En ce moment de dénuement absolu, le destin envoya à notre secours une de ces personnes qui, de toute évidence, sont nées pour soulager la peine des autres : la préposée de la baraque, Maria Sergueevna Dogadkina, une femme d'une cinquantaine d'années, simple, vive, au teint mat. Elle n'était pas de celles qui distribuent de bonnes paroles.
Elle ne cessait, au contraire, de nous rabrouer.
— Vous appelez ça fermer une porte? maugréait-elle, disparaissant dans l'épais nuage de vapeur glaciale qui s'engouffrait au seuil de la baraque.
Grâce à quoi, la porte tordue et recouverte de glace était fermée comme il fallait, retenant la chaleur.
«C'est comme ça qu'on met à sécher ses affaires? Ne vois-tu pas que ça fait une boule? Ta mère t'a bien mal éduquée, reprochait-elle.
D'un geste expert, elle dépliait la loque, la pendait près du poêle, sur le fil où il semblait qu'il n'y eût plus de place pour rien.
«Pourquoi manges-tu de si grosses bouchées de pain, comme une mouette? Tu ne pourras jamais satisfaire ta faim! Non, mais regardez un peu cette façon de se jeter sur la nourriture! Donne-moi ce pain, je vais te le griller!
Et Maria Sergueevna enfilait rapidement le morceau sur une tige de fer qu'elle avait transformée en broche, le grillait un moment sur le poêle et le rendait à sa propriétaire, enveloppé d'un arôme de pain chaud.
«Ainsi il sera plus nourrissant...
Elle se glissait partout dans la baraque comme une anguille, faisant profiter chacune d'entre nous de son expérience, de son aide, de ses mots maternels, exigeants, bienveillants.

Evguénia S.Guinzbourg, Le vertige, Points Seuil, p 375