Billets pour la catégorie Borel, Marie :

A venir : Double Change - Chris Tysh et Marie Borel le 19 juin

Je n'ai pas fait de publicité pour Renaud Camus à l'Ircam, (j'ai oublié et je suppose toujours que les lecteurs de ce blog connaissent la SLRC), je vous invite à venir écouter Marie Borel (amie de Renaud Camus, ayant publié Les animaux de personnes avec Jacques Roubaud) au point éphémère.

Vendredi 19 juin 2009 de 19:00 à 20:30,
au Point éphémère, 200 Quai de Valmy - Paris, 10e.

Voir ici Priorité aux canards et Le Monde selon Ben.

Le monde selon Ben, par Marie Borel

Le héros du second livre de Marie est un ours en peluche, un ours beige foncé d'une quarantaine de centimètres, à poils courts un peu feutrés.
C'est un livre de poésie (les lignes sont découpées en vers), les pages sont numérotées, les photos couvrent une page, il peut y avoir jusqu'à trois pages de photos de suite.

Cela n'est pas aussi enfantin, ou ludique, ou puéril, qu'il le semble au premier abord. En réalité, et paradoxalement, de retournement en retournement, ces photos donnent une étrange gravité au texte.

L'œil effleure les photos et se précipite sur le texte. Un poème, deux poèmes… Quels textes étranges, plutôt philosophiques, peut-être mathématiques, écrits du point de vue de Ben qui ne dit pas "Je". Non, "je", c'est Marie, c'est l'auteur. Mais parle-t-elle d'elle-même, pour elle-même ou imagine-t-elle ce que pense l'ours? Rien n'assure que le "je" soit stable, il glisse sans cesse silencieusement, de façon insaisissable.
Infini

contrairement à Ben pour qui le temps est infini
le temps file entre mes doigts comme le sable et les étoiles
la rivière la mer l'océan à contretemps
persévère cher Filoteo persévère
de l'infini de l'univers et des mondes
il n'y a pas plus loin de la Terre à la Lune que de la Lune à la Terre

Ben et moi océaniques à jars sur Mer Saint Jean des Monts Hudaibo
cévenols rebelles à Saint Guilhem du Désert
docteurs à Petit Bordel Baie Saint Vincent
and the Grenadines Balata Camp et Sana'a
nous sommes nés seuls au monde dans un univers courbe et non fini
[…]

Marie Borel, Le monde selon Ben, "Infini", p.14, troisième poème
Troisième poème, une page de sommaire, soit quatre pages. Troisième poème page 14: dix photos l'ont donc précédé. Sans les photos, ces poèmes seraient d'un sérieux un peu bête. En vis-à-vis d'une photo d'ours en pleine page, c'est le lecteur qui se sent un peu bête: à quel niveau faut-il lire ces poèmes?
Un ours en peluche nous contemple et médite.
Le lecteur reprend la première page et regarde les photos:
1/ L'ours est assis sur un siège d'avion, la compagnie est yéménite.
2/ L'ours regarde la campagne de la fenêtre d'un TGV. Entre ses pattes, une affiche rouge, qu'on voit comme par hasard, annonce: "le mariage du siècle". (Et comme j'ai l'impression que Marie a changé de nom, je me demande s'il s'agit de son mariage: private joke?)
3/ L'ours est encore à une fenêtre, dans un paysage rocailleux. Le volet en bois est ouvragé. Espagne ou Yémen?
4/ En bus. Est-ce à Londres? (on aperçoit des taxis caractéristiques par la lunette arrière).
5/ Ben dans les bras de Marie qui dort, contre ce qui paraît être un siège d'avion. Mais ce n'est pas un hublot, à l'arrière-plan: un car?

Etc. : ainsi, toutes ses photos sont des photos de voyage, de lieux lointains ou de moyens de transport (ce n'est pas une règle absolue, cela changera dans le feuilletage des pages ultérieures). Ce livre pose un problème de lecture, un problème d'interprétation. Il serait fumeux et prétentieux sans les photos. Avec les photos, il est mystérieux: quels liens tissent les textes et les images? Pourrait-on adjoindre des photos d'ours en peluche à tous les textes philosophiques? (car c'est décidément philosophique: espace et temps, être, conscience, langage) Non, sans doute non. Là, "ça marche", un sens émerge, un équilibre fragile est créé, entre gravité et éphémère: «c'est sérieux mais ce n'est pas grave», ou l'inverse.

Ce qui change, ainsi que le dit explicitement l'extrait ci-dessus, c'est que le temps n'existe pas pour un ours en peluche. Le temps est infini et Ben est éternel. Il est le témoin absolu. Il ne lui reste que l'espace, comme le mettent en scène les photos de voyage, de lieux changeants. Dans cet espace les mots résonnent longtemps, ne s'éteignent pas.
C'est un étrange livre de poésie, aux frontières mal définies. Je n'aurais jamais cru que des photos d'ours en peluche en face de textes pouvaient ainsi en déstabiliser, en décaler, la lecture.

Priorité aux canards, de Marie Borel

Samedi m'attendaient dans ma boîte aux lettres deux plaquettes de poésie de Marie Borel (voir vers le milieu du billet).

Commençons par le plus petit (la photo est presque à taille réelle).


2008-0904-prioriteauxcanards.jpg

Les textes sont courts, une grande importance est accordée aux prénoms, nombreux. Il n'y a pas de numéro de page, on se perd, on recommence, on ne sait plus si on a déjà lu telle page, on se perd, on recommence.
Je me méfie désormais de mon goût des mots qui sonnent, des paradoxes. Je me méfie de mon goût du sens. Il y en a, qui affleure, et puis il n'y en a pas, ou plutôt, il n'y a du sens que localement. Pour le reste, il y a des canards, des prénoms qui ont l'allure de noms de chevaux de course, quelques hommes, beaucoup d'animaux et souvent l'envie de rire, sans que l'on sache bien pourquoi.
[…] Il est vrai qu'à la question vitale pourquoi tu n'as pas fait peintre pas de réponse. Et réciproque ta Jérusalem absente. Contre ton absence l'art lui-même n'est pas de taille à n'exiger rien. Je mange un artichaut à trois heures du matin avec un garçon qui comprend vite.
Peut-on apprendre la marche arrière aux escargots afin de renforcer leurs capacités évolutives.

Marie Borel, Priorité aux canards, fin d'une page vers le milieu du livre
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