Jeudi 26 juillet, vers 14 heures.
Je viens de finir Harry Potter and the Deathly Hallows, je vais enfin pouvoir retourner lire les blogs et les journaux, j'avais si peur, après les rumeurs qui couraient avant la sortie du livre (un, ou peut-être deux, héros principaux devaient mourir) de lire par hasard un spoiler que je ne lisais plus rien depuis samedi, évitant le twitt effréné de Maître Eolas.

C'est bizarre de se dire que c'est fini.
La première fois que j'ai entendu parler d'Harry Potter, c'était à la radio en juillet 2000, lors de la parution de Harry Potter and the Goblet of Fire. J'étais un peu vexée de ne jamais en avoir entendu parler alors que le journaliste assurait que c'était un phénomène de société et que la New York Review of Book avait ouvert un classement "enfants" devant la grogne des auteurs et des éditeurs excédés de voir les livres de J.K. Rowling en tête des meilleures ventes depuis deux ans.
Nous étions en 2000, depuis une dizaine d'années je ne lisais pratiquement plus que des livres pour enfants et des romans policiers, un peu de philosophie, aussi.

Le 8 septembre 2000 (la date figure dans le livre), je trouvai chez Tea & tattered pages, une librairie/salon de thé de livres anglais d'occasion rue Mayet très particulière, sans doute un peu magique elle-même puisque chaque fois qu'on veut y manger une bonne raison s'interpose pour que cela ne soit pas possible, un exemplaire de Harry Potter and the Goblet of Fire. Je l'achetai, un peu choquée de trouver à l'intérieur une dédicace à la fille de la libraire: cette petite fille faisait peu de cas des cadeaux reçus. Vendre ses livres était-il une déformation familiale, le livre était-il donc si mauvais?

Je lus ce tome IV. Il me plut immédiatement: ce n'était ni niais ni pompeux, (les deux écueils de la littérature pour enfants), c'était moral sans être moralisateur, et l'idée de génie, me semblait-il, était d'avoir imaginé un univers magique possédant ses propres règles et contrainte: magie ne signifiait pas anarchique liberté, il y avait des cours, des examens, des professeurs, des vacances...
Le héros était parfait: ce n'était ni le plus intelligent ni le plus beau, il était un peu naïf, dans la plupart des situations il ne comprenait pas ce qui se passait ni pourquoi cela lui arrivait, à lui, sa principale caractéristique était le courage, ou plus exactement l'incapacité à céder ou à abandonner.
J'ai acheté et lu, je ne sais plus pourquoi, les livres dans l'ordre anté-chronologique : le III (le meilleur (avec le sept, désormais)), le II puis le I.

En novembre 2001, par pure mauvais tête, je présentais Harry Potter et la coupe de feu à un "dîner littéraire" d'anciens Sciences-Po. Le thème de la soirée était "la rentrée littéraire", et je trouve ce concept si stupide et si snob (que faut-il avoir lu pour être dans l'air du temps?) que cela me plaisait de provoquer quelques moues dégoûtées et quelques airs pincés (c’est mon snobisme personnel: provoquer l’air pincé des bien-pensants et des mieux-lisants).
J'adore l'air surpris et/ou dégoûté des gens lorsqu'ils découvrent que je lis Harry Potter: «Tu lis Harry Potter, toi?» (ou: «Vraiment, vous lisez Harry Potter?») et vlan, je descends de sept ou huit marches dans leur estime. Ce dont ils ne semblent pas se rendre compte, c'est que leur réaction me permet à moi aussi de les cataloguer.

J'ai acheté le tome V le jour de ma première rencontre avec Renaud Camus, lors d'une séance de signature chez Sophie Barrouyer (le 25 juin 2003, cf p.330 de Rannoch Moor), le tome VI est sorti le 16 juillet 2005, je l'avais dès le matin dans ma boîte à lettres et le tome VII, enfin, samedi dernier.
C'est toujours un peu mélancolique, le dernier tome d'une saga. Je ne souhaite qu'une chose, c'est qu'il n'y ait pas de suite, ce serait vraiment dénaturer l'esprit de l'ensemble pour n'en faire plus qu'un objet commercial. (A ceux qui diront que c'est déjà cela, je répondrai que ce l'est devenu ensuite, par récupération, mais cela n'a pas été écrit dans cet esprit. Le dernier tome en est la preuve éclatante, il n'y a pas de baisse dans la tenue du récit).


Il rejoint dans mon panthéon des livres pour enfants les Chroniques de Narnia et Le Seigneur des Anneaux.
J’ai découvert récemment que ces sagas étaient parmi les plus vendues au monde (cf Le Monde du 12 juillet 2007) : 100 millions d’exemplaires vendus pour C.S Lewis et traduction en trente langues, 100 millions également pour J.R.R. Tolkien et traduction en 25 langues, 325 millions pour J.K. Rowling et traduction en 60 langues.

J’ai lu Le lion et la sorcière blanche et Prince Caspian à sept ans, dans la bibliothèque rose. C’était comme d’habitude des livres empruntés à Ivan.
Je me les suis fait offrir au premier Noël passé en France. À dix-huit ans, j’ai découvert qu’il s’agissait en fait d’une série de sept livres, dont deux seulement étaient traduits en français, alors que ces Chroniques étaient même traduits en polonais (le livre trônait en vitrine de la librairie polonaise boulevard Saint-Germain). J’ai passé un été à traduire le premier de la série, Le Neveu du magicien, sur Rédacteur. Je ne l’ai jamais envoyé à un éditeur, qui aurait bien pu s’intéresser à un conte des années 50 dans la années 1990? C'était une traduction pour moi seule, qui dort dans une chemise bleue. Le lampadaire du jardin a été choisi en hommage à Narnia. (Et puis, sait-on jamais?)
Après le succès d’Harry Potter, la série a enfin été traduite au complet. L’article du Monde m’apprend que les Chroniques de Narnia sont meilleure vente de livres de jeunesse en France en 2006 (424900 exemplaires). Chère J.K. Rowlings, elle aura vraiment réussi un tour de magie.


Je ressens dans le dernier tome des Harry Potter une forte influence de Narnia.
Le tome V m’évoque la montée de l’hitlérisme, la résistance anglaise lors de la seconde guerre mondiale, il démonte les mécanismes qui permettent l’instauration d’une dictature : lâcheté du pouvoir en place devant les agitateurs, peur des individus qui craignent les dénonciations, le tome VI est un tome en demi-teintes, plus introspectif que les autres, qui en donnant les clés de l’enfance de Voldemort enseigne la pitié plutôt que la haine. Le tome VII, entre l’errance de la pemière partie, rappelant la marche des Hobbits à travers la Comté, la fuite de la banque évoquant Bilbo le Hobbit, la bataille de la fin et le sacrifice évoquant à la fois Le lion et la sorcière blanche et "La dernière bataille", inscrit définitivement la saga Harry Potter dans la lignée des récits anglais fantastiques pour enfants.
C.S. Lewis et J.R.R. Tolkien étaient profondément catholiques ; cela transpire à la lecture des livres cités ici : la mort d’Aslan dans les Chroniques de Narnia est une sorte de sacrifice christique, la quête dans Le Seigneur des Anneaux est une quête non pas vers la victoire, mais vers le renoncement : il s’agit de se dessaisir d’un objet de pouvoir, le pouvoir et le désir du pouvoir étant toujours ce qui corrompt absolument. Les sacrifices ne sont pas consentis au nom d’une vie meilleure, mais plus simplement pour qu’une vie, la vie, soit possible.
On retrouve ce même mouvement dans le dernier tome des Harry Potter, même si je pense qu’il s’agit davantage de la part de Rowling d’une assimilation profonde des leçons de ces grandes œuvres pour enfants — et sans doute d’un hommage — que d’un quelconque sentiment religieux.

Enfin, osons dire que J.K. Rowling écrit bien. Ses phrases sont claires, les sentiments développés ne sont pas pesants, les situations fourmillent de détails qui rendent le récit extrêmement vivant et vraissemblable (cf. par exemple dans le dernier tome l’accent français de Fleur, ou dans le tome VI les jumeaux qui rendent en plaisantant hommage à leur mère dont ils apprécient enfin le travail depuis qu’ils ont quitté la maison et lavent eux-mêmes leurs chaussettes), d’autant plus que ces détails ne sont pas oubliés et peuvent ressurgir à tout moment (comme la question de Harry à Dumbledore dans le tome I: «Que voyez-vous lans le miroir du Rised?», à laquelle nous n’auront un semblant de réponse qu’ à la fin du tome VII): comme dans tout bon roman classique (et un livre pour enfant doit être formellement classique), tous les questions obtiennent une réponse, rien ne reste pendant.
Ces livres ont tous à peu près la même structure, un événement étrange ou dangereux survient dans les soixante ou cent premières pages, puis se développent des interrogations et une recherche de réponses dans le milieu du récit, plus calme, enfin survient la crise finale, qui donne un certain nombre de réponses d’où naissent d’autres mystères. Le tome IV, central, est également le pivot de la série : il est le premier à faire plus de cinq cents pages et le premier se terminant par une mort, le premier d’une série d’échecs qui iront croissants : mort de Sirius dans le cinquième tome et de Dumbledore dans le sixième. Tous les bruits alarmants ayant précédé la sortie du dernier tome étaient donc structurellement logiques, ce qui était encore plus alarmant…

J'ai relu la dernière phrase du dernier livre avant de le fermer, car la rumeur voulait il y a quelques années que J.K. Rowling l'ait écrite dès le début des aventures de Harry.



Post-scriptum: un très bon article de Béatrice Bomel-Rainelli, très agréable à lire: Utilisation et déconstruction des stéréotypes dans le cycle Harry Potter.