Véhesse

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Billets pour la catégorie Des livres :

vendredi 17 octobre 2008

Le problème herméneutique chez Pascal, de Pierre Force

La lecture de ce livre est directement issue de la lecture de Du sens. En effet, le livre de Pierre Force y est longuement cité en relation avec Buena Vista Park. Il s’agit une fois encore (mais à l’époque de BVP, ce n’était que la deuxième fois dans l’œuvre camusienne[1]) d’illustrer la bathmologie, c’est-à-dire, entre autres, la façon dont une même opinion (une même opinion en apparence : une opinion s’exprimant avec les mêmes mots) peut avoir un sens et des conséquences très différentes selon l’étape de raisonnement où elle intervient[2].

J’ai donc entrepris de lire Le problème herméneutique chez Pascal. Je m’attendais à un livre de philosophie, il s’agit davantage d’un livre analysant la logique de Pascal et les méthodes qu’il emploie pour convaincre les libertins (sens étroit : ceux qui ne croient pas en Dieu et ne respectent pas les Ecritures) de lire la Bible.
En effet, la conviction de Pascal est que les Ecritures contiennent en elles-même de quoi convaincre les plus rebelles, non par quelque révélation immanente, mais par les mécanismes rigoureux de la lecture et de l’interprétation effectuées selon des règles logiques. « Lisez et vous croirez » serait le credo pascalien.
Pierre Force dégage donc les règles de cette méthode de lecture, méthode qui ne se préoccupe pas de l'authenticité des textes: ce n'est qu'avec Spinoza que cette démarche sera entreprise. Pascal s'inscrit encore dans l'héritage de Saint Augustin en reconnaissant a priori l'autorité des Ecritures.

Pascal suppose que tout texte est nécessairement cohérent. Il applique ce principe à la Bible comme s'il s'agissait de n'importe quel texte. Il en découle que chaque fois qu'une contradiction se présente dans la Bible, il convient de chercher une interprétation des passages considérés, qui ne doivent pas être pris au sens propre, mais figurativement. L'interprétation doit permettre d'accorder le sens des passages avec le plus grand principe: la charité. Tout passage contraire à la charité doit être interprété afin de l'accorder à la charité.
Il s'agit des contradictions internes au texte ("syntagmatiques", dirait Todorov), par opposition à Saint Augustin qui s'attachait aux contradictions entre le monde et les Ecritures ("paradigmatiques").
L'intérêt des critères syntagmatiques, c'est qu'il ne suppose pas de connaissances préalables: tout est présent dans le texte qu'on lit.

La deuxième partie traite de l'interprétation des signes, différente chez Pascal et Saint Thomas.

Revenons à Augustin : chez l'auteur de la Doctrine chrétienne le symbolisme des choses, fondé sur une vision religieuse de l'univers coexiste avec l'allégorie, héritée de la rhétorique païenne. Pour saint Thomas, le symbolisme des mots n'existe pas : l'allégorie est assimilée au sens littéral. Tous les objets de l'univers sont signes de Dieu. Tout est res et signum.
Pascal part du point de vue opposé : pour lui (ou, à tout le moins, pour l'interlocuteur de l'apologiste) il n 'y a pas de signes de Dieu dans la nature. Le monde est silencieux. Seuls les textes parlent. Le message divin ne pourra venir que d'un livre. La preuve de Dieu sera tirée des mots et non des choses.
Pierre Force, Le problème herméneutique chez Pascal, p.112

Le monde est un chiffre et il est à déchiffrer. C'est de cette époque que datent les systèmes ésotériques et les références à la Cabale: Trithème, Kircher, Fludd, espèrent mettre à jour des lois de traduction automatique entre les différentes langues, il n'y a pas de différence entre cryptographie et traduction.

Pascal n'a rien d'ésotérique et s'appuie entièrement sur la logique: un texte doit être intrinséquement cohérent. Il faut s'appuyer sur le sens des mots.
Qu'est-ce que le sens? Dans un premier temps, Pascal pose qu'on peut donner n'importe quel nom à une chose, l'important étant ensuite de toujours désigner la même chose (sens large: objet, idée, etc) par le même mot.
Dans un second temps, il reconnaît qu'il existe un sens courant, un sens commun des mots, et qu'il importe d'utiliser celui-ci pour être clair et compréhensible. (Ici, querelle avec les Jésuites que Pascal accuse de tromper l'auditoire en utilisant les mots dans des sens qui ne sont pas le sens commun, et de changer de sens utilisé d'un discours à l'autre. Analyse des Provinciales, querelle janséniste.)

Selon Pascal, il est très difficile de lire "juste", de penser "juste". L'interprétation est le domaine du jugement faussé, dont il faut se méfier même pour juger son propre travail:

De même qu'il est difficile de proposer une chose au jugement d'un autre, il est aussi difficile d'être son propre juge :
« Si on considère son ouvrage incontinent après l'avoir fait on en est encore tout prévenu, si trop longtemps après on n'y entre plus [3]
Le problème semble si difficile à Pascal qu'il le présente comme une énigme :
« Je n'ai jamais jugé d'une chose exactement de même, je ne puis juger d'un ouvrage en le faisant. Il faut que je fasse comme les peintres et que je m'en éloigne, mais non pas trop. De combien donc? Devinez... [4]
Le jugement adéquat, la perception juste, sont un point à trouver entre un trop et un trop peu. Cela est illustré par le rythme de la lecture :
41. « Quand on lit trop vite ou trop doucement on n'entend rien.»
La vérité elle-même est considérée comme un dosage à effectuer entre un excès et un manque :
38. « Trop et trop peu de vin.
Ne lui en donnez pas : il ne peut trouver la vérité.
Donnez-lui en trop : de même.»
Ibid., p.169

Il s'agit donc de se placer au bon endroit, spatial et temporel, pour juger (en art, de la vérité, de la morale). Le Christ est médiateur (thème de Saint Augustin, repris à la Renaissance) tandis que l'homme ne sait trouver sa place.

La vérité a souvent deux faces, ou plus exactement, toute affirmation contient une part de vérité : «Les hérétiques ne seraient pas hérétiques si leur doctrine ne contenait une part de vérité.»[5] Pascal s'attache davantage à montrer ce qui unit les thèses jésuites, jansénistes, calvinistes que ce qui les sépare. Puis il établit une hiérarchie en observant quelle thèse est contenue dans quelle autre. Exemple:

Les propositions pélagiennes sont susceptibles d'une interprétation augustinienne, mais les propositions augustiniennes ne peuvent en aucun cas admettre une interprétation pélagienne. Si la doctine de Pélage est contraire à celle de saint Augustin, la doctrine de saint Augustin est contraire de celle de Pélage; mais si la doctrine de saint Augustin inclut et comprend celle de Pélage, il n'y a aucune réciproque possible. Ibid. p.191

Il est possible de prouver la dissymétrie parce qu'il y a une hiérarchie entre les termes. Il y a irréversibilité des antinomies. L'interprétation consiste à retenir le sens provenant de la thèse supérieure.

Pascal n'essaie pas de défendre la religion chrétienne par une accumulation de preuves. En effet, il applique une méthode, et quelques exemples lui suffisent à l'illustrer. Cette méthode, c'est le principe de non-contradiction interne d'un texte donné. Quand un texte comporte des contradictions, il faut rechercher l'explication qui les résoud toutes avec le plus d'économie de moyens. Concernant les contradictions de la Bible, c'est le Christ, la venue du Christ, qui explique et résoud les contradictions de l'ensemble des prophéties. Un seul principe explicatif résout toutes les contradictions, il s'agit donc de l'explication la plus économe de moyens; il est donc inutile d'en chercher d'autres.

Ensuite, Pierre Force s'attache aux fragments plus "sociaux et politiques". Il s'agit d'expliquer et de justifier le monde comme il va (les signes de pouvoirs, le respect dû aux puissants, etc). Pascal s'appuie sur les traditions stoïcienne et pyronnienne. Il est héritier des stoïciens, qui identifie recherche des causes et compréhension des signes.
D'un point de vue pyrrhonien (qui soutient que la raison humaine ne peut rien avancer avec certitude), toute opinion peut être mise en doute et dépassé par une opinion inverse supérieure. Il y a renversement continuel du «pour» et du «contre».

[...] tout rapport entre signe et signifié peut devenir à son tour signe d'un nouveau signifié. Toute interprétation peut devenir l'objet d'une interprétation qui la dépasse. La marque rhétorique de ces dépassement est l'ironie.
Ibid., p234 [6]

Cependant, le renversement des «pour» et des «contre» peut être hiérarchisé en gradations, qui fait accéder à un point de vue véritablement supérieur. Tout ce développement est cité dans Du sens.

La loi des séries, ou raison des effets, est donc plus complexe qu'une simple loi d'alternance. La raison des effets est constituée par l'itération d'une structure ternaire, dont le dernier élément sert de premier élément à la structure suivante. Tout élément de rang impair représente une opinion du premier ou du troisième degré.Toute opinion de rang pair est une opinion du second degré.

Les éléments de rang impair sont dans la série des points de repos.

Ibid., p239

Cependant, pour celui qui a atteint l'un des degrés, il est difficile d'envisager les autres, sauf à se projeter dans l'esprit de son contradicteur. Pascal remarque qu'une opinion vraie et qu'une opinion fausse peuvent être exprimées en des termes identiques. Pour les départager, il faut connaître le contexte dans lequel elles sont exprimées, et connaître l'ensemble des arguments des parties en présence. La vérité d'une proposition dépend de son sens et non de sa formulation. A contrario, une opinion est ininterprétable si l'on ignore son contexte.

Pierre Force termine son travail par cette remarque:

L'année même où sont publiées les Pensées, paraît à Hambourg le Traité théologico-politique, qui marque la fin du règne de l'exégèse patristique. [...] Montrant à son interlocuteur qu'il est embarqué, et qu'avant qu'il s'en rende compte, il se trouve en situation herméneutique, Pascal décrit l'interprétation comme un mode de notre existence.

Notes

[1] La première fois intervient dans Travers, à propos du bandeau du maréchal Ney et des valises Vuitton, deux illustrations d’ailleurs reprises dans Buena Vista Park.

[2] exemple donné dans Buena Vista Park p.80 : La princesse P., qui avait toujours désiré passionnément une didacture impitoyable, mais qui détestait Mussolini parce qu’il avait été socialiste, put se vanter, en 43, d’avoir été une des premières opposantes, et des plus constantes, au fascisme.

[3] fragment 21 des Pensées selon les éditions complètes Lafuma de 1963

[4] Fragment 558, ibid.

[5] Ibid., p.185

[6] Très intéressant : on voit apparaître l'ironie, redoutable arme camusienne, en plein développement sur la bathmologie (comme ne l'appelle pas Pierre Force).

vendredi 10 octobre 2008

Rien sur Le Clézio

En 1988, j'ai passé trois mois à la librairie Mollat, deux mois de stage et un mois de boulot d'été.

Je me souviens du mètre cube d'une biographie de Mitterrand le long du comptoir au moment de sa réélection.

Je me souviens des clientes qui achetaient Sollers, Femmes ou Paradis, grande bourgeoisie bordelaise trop bronzée riant avec embarras ou un sourire entendu de s'encanailler à si bon compte. J'ai bien peur que ce soit à l'origine de ma difficulté à lire Sollers: vu ses lectrices, je n'arrive pas à le considérer comme un auteur envisageable. (Pourtant, son humour et son détachement me font parfois soupçonner qu'il doit y avoir quelque chose, là.)
(La même réflexion ou presque peut s'appliquer à Alina Reyes: c'était l'année du succès du Boucher, les lecteurs qui achetaient ce livre ne m'ont pas donné envie de le lire.)

C'était aussi l'année de La Fée Carabine. Pennac était inconnu, je ne sais combien d'exemplaires de ce livre j'ai offerts (c'est hélas le meilleur de la série).

Pour ma part, je m'étais entichée du Bourreau affable de Ramon Sender que je vendais dès qu'un "vrai" lecteur me demandait son avis (ce qui n'arrivait presque jamais, puisque l'une des caractéristiques des vrais lecteurs est de ne jamais demander de conseil dans une librairie).

J'ai découvert la puissance de Bernard Pivot: les gens ne prenaient même pas la peine de retenir les auteurs qui étaient passés dans son émisssion: «Je voudrais le Pivot d'hier», tout était dit. Les représentants des maisons d'édition précisaient: «Il va passer chez Pivot», et nous commandions vingt exemplaires supplémentaires. (Je me souviens de L'Homme de paroles de Claude Hagège. Tout le monde voulait son livre; je l'ai feuilleté, il était illisible au commun des mortels (dont moi). Les gens étaient incroyables, pourquoi achetaient-ils cela?) J'ai appris que notre époque pardonnait à un écrivain de mal écrire s'il parlait bien, mais pas l'inverse.

J'ai appris aussi qu'on pouvait savoir si un livre était bon à la façon dont les lecteurs venaient l'acheter, un certain silence et une certaine impatience dans leurs gestes et leur regard. C'est ainsi que j'ai repéré Le Maître et Marguerite, La conjuration des Imbéciles et La Régente, de Leopoldo Alas dit Clarin (que je n'ai toujours pas lu). Il y aurait aussi La jeunesse de Pouchkine à lire un jour (Tynianov).

Le Clézio, Modiano, Labro: est-ce par homophonie, je les confonds. Leurs lecteurs ne m'ont pas marquée, il s'en dégageait quelque chose de classique et d'un peu ennuyeux, la modernité dans l'absence de risque. Concernant Le Clézio, il y avait la rumeur: «Mais si, il est en Amérique du sud, il ne donne pas d'interviews, il est très beau, il passe mal à la télé car il ne parle pas...» J'ai dû le feuilleter, comme j'ai feuilleté les deux autres. Il ne m'en reste rien.

Ce n'est pas sans un certain effroi que je vois s'ajouter le nom de Le Clézio à ceux de Claude Simon, André Gide, François Mauriac.


edit le 15 octobre

Je découvre ce billet de ligne de fuite qui reprend trois personnages de mon récit.

jeudi 2 octobre 2008

Attendu en septembre 2009: Laura, de Nabokov

Le manuscrit forme un ensemble de 138 fiches de bristol, écrites au crayon — mon père utilisait un crayon n°2, assez fin, qui lui permettait de biffer son texte. Ces cartes sont numérotées, et un bon tiers est assemblées dans un ordre définitif. Le reste est un ensemble d'esquisses, de fragments, de disgressions qu'il est possible d'interpréter de plusieurs manières. Mon idée est de présenter la partie achevée de l'œuvre sous forme d'un livre, et le reste en fac-similé, que le lecteur pourra arranger à sa fantaisie. Il pourra battre les cartes à sa façon, se faire lui-même son petit Nabokov.

Dmitri Nabokov, interviewé dans le dernier numéro de Point de vue, 1er octobre 2008 (cinq pages avec moult photos)

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