l'émission

Salgas: Bathmologie l'axe de toute votre œuvre. Y a-t-il des zones qui y échappent? Le sexe? Le sexe écrit, Tricks, les Journaux. Le sexe décrit comme un lieu d'innocence, contre Georges Bataille. Premier stade, avant toute bathmologie. Sexe et bathmologie...
RC: Vous avez raison. L'innocence du sexe est l'une des rares idées à laquelle je tiendrais. Ce n'est pas une idée, mais une perception, je vois les choses comme ça. Bien entendu, peut être une occasion de faute ou de péché, comme n'importe quoi, la nourriture, les voyages... Mais je ne vois pas en quoi le sexe en soi est répréhensible, au sens moral et a fortiori au sens juridique du terme. C'est en opposition avec la tradition érotique représentée par Bataille. Tradition qui voit un rapport entre Eros et le mal. La trangression est un concept qui m'est totalement étranger.

Salgas: Le sexe le seul endroit de nature, la seule immédiateté.
RC: Oui. Me pose un léger problème théorique. Le sexe est peu médiatisé. Le désir ne passe pas par l'érotisme, par des codes, par des références, des mises en scènes, à des objets... ne m'intéresse pas. Le sexe n'est pas le lieu de la transgression. C'est une contradiction que je peux constater, mais comment l'expliquer?
Mais je fais partie de l'histoire du désir. Mon désir est lié à des images, à une génération, qui ne sont pas les mêmes que celles de la génération précédente ni celles de la génération suivante. Le désir est lié à la culture.
Vous mettez le sexe du côté de la nature, je le mettrais du côté de l'innocence. Or l'innocence et la nature ne sont pas la même chose, c'est même peut-être le contraire, au fond. L'innocence est une longue conquête, comme le naturel. C'est quelque chose qui s'acquiert, qui se travaille, elle se mérite même.

Salgas: Donc mon objection se renverse: le sexe échappe à la bathmologie par le haut lieu de la méta méta méta bathmologie...
Le sexe est chez vous homo-sexuel. Vous avez créé un mot: achrien, qui a marché puisque jusqu'à récemment je croyais que c'était un vieux mot grec. Pourquoi? Notes achriennes, Chroniques achriennes.

RC: Mon homosexualité est peu grecque.
Tous les mots qui existaient étaient lourds, déplaisants, peu littéraires, je n'arrivais pas à les manier. Homosexuel est très juste en ce qui me concerne, c'est-à-dire désirant le même, et non pas pédérastique, par exemple, pour entrer dans les détails. Homosexuel était très juste, mais difficile à placer dans une phrase de littérature.

Salgas: le sida
RC: exemple de mot pour moi inutilisable littérairement. Pardon de faire cette réflexion un peu cynique, mais une des choses les pires dans le sida, c'est la laideur du mot. Mourir d'un acronyme, ah non. Le cancer, c'est une chose qui a son passé, sa mythologie, sa grandeur, c'est un signe astrologique, c'est un monde. Mais mourir de quatre petites lettres qui ne sont même pas fichu de faire un mot, je trouve ça absolument accablant.

Salgas: vous l'avez utilisez littérairement. p 415 de Roman Roi, vous placez en exergue une citation tirée de "la jeunesse de Sida".
RC: Mais ça c'est un livre de la littérature caronienne. C'est un joli livre.

Salgas: Plagiat par anticipation. Mot sida utilisé en 1983.
RC: la Caronie est un long plagiat par anticipation.

Salgas: Votre rapport compulsif à l'art et aux musées. On pourrait diviser votre œuvre entre la série des garçons et la série des musées. L'expression du goût. Echapperait à ce regard objectivant qu'est la bathmologie.
RC: Je ne vois pas très bien en quoi mon intérêt passionné et peut-être exagéré quantitativement pour les tableaux serait anti-bathmologique. Au contraire. Tout discours esthétique intervient sur un terrain essentiellement bathmologique. Peut-être qu'inconsciemment j'y échappe par moment, le retour de la pulsion pure ou de la bêtise, ou du goût peut-être, ce qui ne s'interroge pas sur soi-même, sur ses raisons.

Salgas: Le discours du connaisseur n'est pas bathmologique, c'est justement le discours du goût.
RC: Ce à quoi je crois tout à fait, c'est au jugement. Au fond, il n'y a pas de phrase plus impie que la phrase de l'Ecriture "tu ne jugeras pas". Tu ne jugeras pas, c'est la mort de la civilisation. Pourquoi la France est en train de sortir de l'histoire, c'est parce qu'elle ne juge pas. Les critiques paraissent ne plus avoir aucune conscience de la responsabilité historique. Abdication du jugement. Presque plus personne n'a le courage de dire celui-ci est grand et celui-ci n'est pas grand. Je suis pour la classification, ce que déteste l'idéologie petite-bourgeoise.
Les jugements ne sont pas définitifs, ils peuvent être revus. Mais il faut classifier.

Salgas: Qui est le plus grand peintre contemporain?
Vous nommez très souvent Cy Towmbly.
RC: Oui, mais ici le goût intervient particulièrement. Cy Towmbly: côté paradoxal de l'extrême modernité et en même temps de l'amour du passé. Uun art conservatoire. Hommage à Mallarmé, hommage à Théocrite. J'ai toujours été sensible aux gens qui cherchent à sauver ce qui peut l'être. Autre exemple auvergnat: Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont qui essaie de sauver un crépuscule de la civilisiation gréco-latine, qui essaie de sauver tout ce qu'il peut sauver très maladroitement sur le pauvre raffiot de son art personnel qui n'est pas quelque chose d'absolument magistral...
Cy Towmbly avec de tout autre moyen à mon avis essaie de tout sauver. Au fond l'art contemporain ne me plaît que dans la mesure où il est l'objet d'une tension avec le passé.
Originalité informée par l'amour de ce qui tombe. Indifférence pour les arts autodidactes. Je n'aime que les arts des gens qui savent ce qu'ils perdent.

Salgas: d'autres noms?
RC: Rauschenberg. Entre Johns et Rauschenberg, question de goût. Johns placé peut-être un peu plus haut par les critiques. Est-ce que Towmbly est un peintre américain?

Salgas: Vous parlez énormément des peintures du passé.
RC: Je déteste les musées. Les tableaux n'ont pas été peints pour être vus dans des musées. Quand je suis dans uneville étrangère, je vais dans les musées et je vois mes 200, 300 tableaux par jour, ce qui est le comble de l'irrespect à l'égard des peintres. Un tableau demande une fréquentation assidue. Un artiste n'a pas travaillé deux ans, trois ans pour qu'un tableau soit vu trois minutes dans un musée.

Salgas: peinture du XVIIe siècle?
RC: avec l'impressionnisme s'est perdue quelque chose dans la peinture: l'inspiration mythologique, la tragédie, le mythe. On est tombé, non, on s'est ouvert au paysage, à la vie réelle, à la vie quotidienne. On a perdu le rapport avec les dieux.

Salgas: quelques noms?
RC: Caravage, pour citer des noms pas trop attendus, Valentin de Boulogne, Gaspard Dughet (le Guaspre Poussin), le romantisme du XVIIe. Le culte de la forme, dans la tradition des formalistes français: Sébastien Bourdon.

Salgas: Les couvertures de vos livres: photos de Renaud Camus.
RC: J'en fais beaucoup, mais aucune technique. J'aime beaucoup les ombres. Manie de la trace malgré mon goût de la perte. Là encore contradiction. Peut-être que tourner la perte, c'est la consacrer, de même que la perte selon Rilke consacre la possession.

Salgas: Vous suivez moins ce qui se passe dans la photographie.
RC: Non, non. La photographie m'intéresse. En particulier la photographie ancienne du XIXe.

Salgas: Nous sommes ici chez vous, c'est important pour vous de vivre parmi les œuvres?
RC: Oui tout à fait . Je crois que les œuvres sont faites pour une fréquentation continue. Si j'étais maître absolu de mes cimaises, je vivrais parmi des toiles du XVIIe siècle...
J'ai ici quelques toiles d'artistes contemporains ou amis, comme Jean-Paul Marcheschi.
C'est mon meilleur ami, d'où vient alors mon opinion? Je m'interroge sur l'origine de mon opinion: est-ce un aussi merveilleux artiste que j'ai tendance à le penser? D'où vient en moi l'appréciation pour cette œuvre? Ou peut-être sommes-nous amis parce que nous avions une certaine façon de voir le monde, certaines opinions sur l'art... Je m'interroge sur l'origine de l'opinion, ce qui est au fond une de mes grandes obsessions. Je reproche aux critiques de ne pas s'engager, je m'engage sur la grandeur et la majesté de l'œuvre de JP Marcheschi.

Salgas: préface d'un livre de JP Marcheschi chez POL. La première phrase de cette préface "c'est mon meilleur ami".
RC: Scrupule d'honnêteté. Je voulais dire d'où je parlais.