Thomas Bidegain, scénariste dans le civil - la lutte contre le tabagisme est une guerre - a arrêté de fumer en 2005 et tenu le journal de son combat et de sa victoire, dont il n'est pas convaincu qu'elle en soit une. Des phrases courtes, incisives, où l'autodérision voisine avec la critique d'une société qui impose ses normes. Et beaucoup d'illustrations : fumeurs de cinéma, publicités pour des cigarettes et affiches de prévention, alternativement.

«Pourquoi arrêter de faire quelque chose que je fais si bien?», se demande l'auteur à treize jours du début de son sevrage. Et de décrire le geste des doigts, l'expulsion de la fumée en volutes rêveuses, l'arrachage du filtre «d'un coup de dents viril». «Et qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire à la place?», s'interroge-t-il. La référence de notre fumeur, c'est Clint Eastwood dans les westerns de Sergio Leone. «Le sevrage est une expérience solitaire, silencieuse (...) On prend la décision de souffrir. Et on souffre. Si on s'y tient, on finit même par avoir le sentiment de se rapprocher de Clint Eastwood.» Mais d'ajouter, on est à J-8 : «Sauf que Clint Eastwood, la pression de la société, l'addiction à la nicotine, la peur du cancer, l'haleine lourde, la loi Evin, le prix du paquet, il s'en fout. Il fume des cigarillos. (...) L'arrêt du tabac est donc une décision à la Clint Eastwood, mais que Clint Eastwood ne prendrait jamais.»

Même si on n'est pas un fumeur repenti, on peut compatir aux angoisses et aux hésitations de l'Eastwood français, en tout cas en sourire. Il se demande combien des défis qu'il s'est lancés il a pu tenir (aucun). Il relativise les sept ans de vie théoriquement gagnés : sept ans de la fin de la vie, «de quand on a mal partout et qu'on n'entend plus très bien, de quand on ne fait plus l'amour et qu'on perd la mémoire») (J-3). Il est impressionné par les tabacologues, dont «l'épée du savoir tranche le doute»: «Ils disent: "Vous allez souffrir." On souffre. "Mâchez du chewing-gum." On mâche. "Vous allez prendre du poids." On grossit. Ce sont des scénaristes de film d'horreur.» (J-3) Il décide de ne pas parler aux autres de sa décision d'arrêter (J-1). Il imagine faire fortune en créant dans les restaurants une troisième zone, pour les ex-fumeurs, «avec des menus minceur, des gants de boxe et des couteaux à bouts ronds» (J+2). Il essaye de se concentrer pour écrire mais n'y arrive pas (J+5). Il change d'avis et essaie de partager sa douleur avec tout le monde, mais «l'enfer, c'est pas tellement les autres, c'est surtout toutes les conneries qu'ils peuvent dire» (J+5). Il n'essaie plus de faire autre chose car «arrêter de fumer est un travail à plein-temps» (J+6). Il s'aperçoit que tout le monde est en train d'arrêter de fumer et cela le frustre: «Si tout le monde y arrive, ça devient quoi, mon exploit?» (J+18). Il est victime de la déprime du quatrième mois (J+4 mois)... Enfin, la victoire (J+des tonnes). L'histoire s'achève. Sur l'affiche représentant Clint Eastwood, on a effacé le cigarillo. «Fumer tue, le reste, on s'en charge», conclut le vainqueur, qui n'est pas sûr d'être jamais un non-fumeur heureux.

Renée Carton, in Le Quotidien du médecin, le 23/04/2007

Arrêter de fumer tue, Thomas Bidegain, éditions de La Martinière


J'ai arrêté il y a six mois jour pour jour. Ça va. Je rêve juste de croiser un ami fumeur à qui je puisse emprunter une clope, mais il y en a de moins en moins.