petit billet sur lequel était inscrit: «Un instant, s'il vous plaît».

Ibid, p.36


La traduction bêtifie beaucoup, il vaut mieux le lire en anglais. D'autre part, la lecture est un peu pénible, car il s'agit de la transcription de pièces radiophoniques: chaque chapitre se termine sur un suspense insoutenable, puis la crise se résout de façon tout à fait rocambolesque, et cet illogisme perpétuel (la logique des probabilités, selon Adams) est un peu agaçant à la longue.
Mais il y a de merveilleuses trouvailles et c'est très drôle.

Quarante-deux

Un ami vient de me rendre un livre dont je ne me souvenais même plus qu’il m’appartenait (A lire les livres avant de les offrir, je m’y perds un peu).
Et donc, voici, Le dernier Restaurant avant la fin du monde, p.206 et suivantes:

« Sacrés pauvres bougres d’hommes des cavernes, dit Arthur.
— Ce ne sont pas des…
— Quoi ?
— Oh ! Laisse tomber ! »
La misérable créature laissa échapper un hurlement pathétique et frappa du poing un rocher.
« Un beau gâchis de temps pour eux, non ? dit Arthur.
— Uh uh urghhhh », grommela l’autochnone en frappant derechef le rocher.
« Se faire éliminer par une bande de désinfecteurs de téléphones !
— Urgh, grrrr, grrrr, gruh ! » insista l’autochtone en continuant de marteler le rocher.
« Mais pourquoi tape-t-il tout le temps sur ce rocher ? dit Arthur.
— Je pense qu’il veut sans doute que tu reprennes ta partie de Scrabble avec lui : il te montre les lettres.
— Il m’aura encore écrit crzjggrdwldiwdc, le pauvre bougre. Je n’arrête pas de lui répéter que crzjgrdwldiwdc ne prend qu’un seul g. »
L’autochtone persistait à taper sur le rocher.
Ils regardèrent par-dessus son épaule.
Les yeux leur sortirent de la tête.
Là, parmi le fouillis de lettres éparpillées, se trouvait un aligenment parfaitement net.
Un alignement qui formait deux mots.
Et ces deux mots étaient les suivants :
QUARANTE-DEUX.

« Grrurgh guh guh », expliqua l’autochtone. Il balaya les lettres avec colère puis partit bouder sous un arbre proche avec son collègue.
Arthur et Ford le contempèrent. Puis se dévisagèrent mutuellement.
« Est-ce que tu as lu ce que j’ai cru y lire ? se demandèrent-ils en chœur.
— Oui, répondirent-ils à l’unisson.
— Quarante-deux, dit Arthur.
— Quarante-deux », dit Ford.
— Arthur se rua vers les deux autochtones : « Quest-ce que vous essayez de nous dire ? hurla-t-il. Qu’est-ce que c’est censé >signifier ? »
Le premier se roula par terre, battit des jambes, roula de nouveau puis s’endormit.
Le second grimpa dans l’arbre et commença à balancer sur Ford Escort des marrons d’Inde. S ‘ils avaient quelque chose à dire, manifestement ils l’avaient déjà dit.
« Tu vois ce que cela veut dire, dit Ford.
— Pas totalement.
— Quarante-deux est le chiffre que Compute-Un nous a fourni comme étant la réponse ultime.
— Voui.
— Et la Terre est l’ordinateur que Compute-Un a conçu puis fabriqué pour calculer la question fondamentale à cette Réponse ultime.
— C’est ce que nous avions cru comprendre, oui.
— Et la vie [etc] »

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