Certains passages de Carnets de guerre de Vassili Grossman me rapellent les pages sur le sort des combattants en Tchétchénie dans Douloureuse Russie d'Anna Politkovskaïa. Dans le détail, ce sort est différent, mais le principe est le même : cruauté et indifférence inhumaines.

Le passage suivant évoque la difficulté à combattre les chars allemands Tiger, qu'Hitler jugeait imbattables. Le texte est de Grossman, la note de bas de page est d'Antony Beevor et Luba Vinogradova qui ont choisi les textes et les ont entrecoupés d'explications.
Un pointeur tirait à bout portant sur un Tiger avec un canon [antichar] de 45 mm, et les obus rebondissaient sur lui. Le pointeur est devenu fou et s'est jeté sous le Tiger.
Un lieutenant blessé à la jambe et le bras arraché était à la tête d'une batterie qui repoussait une attaque de Tiger. Après avoir repoussé l'attaque, il s'est tué d'une balle, ne voulant pas survivre en invalide.1

Vassili Grossman, Carnets de guerre, p.265



Note
1L'idée de se trouver mutilé ou handicapé faisait plus peur que la mort aux soldats soviétiques. Ils ne pouvaient s'empêcher de penser que les femmes ne voudraient plus d'eux. Peut-être était-ce un cauchemar typiquement masculin, mais l'horreur de leur sort se manifesta pleinement après la guerre quand les autorités soviétiques les traitèrent avec une inhumanité à peine croyable. Ceux qui n'avaient plus que le tronc étaient qualifiés de samovars. Ils furent regroupés et envoyés dans des villes proches du cercle polaire arctique pour que l'on ne voie pas traîner de vétérans mutilés dans la capitale soviétique.