Selon l'évidence énoncée par Platon, on ne reconnaît que ce que l'on a déjà rencontré : ainsi la dimension christique des Chroniques de Narnia ne peut-elle être perceptible qu'à un chrétien :
Le nom de Dieu y est tu. Mais le silence qui est fait sur son nom libère aussi le champ d'une reconnaissance. L'œuvre contraint ainsi l'interprétation théologique. Elle peut être lue athéologiquement par celui que nulle connaissance du monde de la foi n'habilite à reconnaître, dans le monde de la féerie, un reflet du monde de la foi. Mais ce ne sera pas une lecture plénière ; celle-ci exige en effet une fusion des horizons (comme l'exige toute lecture), et c'est bien l'horizon du monde de la foi (et non pas simplement celui du monde de la vie, ou de la conscience de l'homme contemporain, etc.) qui doit s'y fondre avec celui de l'œuvre. Le Christ pseudonyme de Lewis, et son Dieu anonyme, ne sont déchiffrables que si les noms de Dieu et du Christ ont déjà été prononcés.

Jean-Yves Lacoste, Narnia, monde théologique ?, p.27
Ce qui est vrai pour un conte de fée l'est aussi pour un texte philosophique. Entre avènement de la raison et Parousie, quel écart ? Lire Hegel quand on est chrétien c'est se trouver sur un chemin balisé de signes de reconnaissance, signes invisibles à celui qui ne les connaît pas.
Un parallèle peut être éclairant, quoiqu'un peu peu surprenant. Nul ne peut aujourd'hui douter que la théologie trinitaire et la christologie soient le secret de la Logique de Hegel. Le principe de sa dialectique de l'être, de l'essence et du concept (qui décrit la vie concrète de l'esprit) est la médiation, qui est réconciliation. Et le fond de la médiation logique, la dernière instance de la fondation, est bel et bien l'œuvre trinitaire et christologique dans laquelle l'Absolu pose dans l'être l'autre que lui, et se le (ré-)concilie. Il importe peu que la théologie d Hegel ait ses déficits. Il importe en revanche qu'une structure christologique et trinitaire puisse être déployée sans que le savoir positif de la foi ne soit explicitement convoqué au lieu de ce déploiement. Du coup, la Logique s'expose elle aussi à une lecture athéologique : un bref coup d'œil à l'histoire des études hégéliennes suffit à le monter.

Ibid., p.27