Billets pour la catégorie Mauriac, Claude :

Une hérédité chargée

Qui, à qui j'expliquais que le fils de François Mauriac avait épousé une petite-nièce de Proust et d'Edmond Rostand, m'avait répondu avec incrédulité: «C'est possible, ces choses-là?»
Lundi 21 mai 1951

Marie-Claude me présente à ses deux grands-mères: la sœur d'Edmond Rostand, Mme Louis Mante-Rostand et la belle-sœur de Marcel Proust, Mme Robert Proust… La première dans un bel hôtel de la rue du Bac avec une vue de jardins dont le silence et la verdure vous transportent très loin de Paris; la seconde dans un appartement sinistre et nu de l'avenue de Messine. Mme Gérard Mante nous rejoint chez sa mère. Nous prenons un verre en face du Fouquet's, puis dînons square Lamartine. Marie-Claude me raccompagne à la maison.

Claude Mauriac, Aimer de Gaulle, p.168 (Grasset, 1978)


Extrait de conversation :
— Tu connais la BD XIII ?
— Euh oui, un peu, de nom…
— Eh bien, c'est un plagiat complet de Ludlum. Quand je l'ai commencée, je n'en revenais pas, cela aurait pu mener à un procès. Enfin, je suppose que Ludlum s'en fiche. Enfin, juste le début, après ça diverge. Un peu comme La bicyclette bleue et Autant en emporte le vent, je crois. Il y avait bien eu un procès?
— Oui. Tu sais ce que c'est, La bicyclette bleue?
— Euh non.
— C'est Malagar. Régine Desforges vit avec Pierre Wiazemsky, tu vois qui c'est?
— Je ne connais qu'Anne.
— C'est son frère, le dessinateur Wiaz.


Une info est sous-entendue dans cette conversation: les enfants Wiazemsky sont les neveux de Claude Mauriac, sa sœur ayant épousé le prince Wiamzemsky, rencontré pendant la guerre. Lorsque Claire le présenta à son père François Mauriac, celui-ci, inquiet, demanda à Henri Troyat, ami intime de la famille, qui était ce prince de pacotille: c'était un "vrai" prince.

Sage précaution

Samedi 27 janvier 1945.

[…] La menace qui pesait sur la vie de mon père et qui la hantait depuis des semaines s'écartait. Inutiles les verrous de sûreté de la porte, et l'ange gardien, si gênant qu'on omettait malgré tout de faire appel à lui. Notre voisin du dessous allait pouvoir enlever la prudente pancarte épinglée sur sa porte et portant, en lettres bien lisibles, ses noms et qualités afin que les assassins ne pussent se tromper d'étage et de victime… Nous savons par la cuisine que ces bruits de représailles en cas de condamnation à mort de Maurras étaient venus jusqu'à lui et qu'il avait jugé bon de prendre cette mesure de précaution.

Claude Mauriac, Aimer de Gaulle, p.125 (Grasset, 1978)

Entre deux maux

Il faut savoir préférer un mauvais journal à pas de journal du tout.

Claude Mauriac, Aimer de Gaulle, p.67 (Grasset, 1978)

Maria Chapdelaine

J'emporte le premier tome du journal de Du Bos avec l'intention de demander le prix d'une "reliure de travail": il part littéralement en lambeaux, j'ai la robe couverte de petits bouts de papier.

(Ma curiosité a été réactivée récemment par une remarque de Claude Mauriac dans La terrasse de Malagar, qui lisait ce journal en citant un autre auteur qui disait qu'il y a toujours dans Paris la nuit quelqu'un en train de lire le journal de Du Bos (souvenir très fautif. Je chercherai le passage exact). Où ai-je relu, là aussi récemment, que Du Bos citait parfois longuement le livre qu'il devait critiquer en lieu et place de l'article qu'il devait écrire, entraîné par son amour des pages qui se défendaient si bien elles-mêmes? Je comprends si bien cette pulsion.)

Je le feuillette dans le RER, ou plutôt j'en lis la première page, car il est impossible de feuilleter un livre dans cet état. Maria Chapdelaine. Du Bos: «…si pour les esprits comme le mien auxquels une certaine naïveté naturelle fait défaut, ce ne sont pas les livres les plus simples qui donnent naissance et presque exclusivement aux préoccupations les plus techniques.»

Maria Chapdelaine lu au collège. Douze ou treize ans. Je me souviens de l'attente, de l'amour pudique, de l'ennui, du vide, de la tempête de neige, de l'angoisse, du chapelet récité, et m'être dit «ça ne marchera pas», parce que ça n'avait pas marché lorsque j'avais essayé pour ma chienne malade.

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Complément le 17 juillet 2014

Très fautif le souvenir :

Vers ces années-là, 1928-1929, mon père aimait raconter que le fils d'un de ses amis — Jean-Pierre Giraoudoux? François Valéry? — disait qu'il lui arrivait, au milieu de la nuit, d'aller chercher un volume de Du Bos pour en savourer quelques pages et pouvoir se dire: «…Dans le monde entier, je suis le seul qui lit, en ce moment, du Du Bos…»

Claude Mauriac, La Terrasse de Malagar, p.210-211
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