«Maintenant tu es mort», on disait. Maintenant tu es mort. On jouait toujours à la guerre. On jouait à plusieurs, à deux, ou tout seul, chacun dans son rêve. C'était toujours la guerre, toujours la mort.
«Ne jouez pas à ça, disaient les parents, sinon vous allez devenir comme ça.» Vous parlez d'une menace! On rêvait justement de devenir comme ça. Et pas besoin de jouets guerriers. N'importe quel bâton faisait office d'arme, et les pommes de pin, de bombes. Aussi loin que je remonte dans mon enfance, je ne me rappelle pas avoir fait pipi une seule fois, par terre ou dans les cabinets du jardin, sans objectif à bombarder. À cinq ans, j'étais un bombardier chevronné.
«Si tout le monde joue à ça, disait ma mère, il y aura la guerre.» En effet, il y a eu la guerre.

Sven Lindqvist, Maintenant tu es mort. Le siècle des bombes, p.13


Ce n'est pas nécessairement pour atteindre certains buts que les gens se lancent dans une guerre, écrit van Creveld. Souvent, c'est même le contraire: les gens se trouvent des buts pour avoir l'occasion de faire la guerre. L'utilité de la guerre est douteuse, mais «sa capacité à divertir, inspirer et fasciner n'a jamais été mise en doute [438].»
La guerre divertit surtout les hommes. Elle est pour eux une tentation, une jouissance et la confirmation de leur virilité. «On soupçonne que, s'ils devaient choisir, les hommes renonceraient aux femmes, plutôt qu'à la guerre», écrit van Creveld [439].
Si l'envie de tuer est, pour beaucoup d'hommes, encore plus puissante que l'instinct sexuel, les guerres futures sont sans doute inévitables. Pourtant, même pour ces hommes-là, cela ne devrait-il pas poser un problème, que leur jouissance exige autant de cadavres d'enfants? Que cette guerre qui conforte leur virilité estropie et tue des enfants par milliers?
Non, van Creveld ne voit pas le problème. À l'évidence approbateur, il écrit dans l'épilogue de son livre: «Pour l'homme, rester à la maison avec sa femme et sa famille n'est pas le chemin essentiel vers la joie, la liberté, le bonheur et même le délire et l'extase. À tel point que, bien souvent, il n'est que trop heureux d'abandonner ceux qui lui sont le plus chers pour faire la guerre [440]!»

Ibid, p.351

[438] Martin van Creveld, On future war - épilogue
[439] op.cité - chap 7
[440] op.cité - épilogue