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Billets pour la catégorie Dostoïevski, Fédor :

samedi 30 août 2014

Dostoievski à Florence

Tombé par hasard sur cette plaque que je n'attendais pas en face du palais Pitti.
Ainsi donc "les nuits blanches de St Pétersbourg" ont été écrites sous le ciel de Florence. Comme c'est étrange.






Dans cette maison entre 1868 et 1869 Fédor Mikhail Dostoïevski a écrit L'Idiot.

lundi 26 août 2013

Commençons

Désespérant de résoudre ces questions, je les laisse en suspens. Naturellement, le lecteur perspicace a déjà deviné que tel était mon but dès le début, et il m'en veut de perdre un temps précieux en paroles inutiles. […] Voilà ma préface finie. Je conviens qu'elle est superflue; mais, puisqu'elle est écrite, gardons-la.
Et maintenant commençons.
L'auteur.
Dostoïevski, les frères Karamazov, Pléiade 1952, préface p.2

mardi 31 juillet 2007

Notes d'un souterrain

J'avais découvert ce livre dans Mensonge romantique et vérité romanesque. Je ne rouvre pas René Girard avant d'écrire ce commentaire. Je ne lis pas non plus la préface de Todorov. Relevons simplement cette citation d'André Gide dans Dostoïevski : «Je crois que nous atteignons, avec les Notes d'un souterrain, le sommet de la carrière de Dostoïevski. Je le considère, ce livre (et je ne suis pas le seul), comme la clé de voûte de son œuvre entière.»

C'est un petit livre qui se compose de deux parties, une plus abstraite, dans laquelle le narrateur théorise son dégoût de la vie et analyse ses états d'âme et surtout ses revirements d'états d'âme; une seconde qui se présente comme un journal tenu quelques jours et qui illustre la première partie.

La maîtrise de la narration est impressionnante. Le récit fait du sur-place, il semble s'enfoncer à force de tourner sur lui-même en ruminations vaines et pourtant il se déplace, il avance, il possède une volonté de sens qui est de démontrer en toute lucidité qu'il tourne sur lui-même en ruminations vaines. C'est un livre de folie lucide.

Dans la première partie, le narrateur expose les raisons pour lesquelles l'homme ne se conduit pas rationnellement. Il y a quelque chose d'anti-hegellien dans cette démonstration, même si je ne sais si ce jugement possède une quelconque pertinence appliqué à Dostoïevski (Dostoïevski avait-il lu Hegel? Je n'en sais rien). Si l'homme se conduisait rationnellement, si deux et deux faisait quatre, sans doute au bout d'un temps d'observation suffisamment long tous ses actes seraient-ils prévisibles. Or s'il y a une chose que l'homme souhaite par dessus tout, avant le bonheur, le plaisir, la paix, c'est de demeurer imprévisible, c'est d'«avoir le dernier mot». C'est sa liberté qui est en jeu, finalement, même au prix du bonheur.

A présent, laissez-moi vous demander ce que l'on peut attendre de l'homme, être doué d'aussi étranges qualités ? Comblez-le de tous les biens terrestres, noyez-le dans le bonheur de telle sorte que seules des bulles viennent crever à la surface comme si c'était de l'eau ; accordez-lui une telle abondance économique qu'il n'ait plus rien d'autre à faire que dormir, manger des gâteaux et pourvoir à la non-interruption de l'histoire universelle — eh bien, même là, l'homme, même là, rien que par ingratitude, par malice, il trouvera le moyen de vous jouer un tour de cochon. Il ira jusqu'à risquer ses gâteaux et souhaiter délibérément le plus néfaste non-sens, l'absurdité la plus anti-économique, rien que pour mêler à tant de sagesse positive son funeste élément fantastique. C'est justement ses désirs fantastiques, sa bêtise la plus triviale qu'il voudra conserver à son acquis, à seule fin de se confirmer à lui-même (comme si c'était tellement indispensable !) que les hommes sont encore des hommes et non des touches de piano dont daignent jouer les lois de la nature en personne et de leurs propres mains, mais en menaçant de faire durer la musique jusqu'au moment où l'on ne pourra plus rien vouloir en dehors du calendrier. Et ce n'est pas tout : à supposer même qu'il soit vraiment une touche de piano, qu'on le lui prouve par les sciences naturelles et les mathématiques, là aussi, il refusera d'entendre raison et se livrera exprés à quelque acte contraire, par pure ingratitude, rien qu'elle : en somme, pour avoir le dernier mot. Et s'il est démuni de moyens, il inventera la ruine et le chaos, il inventera mille souffrances. Mais il aura eu le dernier mot ! Il jettera sa malédiction sur le monde, et comme la malédiction est le propre de l'homme (c'est ça le privilège qui le distingue principalement des animaux), ma foi, par sa seule malédiction il arrivera à ses fins, c'est-à-dire à se convaincre vraiment qu'il est un homme, et non une touche de piano. Si vous soutenez que même cela, on peut entièrement le prévoir en fonction d'une table de calcul — le chaos, l'obscurité, la malédiction — si bien qu'à elle seule la possibilité du calcul préalable arrêtera tout et que la raison l'emportera, dans ce cas, l'homme deviendra fou, exprès, pour ne plus avoir sa raison, mais avoir quand même le dernier mot ! Cela, j'y crois, j'en réponds, car toute la tâche de l'humanité consiste précisément, à ce qu'il me semble, en ce que chacun veuille perpétuellement se prouver qu'il est un homme et non une tirette d'orgue ! à se le prouver, quitte à payer les pots cassés ; quitte à revenir à l'âge troglodyte. Après cela, comment ne pas se laisser tenter, ne pas se vanter qu'on n'en est pas encore là et que le vouloir dépend encore le diable seul sait de quoi...

Dostoïevski, Notes d'un souterrain, première partie, fin du chapitre VIII. Traduction de Lily Denis pour GF-Flammarion

Cependant, cette exposition si rationnelle et si convaincante de l'origine du malheur des hommes, dû à leur refus d'une vie heureuse et prévisible, ne tient pas lorsqu'on examine le récit que nous fait le narrateur de quelques jours de sa vie: il apparaît très vite que l'homme du souterrain est moins un homme qui veut rester libre qu'un homme qui ne sait pas être libre, qui est incapable d'agir librement sans que les autres ne soient les moteurs, souvent répulsifs, de son action. La première partie est un leurre puisque la seconde ne l'illustre pas; le récit lui-même n'est pas ce qu'il prétend être.

L'homme du souterrain est un homme asocial, rongé par l'envie, intelligent, plus cultivé sans doute que nombre de ses collègues et anciens camarades d'école, mais incapable d'agir, et qui ne sait que passer sa colère sur son entourage pour se venger de son caractère trop faible. Les êtres plus forts que lui en rient, les êtres plus faibles en pleurent, mais tous finalement seront plus forts, même la fille de joie aura le courage de lui rendre son argent et de refuser sa pitié. L'homme du souterrain cherche quelqu'un à humilier et meurt de rage de ne pas le trouver, il ne peut vivre sans se mesurer aux autres et son comportement, dans une sorte d'enchaînement masochiste, fait que ce mesurage lui sera toujours défavorable.

C'est un récit étrange, le héros n'agit qu'avec retard, toujours à la traîne de sa pensée qui imagine et se représente par avance des scènes auxquelles elle ne sait donner corps par une action suivie et systématique. La trop grande importance accordée aux autres, à l'opinion supposée des autres, empêche le narrateur d'oublier de penser pour agir. Il est véritablement malade d'être conscient, de posséder une conscience, car ainsi qu'il le dit en première partie «l'excès de conscience est une maladie, une véritable maladie.»


Comment avouer ce qui m'a réellement fait sourire en lisant ce livre? J'ai reconnu dans l'homme du souterrain le portrait d'une ancienne connaissance à la fois convaincue de sa supériorité et sans volonté, et j'ai trouvé dans cette description si exacte une revanche sardonique:

Non seulement je n'ai pas su devenir méchant, mais je n'ai rien su devenir du tout; ni méchant ni bon, ni crapule ni honnête homme, ni héros ni insecte. Et à présent, j'achève mes jours dans mon coin, m'échauffant la bile de la consolation parfaitement inutile qu'un homme intelligent ne sera jamais quelqu'un, que seuls les imbéciles y arrivent. Eh oui! Un homme intelligent du XIXe siècle doit, est moralement tenu d'être avant tout une créature sans caractère; mais l'homme de caratère, l'homme d'action, doit être de préférence une créature bornée.

Ibid, première partie, fin du chapitre I.

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