Billets pour la catégorie Borgès, Jorge Luis :

Le Zahir est une monnaie courante

Note préparatoire à la lecture de la note 9 du chapitre III de L'Amour l'Automne (p.158-161)
Dans la figure oxymoron, on applique à un mot une épithète qui semble le contredire; c'est ainsi que les gnostiques ont parlé de lumière obscure, les alchimistes, d'un soleil noir. Sortir de ma dernière visite à Teodelina Villar et prendre un verre dans un bistrot était une espèce d'oxymoron; je fus tenté par sa rusticité et son accès facile (le fait que l'on jouât aux cartes augmentait le contraste). Je demandai une orangeade; en me rendant la monnaie, on me donna le Zahir; je le contemplai un instant; je sortis dans la rue, peut-être avec un début de fièvre. Je pensai qu'il n'y a point de pièce de monnaie qui ne soit un symbole de celles qui sans fin resplendissent dans l'histoire et la fable. Je pensai à l'obole de Caron; à Judas; aux drachmes de la courtisane Laïs; à la pièce ancienne qu'offrit l'un des Dormants d'Éphèse; aux claires pièces de monnaie du sorcier des Mille et Une Nuits, qui par la suite n'étaient que cercles de papier; au denier inépuisable d'Isaac Lequedem; aux soixante mille pièces d'argent, une pour chaque vers d'une épopée, que Firdusi restitua à un roi parce qu'elles n'étaient pas en or; à l'once d'or que fit clouer Achab sur le mât; au florin irréversible de Léopold Bloom; au louis dont l'effigie trahit, près de Varennes, Louis XVI en fuite.

[…]

[…] Selon la doctrine idéaliste, les verbes vivre et rêver sont rigoureusement synonymes […]

Jorge Luis Borgès, «Le Zahir», in L'Aleph

Présence

Je continue à faire semblant de n'être pas aveugle, je continue à acheter des livres, à en remplir ma maison. L'autre jour on m'a offert une édition de 1966 de l' Encyclopédie de Brockhaus. J'ai senti la présence de cet ouvrage dans ma maison, je l'ai sentie comme une espèce de bonheur. J'avais là près de moi cette vingtaine de volumes en caractères gothiques que je ne peux pas lire, avec des cartes et des gravures que je ne peux pas voir; mais pourtant l'ouvrage était là. Je sentais comme son attraction amicale. Je pense que le livre est un des bonheurs possibles de l'homme.

Borgès, Conférences, "le livre", Folio 1985, p.156

Courtoisie

Vingt-trois mille ans de courtoisie (dont certains mythologiques) avaient compliqué d'angoissante façon le cérémonial de bienvenue.

Jorge Luis Borges, Histoire universelle de l'infamie, "Le peu civil maître de cérémonie Kotsuké No Suké", p.72

Edgar Allan Poe

« Avec lui commence l'histoire de la littérature policière. Edgar Allan Poe a non seulement créé le récit policier mais aussi le lecteur de récit, c'est-à-dire méfiant, soupçonneux à l'égard de ce que l'auteur écrit. »

Jorge Luis Borges

Pour une défense du roman policier

Citations mises en ligne par Jean-Marc Bonnet:

On notera que plusieurs auteurs "majeurs" ont donné ses lettres de noblesse au roman policier.

Le plus attendu sur ce thème est Borges, qui écrivait :

Une chose est certaine et parfaitement évidente : notre littérature tend vers le chaos. La tendance est au vers libre parce qu'il est plus facile à faire que le vers régulier qui, à vrai dire, est fort difficile. On a tendance à supprimer les personnages, les arguments, tout est très vague. A notre époque si chaotique, une chose modestement a gardé ses vertus classiques : c'est le roman policier. On ne conçoit pas, en effet, un roman policier qui n'ait pas un commencement, un milieu et une fin. Je dirai pour défendre le roman policier qu'il n'a pas besoin d'être défendu...


De même, Gide, qui était par ailleurs un grand amateur de Simenon, notait dans son journal :

Lu avec un intérêt très vif (et pourquoi ne pas le dire avec admiration) Le Faucon maltais de Dashiell Hammett dont j'avais déjà lu, mais en traduction, l'étonnante Moisson rouge (...). En langue anglaise, ou du moins américaine, nombre de subtilités des dialogues m'échappent ; mais dans La Moisson rouge, ils sont menés de main de maître et en remontrent à Hemingway ou à Faulkner même, et tout le récit est conduit avec une habileté et un cynisme implacables...


Et, beaucoup plus surprenant, Somerset Maugham déclarait :

Il se peut, lorsque les historiens de la littérature viendront à examiner la fiction produite au cours de la première moitié de ce siècle qu'ils passent assez légèrement sur les compositions des romanciers "sérieux", pour tourner leur attention vers les réussites immenses et variées du roman policier... Ils se tromperont lourdement s'ils se contentent de l'attribuer aux progrès de l'alphabétisation qui aurait créé une masse considérable de nouveaux lecteurs, avides mais sans éducation ; ils seront obligés de reconnaître que le roman policier était aussi lu par des hommes de savoir et des femmes de goût. Je propose une explication toute simple : les auteurs de romans policiers ont une histoire à raconter et ils la racontent avec concision...

Les billets et commentaires du blog vehesse.free.fr sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.