Je sais que c'est facile, mais ça m'amuse.
Aidés par les Cours des Monnaies, les rois achetaient ou ramassaient les «espèces monétaires» (or, argent, cuivre), les faisaient frapper (admirablement à partir de 1640), et tentaient d'en régenter le cours au mieux de leurs intérêts, par des «ordonnances monétaires» d'application difficile. Difficultés qui vinrent assez rarement de la mauvaise volonté des provinces et des corps, mais de réalités internationales. La monnaie française n'avait que la valeur que lui accordaient les grands marchands, toujours internationaux: les négociants et armateurs français la connaissaient évidemment très bien, et tâchaient d'en jouer. D'autre part, les rois jouèrent jusqu'en 1726 de dévaluations par cascades successives; elles leur permettaient d'éponger une partie de leur dettes,— vieux système si allègrement repris en notre XXe siècle. Il régnaient mieux sur la petite monnaie intérieure, la monnaie des contribuables, malgré des «émotions» monétaires, aux XVIe et XVIIe siècles. Le grand marché international, où régnait de plus en plus des «constellations» de familles de banquiers, était appelé à leur réserver, au XVIIIe siècle, quelques mauvaises surprises. C'est que le «crédit» y régnait, qui reposait sur la «confiance» que peuvent donner un «potentiel» économique solide, et surtout une gestion sage. Elle fut perdue, on le sait, vers la fin du règne de Louis XVI — ce qui pose un problème non mineur de «causes» de la Révolution.

Pierre Goubert, L'Ancien Régime - 2 : les pouvoirs, Armand Colin collection U (1979), pp.34-35



Jurgen Habermas1 a bien décrit comment le principe de publicité est le principe de contrôle que le public bourgeois, composé d'individus cultivés, capables de raisonner, a opposé à la pratique du secret propre à l'État absolu. Créateur d'une véritable sphère publique, ce principe circonscrit, à partir du XVIIIe siècle, «un nouvel espace où tente de s'effectuer une médiation entre la société et l'État, sous forme d'une ''opinion publique'' qui vise à transformer la nature de la domination. Ainsi, dès la fin du XVIIe en Angleterre, et en France à partir des années 1730, se constitue une instance de jugement fondée sur l'usage «public» de leur raison par les personnes privées, de sorte que, au travers des salons, cafés, et clubs littéraires, notamment, se forme une «opinion publique» à l'examen de laquelle rien et nul, pas même le roi, ne peut se soustraire.

Dans son cas particulier, l'échec de la Chambre des comptes tient dans son incapacité à convaincre le roi de la «contre-productivité du secret», selon l'expression de Pierre Rosanvallon2. L'opacité notamment financière se révèle un piège pour l'État absolutiste, qui perd ainsi la confiance d'une société qui fait l'expérience de formes nouvelles de délibération et de publicité. L'existence des chambres des comptes ne garantit plus aux yeux des contemporains ''la transparence qui aurait pu désamorcer les révoltes contre l'impôt'': c'est au contraire «le secret des finances comme principe» qui l'emportera jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. […].

On retiendra donc que, sous l'Ancien Régime, si le contrôle ''juridictionnel'' des comptes par les chambres a pu exister, quoique de moins en moins étendu, le contrôle ''politique'' des finances de l'État était, lui, dès l'origine volontairement entravé. L'effet de ce refus d'une transparence politique de la gestion des finances a été peut-être la cause profonde de la Révolution de 1789 au moment où la monarchie française terriblement endettée se trouve dépendre du nouveau monde de l'économie financière, celui du crédit.

Rémi Pellet, La Cour des comptes, La découverte (1998), pp.14-15





1 : Junger Habermas, L'Espace public, Payot, 1978.
2 : Pierre Rosanvallon, L'État en France, de 1789 à nos jours, Seuil, 1990, p.27.