Suite à la mise en ligne du début du Goncourt par l'éditeur singulier, j'ai repensé à un livre prêté et jamais revu: La préférence nationale de Fatou Diome (simple association d'idées parce qu'il s'agit de deux auteurs noires de langue française, oui.)

A côté des rubriques "Livres" qui parlent de lectures récentes, ou tout au moins de livres que j'ai sous la main, et "Livres que je n'ai pas lus", il faudrait ouvrir la rubrique "Livres dont je me souviens".
Souvenirs imparfaits, souvenirs déformants, souvenirs sans référence, sans preuve, mais souvenirs révélateurs de ce qui marquent, de ce qui a marqué, révélateurs des impressions au-delà de l'exactitude des mots et des phrases.

Il s'agit du racisme ordinaire, ou plus exactement, mais c'est la même chose, des préjugés.
Le mot "racisme" n'est pas réservé aux actes et paroles haineux, délibérément haineux.
Il couvre également un autre racisme, beaucoup plus répandu, et, je suppose, sans doute bien plus douloureux à subir parce que plus insidieux et quasi "normal", qui est celui des préjugés, celui qui fait qu'on ne considère pas l'autre tout à fait comme notre égal (avec les mêmes droits et les mêmes devoirs) mais comme quelqu'un qui est sans doute un peu bête, un peu lent, un peu pauvre, un peu pas de chance.
Ces pensées peuvent mener à un paternalisme légèrement (ou violemment) insultant.

C'est surtout de ce racisme-là que parle Fatou Diome.
Le livre se divise en courts chapitres comme autant de courtes nouvelles. L'allusion aux contes de Voltaire est récurrente.
Deux exemples puisés dans mes souvenirs: tandis que durant leurs études supérieures en littérature française, ses camarades blanches peuvent faire du soutien scolaire pour arrondir leur fin de mois, elle devient vendeuse en boulangerie: personne n'envisage qu'une noire puisse bien parler français.
Une autre histoire, amusante et lamentable, nous raconte comment le couple dont elle gardait les enfants l'a licenciée tant il fut gêné — et vexé — le jour où il découvrit qu'elle connaissait la littérature française mieux que lui: cela faisait des mois qu'il lui parlait petit nègre…
Etc, etc; le tout dans une langue acide, sans concession et sans apitoiement: et le lecteur remué (les plus scrupuleux menant leur examen de conscience) a surtout envie de rire tant les ridicules et les prétentions des Français "de souche" sont finement soulignés.

Donc je vous propose de lire Fatou Diome (sans compter que se promener dans le métro avec un livre intitulé La préférence nationale ne manque pas de piquant (grave erreur marketing, à mon avis)).