Billets pour la catégorie Mandelstam, Ossip :

Funérailles décoratives

Au point de vue décoratif comme au point de vue politique, les funérailles d'Anatole France resteront un modèle du genre. Sans parler du catafalque, des draperies, des torchères, tous les pouvoirs publics, toutes les grandes administrations, tous les corps constitués, disposaient d'une tribune particulière.

Le Figaro, octobre 1924. (notes à propos du Timbre égyptien d'Ossip Mandelstam)

Café russe

A Klin, il prit du café de chemin de fer qui se fait toujours d'après la même recette depuis le temps d'Anna Karénine, avec de la chicorée, un peu de terre de cimetière et on ne sait trop quelle autre saleté du même genre.

Ossip Mandelstam, Le Timbre égyptien, dernière page

La musique

Lors des derniers cruchons, Aline m'a offert Le Timbre égyptien, d'Ossip Mandelstam, réédition de la traduction de Georges Limbour paru en 1930 dans la revue Commerce. Le livre est imprimé à Saint-Just-la-Pendue, nom merveilleux.

Ce n'est pas une nouvelle, tout juste une errance, dans Saint Pétersbourg bien sûr (combien d'errances dans Saint Pétersbourg dans la littérature russe?), une errance autant dans les rues que dans l'imagination et les souvenirs du narrateur, et les actes d'un personnage à peine esquissé. Grande importance des objets, tout prend vie, le décor entier n'est plus un décor mais une foule d'objets amicaux qui ne parvient pas à combler l'impression de solitude et de fuite que laisse le livre — fuite et solitude, ébauche de désespoir dans la vapeur de l'eau bouillie et des fers à repasser.

Les portées ne caressent pas moins l'œil que la musique elle-même ne flatte l'oreille. Les noires sur leurs échelles montent et descendent comme des allumeurs de réverbères. Chaque mesure est une petite barque chargée de raisins secs et de musca noir.
>Une page de musique, c'est d'abord une flotille à voiles rangée en ordre de bataille, puis un plan selon lequel sombre la nuit organisée en noyaux de prunes.

Les chutes fantastiques des mazurkas de Chopin, les larges escaliers à clochetons des études de Liszt, les parcs de Mozart aux treilles suspendues, tremblantes, à cinq fils de fer, n'ont rien de commun avec le buisson nain des sonates de Beethoven.
Les villes de mirage des signes musicaux surgissent comme des petites cages d'étourneaux dans la résine bouillante.
Le vignoble des notes de Schubert est toujours becqueté jusqu'aux pépins et battu par la tempête.
Quand des centaines d'allumeurs de réverbères courent ça et là dans les rues, suspendant des bémols à des crochets rouillés, fixant les girouettes des dièses, faisant descendre des enseignes entières de mesures grêles, c'est certainement Beethoven; mais quand la cavalerie des huitièmes et des seizièmes avec des panaches de papier, des fanions et des petits étendards s'élance à l'attaque, c'est encore Beethoven.
Une page de musique, c'est la révolution dans une vieille ville allemande.
Enfants à grosse tête. Etourneaux. On dételle le carosse du prince. Les joueurs d'échecs sortent en courant des cafés, brandissant pions et fous.
Voilà des tortues, allongeant leurs tendres têtes, se mesurant à la course: c'est Haendel.
Mais combien martiales sont les pages de Bach, ces étonnantes grappes de cèpes séchés.
Dans la Saovaïa, près de l'église de l'Intercession s'élève la Tour des Pompiers. À cette tour, pendant les gelées de janvier sont hissés les raisins des signaux d'alarme, pour le rassemblement des brigades. Non loin de là, j'apprenais la musique. On m'enseignait la pose de mains d'après le système Leszetychi.
Que le paresseux Schumann étende ses notes comme du linge à sécher et qu'en bas se promènent des Italiens le nez au vent! que les passages les plus difficiles de Liszt, brandissant leurs béquilles, traînent çà et là des échelles de pompiers!
Le piano est une bête d'appartement bonne et sage, à la chair de bois fibreuse, aux veinesd'or, et aux os toujours enflammés. Nous le gardions des refroidissements, le nourrissions de sonatines légères comme des asperges.

Ossip Mandelstam, Le Timbre égyptien

Chapiro

La nuit, quand je m'endormais sur mon sommier fatigué, je me demandais ce que je pourrais faire pour Chapiro: lui donner un chameau et une boîte de dattes afin qu'il ne pérît pas dans les Sables, ou le conduire avec cette martyre, Mme Chapiro, à la cathédrale de Kazan, dont le voile troué était noir et doux.

Ossip Mandelstam, Le timbre égyptien, p.33
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