Il faut que je me dépêche d'écrire, il ne reste plus beaucoup de représentations : 29 octobre, 3, 5, 10, 12, 15 novembre.

C'est l'histoire de trois jeunes femmes, une jeune épousée, une cynique secrètement amoureuse, une "intellectuelle" réservée, filles de paysans, sœurs de paysans, épouses de paysans, qui en juin 14 rêvent ou pas leur vie future («beaucoup s'ennuyer» souhaite la jeune mariée, et j'ai pensé au père d'Emily Dickinson: c'est ce qu'il avait promis à sa femme (très exactement: "un bonheur rationnel", je viens de vérifier)).
La guerre éclate, elles attendent et redoutent des nouvelles. Comment vivre, attendre, ne pas désespérer? La guerre se termine, mais toutes les nouvelles n'ont pas fini d'arriver. Que va devenir la terre, les terres, sans les hommes pour les cultiver?

C'est une pièce écrite à partir de lettres conservées dans les archives du Vaucluse, mais étrangement, de même que les photos d'enfance que je vois sur internet me semblent ramener toutes à mes albums de famille, comme si chacun d'entre nous de la même origine sociale avait les mêmes souvenirs (c'est assez troublant à constater: la même lumière, les mêmes vêtements, les mêmes arrières-plans), cette pièce s'enracine dans mes propres récits familiaux, mon grand-père écrivant à ses frères dans les tranchées (vingt ans les séparaient) et ma mère me confiant en septembre 2014: «en lisant ces lettres, je me suis rendue compte qu'il avait fallu faire la moisson sans les hommes et sans les chevaux, tout avait été réquisitionné. Je comprends que mon père en soit demeuré si marqué, si sombre.» (il avait alors une dizaine d'années.))

C'est ainsi une part de nous-mêmes qui se joue devant nous.
L'extraordinaire est ailleurs, cependant, je crois. L'extraordinaire est sans doute l'exacte adaptation de chacune des actrices à son rôle; chacune dans sa fraîcheur et sa lumière intérieure correspond si bien à l'idée qu'on se ferait d'elle à la lecture des répliques qu'on se demande si elles ont été choisies selon ce critère, si réellement leur caractère est celui qu'elle montre sur scène ou si c'est un total rôle de composition. Quoi qu'il en soit, le charme opère, on ne se lasse pas de les écouter et de les voir évoluer dans le décor minimaliste de la scène de Ménilmontant (regret: j'aurais aimé les voir dans le décor ensoleillé d'Avignon).

(Et pour ceux qui le connaissent, la mise en scène est de Benoît Lepecq.)