Billets pour la catégorie Mauriac, Claude :

Je sais bien, mais quand même

Une autre fois, il [Michel Foucault] dit :
— Là, Claude Mauriac n'était pas d'accord — et je crois qu'il avait raison, encore que moi…
Sous-entendu : je pensais et je continue de penser différemment.

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.396 (19 novembre 1972)

Les phrases hors contexte

Oui, tous les «journaux», même les plus exacts, les plus sincères, trahissent. Le fait d'isoler un propos le mue en anecdote, le coupe de son ensemble de paroles tues mais communiquées, de ce rien d'ironie qui met les choses en place. Ce qui était mobile, fluent, rapide, devient immobile, figé, rigide. Des lecteurs futurs souriront, s'amuseront,, se moqueront, feront les esprits forts et les grands cœurs à bon compte, raconteront en simplifiant encore ces mots, ces anecdots un peu scandaleuses et touchantes. Il m'est arrivé bien souvent, pour éviter de tels malentendus, de tels contresens, de renoncer à rapporter ici telle phrase, telle boutade de mon père.

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.254 (21 août 1965)
Claude Mauriac s'inquiète de ce que ce qu'il rapporte puisse être mal interprété, ou même utilisé à charge.
Pour ma part, mais bien sûr il s'agit de fragments de littérature et non de fragments de vie, j'adore ça. J'adore détourner le sens d'une phrase, lui donner un sens absolu, en la coupant de son contexte.
Ainsi la phrase de sur la révolte citée par Renaud Camus (et que j'ai citée plus bas) intervenait dans le contexte domestique suivant, qui change passablement sa portée:
La canicule sévit toujours. On nous a donné une médiocre chambre sans air conditionné, ouvrant sur une rue latérale au-dessus d'un café d'évidence adoré de la jeunesse gueularde. Impossible de laisser la fenêtre ouverte, impossible de la fermer. À minuit, n'en pouvant plus, je suis tout de même allé me plaindre. On eut l'air presque étonné que je ne l'eusse pas fait plus tôt. Et on m'a donné aussitôt, pour le même prix, cette chambre-ci, qui est plus grande, qui ne donne pas sur la rue aux terrasses de café, et qui, comble du luxe, dispose de l'air conditionné. Comme quoi, Sartre et Benny Levy ont dit vrai: On a raison de se révolter.

Renaud Camus, Parti pris, p.272
Cette phrase solennelle dans ce contexte trivial est drôle, cette phrase hors son contexte suinte désormais l'ennui car elle est devenue un cliché, un mot d'ordre obligatoire (Indignez-vous), cette phrase hors contexte quand on sait de quel contexte elle vient d'être tirée est de nouveau amusante, puisque le mécanisme initial consiste justement à citer cette phrase dans un "mauvais" contexte, en porte-à-faux.

Dieu protège les poulets

Claude Mauriac cite André Frossard :
Cent quarante balles ont été tirées sur le cortège; quatorze projectiles de fusil mitrailleur ont atteint la voiture présidentielle. Personne n'est blessé. A Villacoublay, le général descend de voiture en disant: «Eh bien, messieurs, cette fois, c'était tangent.» Et à Madame de Gaulle: «Yvonne, vous êtes brave.» «J'espère, dit-elle, que les poulets n'ont rien eu.» On mit cet argot tout à fait inhabituel sur le compte de l'émotion. En fait, Madame de Gaulle ne s'inquiétait pas pour les policiers de l'escorte, tous indemnes autour d'elle, mais de deux poulets de basse-cour qu'elle avait logés dans le coffre de la voiture présidentielle. (La France en général, p.221-225)

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.189

Handicap

Claude Mauriac déjeune avec André Malraux.
Moi-même, je me découvre pour la première fois sans complexe à son égard. Non certes que nous parlions d'égal à égal. Mais je ne me sen plus écrasé. Je n'ai pas la prétention de faire le poids, mais je lui réponds, je l'interromps, cela n'est jamais arrivé, c'est la première fois qu'il y a dialogue entre nous. Je joue le jeu, le jeu de l'intelligence avec le plus intelligent de nos contemporains. J'ai, il est vrai, un avantage: il ne boit pas (plus) d'alcool (il prend des jus de tomate et, à la fin, une orange pressée) et je bénéficie, moi, de ce que m'apporte une excellente demi-bouteille de bordeaux, qu'il a choisie et que l'on a décantée.

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.148, Grasset, 1976

Les antistaliniens de la première heure

Pierre de Boisdeffre était venu assister à l'émission. J'ai évoqué le temps où il n'y avait d'antistaliniens, à Paris, autour de Malraux, que notre petite équipe de Liberté de l'esprit. Où nous passions pour des fascistes; au mieux: pour des fossiles de droite.

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.144 (15 mai 1975) - Grasset, 1976

Malraux, de gauche à droite

Le colonel Berger lui a apporté un surcroît de lumière, sur lequel il [Malraux] a vécu depuis lors, sans l'alimenter, son adhésion au gaullisme ayant eu au contraire pour effet d'en atténuer le rayonnement aux yeux de ceux de l'autre bord — qui avait été, si longtemps et de façon si éclatante, le sien. En ce sens Malraux servit de Gaulle et fut desservi par lui. Il lui apporta beaucoup et n'en reçut rien. Si puissant était, pour «la gauche», le préjugé antigaulliste que l'on s'y étonna de voir Malraux survivre à cette conversion. Tel est son génie (tel celui, enfin reconnu par les hommes de gauche, de de Gaulle) qu'il a gagné, à la fin, n'ayant rien perdu de son prestige s'il n'y a rien ajouté.
[...]
André Malraux est allé au feu du mépris. Le «mépris» facile de ceux qui sont «du bon côté», celui de la gauche, et qui n'assument pas le risque que Malraux a accepté: sembler trahir le peuple pour mieux le servir.

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.138 (29 mai 1975)

De Gaulle et les enfants

Il [Malraux] parle maintenant pour nous tous :
— Ce qui avait changé, dans les dernières années, c’étaient les relations du Général avec l’enfance. On ne l’imaginait pas racontant Peau d’Âne à Philippe de Gaulle. Les enfants n’existaient pas pour lui. Ni ses enfants. Mais il a découvert ses petits-enfants. La dernière fois où je suis allé à Colombey…
[...]
— …il y avait, sur la fameuse table des patiences, des objets en fil de fer… j’appris qu’il s’agissait de jeux auxquels s’amusaient ses petits-enfants. Madame de Gaulle me dit: «Oui, le Général s’exerce pour battre ses petit-fils…» Il avait découvert les enfants. Et il avait aussi découvert les animaux. Un chat, notamment, nommé Grigris, dont il disait: «Il n’a pas peur de moi!»

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.84 (23 février 1971) - Grasset, 1976

Le titre de ministre

Il est près de deux heures lorsque Malraux arrive enfin. […] (Tout le monde, à Verrières, l'appelle «le ministre» ou M. le Ministre, selon que l'on est de «la famille» ou que l'on est à son service.) (Et même «Tonton Ministre», me dit Corinne de Vilmorin.)

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.84 (23 février 1971)
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