Billets pour la catégorie Mansuy, Michel :

Métaphores de la clôture

C'est un bachelardien qui parle:
«La formation du je se symbolise oniriquement par un camp retranché», note Lacan dans le «Stade du miroir» (Ecrits, coll. Points, Seuil, t.I, p.94). Les images obsidionales sont parmi les plus fréquentes du Nouveau Roman, avec leur signification ambiguë de claustration et de protection, avec leur accompagnement alterné de satisfaction et de dégoût. L'emploi du temps enferme, une année entière, ses personnages dans une ville d'où l'on ne sort jamais; on y tourne en rond et le souvenir du Minotaure flotte sur elle. Les Gommes et le Labyrinthe se situent dans un dédale urbain, les romans de N. Sarraute dans de petits cercles où l'on cause. Le narrateur de Quelqu'un est prisonnier de sa pension et de son jardinet. Pour que ces espaces cessent d'être étouffants, il faut qu'ils représentent le bureau de l'écrivain. Le bureau est l'un des rares sanctuaires du Nouveau Roman: malgré ses relations avec l'extérieur, c'est le dedans protégé du dehors où il pleut, où il neige, où il fait froid. Je le rencontre, ce fameux bureau, un peu partout: dans Le Labyrinthe, dans La Bataille de Pharsalle, dans les Révolutions minuscules, à la première ligne de Quelqu'un. Il y a de l'ermite chez le nouveau romancier, un ermite qui ne prie pas, mais écrit pour écrire: «J'ai mes petites affaires, mon petit travail, je peux me passer de tout le monde, je peux vivre seul. La bouffe n'est pas compliquée et le reste ça n'existe pas.» (Quelqu'un, p.7)

Le choix délibéré d'un sujet inexistant, où certains ont vu une volonté délibérée de contester le roman, représente aussi pou l'écrivain, il faut le dire ici, une manière de se redéployer soi-même. Je rangerai donc ce mode d'écriture parmi les enroulements défensifs et j'y verrai un effet de l'imagination néo-romanesque. Il est d'autant plus visible, cet effet, que non content de réduire le sujet, on l'enferme dans une durée étroitement resserrée: vingt-quatre, douze heures, cinquante-cinq minutes, quelques instants. On me fera observer que ces quelques instants résument une existence entière. Tout de même, cette existence est singulièrement bornée, surtout du côté de l'avenir: le «tout petit futur» de Pinget.

Je ferai également passer du domaine de la technique à celui de l'imagination le procédé qui consiste à répéter jusqu'à satiété les mêmes épisodes, de manière à les faire tourner en rond comme un manège. Car cet éternel retour inspire à l'auteur et au lecteur le mélange de dégoût et de soulagement qui caractérise l'imagination défensive. Ce temps romanesque embobiné comme une pelote, ce temps qui se mords la queue, ne produit plus, bien sûr, que le néant: d'où la nausée. Mais, d'un autre côté, il ne fuit plus comme le temps de Ronsard. Il daigne enfin suspendre son vol. Et moi, lecteur, je m'en réjouis. En achevant ce livre dont la dernière phrase est identique à la première, j'ai l'impression d'avoir, pendant cinq heures, cessé de vieillir. Comme l'Achille de Paul Valéry («Achille immobile à grands pas»), j'ai parcouru l'ouvrage à grands pas, mais immobile. Ce qui, joint à l'effet musical de la répétition, apporte une curieuse satisfaction.

intervention de Michel Mansuy à Cerisy en 1971, reprise in Nouveau Roman: hier, aujourd'hui - 1. Problèmes généraux p.81
La références aux actes de ce colloque est donnée par Journal de Travers. Ce passage n'est pas du genre à intéresser Renaud Camus, du moins à l'époque. Je le recopie ici par ce qu'il parle de l'espace, du temps et du je.

Un monde sournois

Le qualificatif que Robbe-Grillet applique le plus volontiers à la vie comme aux êtres est l'adjectif sournois. Non pas absurde, notez-le bien, ni tragique, mais sournois.

intervention de Michel Mansuy au Nouveau Roman: hier, aujourd'hui - 1. Problèmes généraux, p.79
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