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Billets pour la catégorie Haechler, Jean :

jeudi 20 février 2014

L'Encyclopédie caviardée

Grimm restera également silencieux et ne fera état de cette censure que beaucoup plus tard, écrivant en janvier 1771:

«Le coup le plus sensible et le plus funeste qui ait été porté à l'Encyclopédie est resté absolument ignoré du public, et c'est une anecdote assez intéressante et assez curieuse pour être considérée dans ces fastes ignorés des profanes. Je doute qu'on trouve dans l'histoire entière de la littérature, pour la hardiesse et la bêtise réunies, un trait pareil à celui que je vais rapporter. [… Le Breton] s'érigea avec son prote, à l'insu de tout le monde, en souverain arbitre et censeur de tous les articles de l'Encyclopédie. On les imprimait tels que les auteurs les avaient fournis; mais quand M. Diderot avait revu la dernière épreuve de chaque feuille, et qu'il avait mis au bas l'ordre de la tirer, M. Le Breton et son prote s'en emparaient, retranchaient, coupaient, supprimaient tout ce qui leur paraissait hardi ou propre à faire du bruit et à exciter les clameurs des dévots et des ennemis, et réduisaient ainsi, de leur chef et autorité le plus grand nombre des meilleurs articles à l'état de fragments mutilés et dépouillés de tout ce qu'ils avaient de précieux, sans s'embarrasser de la liaison des morceaux de ces squelettes déchiquetés, ou bien en les réunissant par les coutures les plus impertinentes. On ne peut savoir au juste jusqu'à quel point cette infâme et incroyable opération a été meurtrière; car les auteurs du forfait brûlèrent le manuscrit que l'impression avançait, et rendirent le mal irrémédiable. Ce qu'il y a de vrai, c'est que M. Le Breton, si clairvoyant dans les affaires d'intérêt, est un des hommes les plus bornés qu'il y ait en France…»

[…]
Ainsi, cet ouvrage, centre d'une histoire des idées, que nous considérons comme le monument du XVIIIe siècle s'avère un monument mutilé.

Jean Haechler, L'Encyclopédie - les combats et les hommes, p.353-356

mardi 11 février 2014

Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721 - 1794)

Dans ses mémoires, Mme de Vandeul, fille de Diderot, écrit: "M. de Malesherbes prévint mon père qu'il donnerait le lendemain ordre d'enlever ses papiers et ses cartons. Ce que vous m'annoncez là me chagrine horriblement; jamais je n'aurai le temps de déménager tous mes manuscrits, et d'ailleurs il n'est pas facile de trouver en vingt-quatre heures des gens qui veuillent s'en charger et chez qui ils soient en sûreté. — Envoyez-les tous chez moi, lui répondit M. de Malesherbes, l'on ne viendra pas les y chercher. En effet, mon père envoya la moitié de son cabinet chez celui qui en ordonnait la visite"1. Et Malesherbes de donner la comédie en se présentant officiellement chez Le Breton, muni d'une lettre de cachet, pour saisir des documents… se trouvant à l'abri chez lui. Ainsi l'essentiel est-il préservé: le privilège subsiste et les manuscrits sont soustraits à la saisie.
Diderot se sent déjà moins seul.
Courageux et admirable Malesherbes! Honnête Malesherbes conscient plus que quiconque du fouvoiement d'un pouvoir qu'il veut défendre contre lui-même, tant lui semble regrettable et maladroit cet étranglement de la liberté de diffuser la pensée que l'Eglise impose à la Monarchie. Clairvoyant Malesherbes qui écira: "Quand on voit des fanatiques, on peut prévoir qu'il y aura des sacrilèges".

Jean Haechler, L'Encyclopédie - Les combats et les hommes, p.143-144 (Les Belles Lettres 1998)


Nommé en 1750 par son chancelier de père directeur de la librairie, c'est principalement la censure qu'il assume dans un climat déchaîné où s'affrontent une littérature philosophique très exigeante de liberté d'expression, une réaction religieuse à fleur de peau, un Parlement jalous de prérogatives incertaines et contestées. Clairvoyant, Malesherbes ne méconnaît pas l'intolérance dont usent les Encyclpédistes face à leurs adversaires; sa sympathie pour le projet encyclopédique est aussi grande que l'est sa conviction de la nécessité de libéraliser la presse soumise à toutes les pressions; il aura été le véritable protecteur sans qui, selon le mot de Grimm, l'Encyclopédie n'eût vraisemblablement jamais osé paraître; comme l'écrit Ducros: "Par une étrange ironie du sort, le seul homme peut-être qui souhaitait pour son pays une presse vraiment libre était celui-là même qui avait pour mission de la surveiller." Son Mémoire sur la liberté de la presse est un texte majeur.

Bien qu'il tînt une des hautes fonction de l'Etat, il était de naturel simple, aimait les conversations de qualité en petit comité; ainsi réservait-il ses moments libres à l'intimité de Jaucourt, de Condillac ou de Mably. Mis à part quelques réactionnaires de petite venue, les jugements sur lui sont toujours extrêmement élogieux. Même Rousseau, pourtant si sévère dans ses Confessions, écrit à son sujet: "J'ai toujours regardé M. de Malesherbes comme un homme d'une droiture à toute épreuve. Jamais rien de ce qui m'est arrivé ne m'a fait douter de sa probité"2. Quand on connaît l'amicale et fidèle prévenance dont le directeur de la librairie a entouré Jean-Jacques, l'expression laudative est bien comptée. Cet homme courageux qui n'a jamais rien caché à son roi de l'état de son royaume, lui est resté fidèle jusqu'à la mort. Volontaire pour défendre Louis XVI devant le Tribunal révolutionnaire, il s'en acquittera avec une loyauté, un dévouement et une conviction que Fouquier-Tinville ne lui pardonnera pas. Il sera arrêté et condamné à mort comme conspirateur et ennemi de la Révolution; et avec lui sa fille et ses petits enfants, après une parodie de justice; le 3 floréal, il aura la douleur de voir rouler la têtes de tous les siens avant de présenter la sienne au bourreau; cet homme admirable montant les marches de l'échafaud en ratera une en raison de sa vue basse: "Mauvais présage: un Romain serait rentré chez lui!" lui prête-t-on comme dernière parole. Malesherbes fut une des figures les plus pures de son siècle.

Ibid., p.119-120



1Œuvres complètes de Diderot, ed J.Assézat et M. Tourneux, I, XLV.

2Jean-Jacques Rousseau, Confessions, II

samedi 8 février 2014

Messaline contre Xantippe

Je passe à la bibliothèque prendre des livres sur L'Encyclopédie qui va être LE sujet de week-end.

Parmi ce que je ramène (le classique Que sais-je?, etc.), L'Encyclopédie - les combats et les hommes de Jean Haechler paraît vraiment bien, peut-être un peu décousu (il y a tant de choses à dire) mais absolument palpitant. Je me découvre un héros, le chevalier de Jaucour, qui a bel et bien écrit un quart de L'Encyclopédie à lui seul et dont je n'avais jamais entendu parler.

Au hasard de mon feuilletage, je tombe sur cela : je connaissais Sophie Volland, je ne connaissais pas Madame Diderot.
Messaline contre Xantippe

Déjà le 2 avril 1750, la servante d'un des voisins des Diderot avait déposé plainte pour avoir reçu plusieurs coups de pied de Mme Diderot qui lui avait en cogné violemment la tête contre la muraille. Cette fois-ci c'est La Bigarure qui publie en date du 3 décembre 1751 la chronique d'un pugilat qui se serait produit entre Mme de Puisieux et Mme Diderot. La première "effroyablement laide" et l'autre, "bien qu'une seconde Xantippe, aussi jolie que sa rivale est effroyable". Un jour donc, Mme de Puisieux aurait apostrophé dans la rue Mme Diderot: "Tiens, Maîtresse Guenon, regarde ces deux enfants, ils sont de ton mari qui ne t'a jamais fait l'honneur de t'en donner autant". Mme Diderot fonce: échaffourée violente, digne de l'Illiade, selon le chroniqueur. Dans l'impossibilité de leur faire lâcher prise, "il fallut jeter de l'eau froide sur les adversaires afin de les séparer" tandis que Diderot, pendant ce temps, restait silencieusement chez lui sans se montrer. On conçoit qu'exacte ou déformée, l'anecdote ainsi diffusée dut bien embarrasser le philosophe.

Jean Haechler, L'Encyclopédie - les combats et les hommes, p.123 (Les Belles Lettres, 1998)

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