Le compte-rendu plus qu'exhaustif est chez sejan.

Peut-on ne pas raconter sa vie?
Ricœur
Galen Strawson : deux thèses: la thèse psychologique, descriptive (nous vivons la vie comme un récit) et la thèse éthique, prescriptive (Vis ta vie comme un récit.)

Cela rejoint Sartre dans La Nausée. C'est la théorie de Roquentin: l'être humain cherche à vivre sa vie comme s'il la racontait mais il faut choisir: vivre ou raconter. Si le récit intervient avant la vie (l'essence avant l'existence), il y a alors "mauvaise foi" (sartrienne): on abandonne sa liberté, qui est l'éventail des possibles à tout instant.
Sartre est contre cette thèse d'un récit précédant la vie. La liberté fait que l'existence est ce qui nous affranchit du récit.

La Nausée propose une autre théorie du récit, qui est celle d'Anny. C'est une vie discontinue, qui ne reprend que les moments privilégiés pour former un récit poétique.

La thèse psychologique implique donc un jugement éthique: vivre sa vie comme un récit, c'est bien ou c'est mal. Pour Sartre (La Nausée, Les Mots), c'est mal.
Mais il est possible de penser l'inverse: pour bien vivre, il faut concevoir sa vie comme un récit. La thèse éthique est une ascèse, ainsi que l'exprime Michel Foucault dans une lettre: le récit de vie implique la maîtrise de soi.
Ou comme disait Cicéron, «s'il ne se passe rien, écris pour le dire».

Paul Ricœur a lui aussi introduit une dichotomie, entre identité idem et identité ipse. L'identité idem (sameness), ou mêmeté, pour la continuité du récit de vie, plutôt du côté de la thèse psychologique, et l'identité ipse (selfness), l'ipséité, le propre de la personne à travers son nom.

Aujourd'hui on tend à rassembler les deux façons de voir: seule la narration assure la coïncidence des deux identités, le moi continu, diachronique, et le moi discontinu, épisodique.

Il s'agit de la vieille querelle entre Bourget et Thibaudet. Bourget en tenait pour un roman composé, avec un début, un milieu, une fin, avec pour modèle La princesse de Clèves. C'est la définition du romanesque.
Thibaudet préférait le roman déposé, le récit épisodique, qui gonfle et déforme le roman de l'intérieur. L'exemple en est L'Education sentimentale.

Donc une vie vécue comme un roman ne veut pas dire la même chose selon qu'il s'agit d'un roman déposé ou composé.

Montaigne, Stendhal, Proust, les trois auteurs apparaissant dans le titre du cours cette année: auteurs "épisodiques". Ils montrent un moi discontinu.
Contre-exemples (les moments où le moi est continu): les moments de la honte (la honte arrête le temps). Exemple du vol du ruban chez Rousseau: la honte reste brûlante des années après, comme si elle datait de la veille.

Stendhal est un auteur qui ne connaît pas la honte, ainsi qu'on le voit dans Vie de Henri Brulard. Il s'agit d'un récit de vie épisodique, avec des événements contradictoires. Jamais de honte, car à tout moment, il s'agit d'un autre moi que le moi précédent.