Tandis que commençait le colloque des Invalides (le XIXe), je pensais à cette phrase de Micheline Tison-Braun: «La critique universitaire consiste en grande partie à mettre les farfelus à la portée des innocents.» Quelque chose de ce genre se joue ici: ce colloque consiste à mettre les farfelus dans la même pièce, en laissant l'entrée libre aux innocents de ma sorte.

Le programme est ici, le thème de cette année était "Oubliettes et Revenants" ou les fluctuations de la gloire et la reconnaissance littéraire. Trois vidéos sont en ligne (1, 2, 3) et le texte de l'intervention d'Elisabeth Chamontin est ici.

Ces vidéos vous permettront d'attendre la sortie des actes aux éditions du Lérot.


En attendant, voici quelques anecdotes (je n'ai pris que quelques mots en notes, sachant que tout était filmé), toutes retrouvables dans les vidéos.

Lors de la première discussion (trois à quatre intervenants exposent leurs travaux, puis la salle discute un quart d'heure à vingt minutes. Ce qui est impressionnant, c'est qu'alors qu'on a l'impression que l'intervenant vient de parler d'un parfait inconnu, toute la salle paraît connaître celui-ci — sauf vous (les farfelus et l'innocent))— lors de la première intervention, donc, Françoise Gaillard rappelle l'heureux temps où les recherches ne se faisaient pas sur internet mais à la bibliothèque Richelieu et que le chercheur était à la merci des erreurs des manutentionnaires qui vous apportaient les livres.
C'est ainsi qu'elle a eu entre les mains la brochure d'un chimiste de génie : il avait découvert la formule de l'odeur de sainteté, et même des odeurs de sainteté, celles-ci variant d'un saint à l'autre (ce qui paraît logique quand on y pense).
J'ai cru comprendre que ce chimiste avait déposé un brevet. Qu'attend-on pour fabriquer ce précieux parfum?

L'intervention de Bérengère Levet porte sur Adolphe d'Ennery. D'une certaine manière nous lui devrions Proust puisque c'est lui qui a développé Cabourg et les bains de mer. Nous lui devons également la thématique des deux orphelines, tant exploitée par le cinéma et le théâtre américain. C'était un homme très fin, nous dit-on, qui prenait garde de trop faire état de sa finesse. Il avait épousé une fort belle actrice qui le surveillait jalousement. On rapporte l'échange suivant au sortir du théâtre ou d'un salon, alors que son épouse vieillissante l'apostrophait ainsi:
— Viens donc, vieux cocu!
— Plus maintenant.

Dans la salle se tenait le président de l'association des amis d'Adolphe d'Ennery, un tout jeune homme très proustement vêtu. L'association n'a que cinq mois d'existence et déjà dix adhérents venus spontanément, sans aucune publicité. A bon entendeur…
(Ceci sera l'occasion pour Michel Pierssens1 de dire plus tard à propos de Georges Ohnet : «il n'existe pas d'association, sinon le président serait dans la salle».)

David Christoffel émettra l'hypothèse (très entre autres) que le mari d'Angela Merkel soit le dernier avatar en date du fantôme (d'un des fantômes) de l'opéra (puisqu'on l'aperçoit parfois accompagnant sa femme à des représentations de Wagner).

Laure Darcq plaidera pour la redécouverte du "vrai" Peladan, Joséphin de son prénom, écrasé par l'image du Sar Peladan, rosicrucien.

Eric Walbecq nous présente un livre trouvé par hasard aux puces, L'homme-grenouille de Max Lagrange: un livre de nouvelles fantastiques sur des phénomènes de foire. (Typiquement un livre pour Tlön.)
En poursuivant ses recherches, Walbecq a trouvé un autre livre de Lagrange: Carnet secret de l'amour à Paris, recueil de petites annonces avec lexique des abréviations.

Le mot le plus long de la langue française est dévoilé par Paul Scheebeli : la peur du chiffre 666 (hexakosioihexekontahexaphobie). Il y a quelques autres mots très longs, à chercher en particulier du côté de Rabelais.

Aude Fauvel nous présente l'autre Mae West, la Mae West inconnue, celle qui écrivait ses textes, peu traduits car caractéristiques d'un certain langage et d'une certaine Amérique. Elle fut scandaleuse dans ses attitudes mais aussi (ou surtout: le premier scandale permettant aux censeurs de mieux dissimuler le second) par ses combats d'avant-garde, les droits des femmes, des noirs, des homosexuels. Le code Hays qui prit effet à la fin de la prohibition, un puritanisme chassant l'autre, a été écrit sur mesure contre elle. (A l'époque, elle était la deuxième personne la mieux payée des Etats-Unis.)
Soit la phrase de Che Guevara : «la révolution c'est comme une bicyclette, si elle n'avance pas elle tombe». Remplacez "révolution" par "sexe" et c'est une citation de Mae West. Che Guerava le savait-il, est-ce une citation malicieuse ou inconsciente?
Aude Fauvel nous raconte que ce code tomba progressivement en désuétude à partir de 1965, à la suite d'un film de Sydney Lumet (La colline des hommes perdus?) dans lequel une poitrine dénudée ne fut pas censurée: c'était une poitrine noire, cela ne "comptait" pas…
Les cinéastes s'engouffrèrent dans la brèche et le code fut aboli peu après.

Liste d'auteurs publiée par Breton et Aragon, établie par vote : Lisez, ne lisez pas.




Note
1 : Je n'ai pas osé lui dire combien j'étais heureuse de croiser en chair et en os l'auteur de La tour de babil.