Dimanche… août 1946

— S'il vous plaît, monsieur, la tombe de Balzac?
Le gardien du cimetière a froncé les souvcils, sans comprendre; et tout à coup son visage s'est éclairé et il a dit sur un ton d'indulgente supériorité:
— Honoré de Balzac, vous voulez dire? Alors, c'est différent: écoutez…
Le jeune homme, embarrassé par les deux bouquets qu'il tenait — un blanc et un rouge — a remercié d'un signe de tête. Puis il est parti, ses fleurs à la main, dans la verte lumière sous-marine qui est celle du Père-Lachaise en été, et je l'ai suivi de loin à travers les sépultures, seul avec lui sous la voûte des arbres. Le buste de Balzac est apparu entre les croix, je me dissimulai derrière un caveau. Me jeune homme ne s'agenouille pas; il ne paraît point davantage prier: simplement, il dispose ses œillets et ses marguerites sur la pierre, avec autant d'amour, semble-t-il, que Félix de Vandenesse préparant, au bas du perron de Clochegourde, ses bouquets pour Mme de Mortsauf. Il reste ensuite un long moment immobile, les bras croisés, dominant comme Rastignac ce Paris assoupi que recouvrent déjà les ombres du soir. Mais aucun désir de conquête ne doit hanter cette âme que je devine sans ambition.
Lorsqu'il fut parti, je m'approchai à mon tour du tombeau et je vis, en regardant la plaque, qu'il y avait tout juste quatre-vingt-seize ans que Balzac était mort.


Lundi.

Cette tombe bien entretenue et que deux bégonias en pots me parurent décorer de façon permanente, me fit me souvenir d'une lettre que reçut le général de Gaulle à l'époque où il était au Gouvernement. Un correspondant inconnu l'y informait de l'état de délabrement dans lequel se trouvait la sépulture de Balzac. Je communiquai pour éléments de réponse cette lettre à Marcel Bouteron. Il répondit peu de jours après qu'il s'occupait de remédier à cet état de chose et que le Général pouvait être assuré que le tombeau du romancier de la Comédie humaine ne serait plus laissé à l'abandon. Une enquête discrète devait révéler peu après que Marcel Bouteron avait supporté personnellement les frais de la restauration et qu'il s'était soucié d'assurer la continuité de cette surveillance au cas où il viendrait lui-même à disparaître. Aussi bien ces deux bégonias étaient-ils vraiment la signature de l'amour.

Claude Mauriac, Aimer de Gaulle, p.345 - Grasset, 1978
Je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui, mais en avril 2010 la concession arrivait à son terme : «Concession en reprise administrative aux fins de sauvegarde, s'adresser à la conservation.»
Il faudrait que j'y repasse.