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Billets pour la catégorie Mauriès, Patrick :

dimanche 31 janvier 2010

Second manifeste camp de Patrick Mauriès

Le camp de Mauriès n'est pas celui de Sontag.
Il s'agit bien d'excès dans les deux cas, mais celui de Sontag porte vers l'extravagance, l'excès de folie, c'est le dandysme de Wilde; celui de Mauriès serait un excès de retenue, une certaine austérité, c'est le dandysme de Barthes. Il y aurait un camp de l'ajout et un camp de l'effacement.

A quoi attribuer cette différence, à l'époque (1964/1979), au sexe (une femme/un homme), à la nationalité (américaine/française)? Ou tout simplement à une différence de tempérament?

Patrick Mauriès donne une étymologie possible de camp: si kitsch serait allemand et viendrait de pacotille, bon marché, inauthentique, camp relèverait directement de la sphère homosexuelle:
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une définition, comme disent les mathématiques, «exacte» du camp semble destinée à rester pour toujours en souffrance. Il y a une géographie du camp: le terme est aussi indéfiniment extensible ou rétractile dans l'espace qu'il l'est dans le temps; cet incessant flottement est encore accentué par l'usage que font du mot les différents auteurs, qui ne cessent de le fléchir vers de nouveaux lieux.

«camp» est, ainsi en Australie, un synonyme strict pour «homosexuel», mais prend en Amérique une couleur beaucoup plus riche, désignant par exemple une esthétique fantaisiste, une ludique irresponsable. Si l'on poursuit une enquête sur les lexiques, presque sans tenir compte des réalités (essentiellement américaines) du «camp», et en se fondant comme toujours d'un rêve de livres, on trouvera que l'anglais n'utilise le mot, selon les uns, qu'à partir du XVIIIe siècle, selon les autres après 1900. Seul Partridge, dans son Dictionary of slang, le pointe à cette date (1909), mais il en dit l'origine inconnue. De l'argot des rues de Londres, le mot passerait à l'argot commun et se dirait pour «homosexuel», à partir du sens original de pleasantly ostentatious, pour être ensuite adoptés par ceux qu'il désigne dans les années cinquante. Camp a, dans le New English Dictionary de Murray, le sens de se battre, de participer à des combats d'athlètes, ou à des concours de beuverie, celui de se disputer, enfin de camper. Il est associé à un to kemp archaïque ((combattre), et à un cample: se chamailler, to enter on a wordy conflict, avec pour référence une citation de l'Anatomy of melancholy: «if they be incensed, angry, chid a little, their wives must not cample again but take it in good part». Bref, tout un relent de disputatio, de querelle de mots, de rivalité obscure, essentiel certes à une définition du camp, mais sans rien qui concerne l'esthétisme. Le Dictionnaire d'américanismes de Deak donne camp pour l'abréviation pure et simple de campus; a camp queen est une jeune fille dont la personnalité rayonne sur la classe. L'encyclopedia americana donne bien le sens voulu — le faisant remonter au pleasantly ostentatious cité —, mais c'est pour avoir lu Susan Sontag… Camp n'existe pas, jusqu'à présent, en français; mais il serait peut-être prudent de reprendre en l'adaptant, une vieille définition de grammaire; et de soutenir que le mot camp n'est pas autre chose qu'un «mot vicaire» — indiquant ainsi que le lieu rêvé du camp, c'est l'inadéquat.

Patrick Mauriès, Second manifeste camp, p.65-66 (Seuil, 1979)
Etonnant dans ce livre le nombre de noms cités oubliés aujourd'hui: relation du camp à la mode, le camp comme une trop grande actualité, aussitôt démodée. Être et avoir été camp, est-ce possible?
Le temps, l'Histoire, l'oubli: comment vivre l'effacement sans être oublié? Importance de la biographie, trace contre la mort.

biographies lues :
on ne sait jamais ce qui importe le plus d'un point de vue camp, de l'œuvre elle-même ou de la biographie de son auteur: de l'œuvre ou de la vie de Pater, de l'œuvre ou de la vie de Strachey — exemple parfaitement approprié, puisque sa biographie compte à peu près autant, sinon plus, de pages que son œuvre écrite. Ni l'une ni l'autre (pas plus qu'une quelconque synthèse explicative) n'ont à porter l'accent, parce qu'elles sont pour le camp également fabuleuses, possibles objets d'un langage second.
fascination «culturelle» pour les vies de bibliothèques, pour la confusion de l'original et de la référence, du véridique et du romanesque, pour le jeu des interprétation gratuites, qui se retrouve dans la rhétorique de la question (quoi — de l'écrit ou de la vérité?) et anime le goût que le camp entretient pour la biographie. Sans doute faut-il y voir l'expression d'une (fausse) pulsion mimétique, cette pulsion qui entraîne avec passion toute biographie tant soit peu extravagante, et très précise, genre éminemment anglais qui, pour des raisons sans doute facile à déterminer, n'est jamais très bien accepté en France.
Ibid., p.36-37
biographies écrites :
Un personnage camp est toujours en train d'écrire sa biographie: récit très détaillé, comportant une foule de gestes et d'actes superbes, ponctué de coups de théâtre, de retours dramatiques, de départs définitifs, etc. Grevé aussi d'une immaîtrisable lassitude, et d'un désintérêt profond. Tout à fait exemplaire de cet état de choses, la phrase de Genet (qui est, notons-le, au passé simple): «Se regardant faire, il pensa: "il virevolta"…»
Ibid., p.88
Lire les vies superbes des autres, écrire la sienne sur un mode épique, mais en réalité pratiquer l'effacement, la dérobade:
il faut jouer, dit Gracian, du silence comme d'un pouvoir: laisser non seulement croire qu'il cache quelque chose, mais aussi et surtout qu'il masque une intransigeante maîtrise de soi; le camp peut se définir comme une esthétique du bluff («car de même qu'au jeu la meilleure règle est celle d'écarter, la meilleure règle dans la vie est celle de savoir se soustraire», lit-on dans el Discreto) qui s'appliquant à soi-même aussi bien qu'à l'autre, ne cherchant pas à le dominer, mais à l'entraîner dans un jeu (il est vrai non sans dangers): l'autre se trouble, se fait énigmatique, incertain, objet silencieux d'une «disposition» perverse… Le camp ne joue jamais que sur de l'implicite, sur une somme de présuppositions dans lesquelles finalement il se perd.
Ibid., p.97
Se dérober pour échapper au temps, écrire pour le retenir et entériner qu'il est déjà trop tard. Le camp selon Mauriès, c'est l'immense nostalgie de la perte, la nostalgie par anticipation de tout ce que l'on va perdre:
faire de la citation une écriture, ce serait donc écrire sans oublier (le savoir, comme l'on sait, est au contraire destiné par essence à l'oubli; et tout lecteur tant soit peu averti ne manquerait pas de voir dans ce désir frénétique de ne rien laisser perdre, la conviction — ou du moins le soupçon — que l'essentiel s'est déjà perdu): le ''camp'' s'imagine prendre de court la mort, en se bondant d'une information toujours plus contemporaine.
Ibid., paragraphe de la fin.
Le camp se définirait donc face à la mort. L'attitude d'un Wilde relèverait d'un léger mépris, du rire devant l'inévitable, celle d'un Barthes de l'effacement, du refus d'insister — non sans tenter dans les deux cas de sauver par l'écriture ce qu'il serait possible de sauver.

samedi 6 juin 2009

Patrick Mauriès

J'ai entendu parler pour la première de Patrick Mauriès dans les commentaires quand j'ai parlé de Susan Sontag.

Je l'aurai rencontré moins d'un mois après, au cours du colloque Kitsch et arts scéniques.




toujours une photo de téléphone : Marie Pecorari, Patrick Mauriès, Isabelle Barbéris.

Nous avons assisté à une lecture par David Christoffel d'extraits du Second manifeste Camp, puis d'un court film de Benjamin Bodi et Laurent Charpentier présentant également des citations de ce livre.

Voici quelques notes prises lors de la table "ronde" (cf. photo ci-dessus) qui a suivi. Je vois peu à peu se dessiner une génération d'auteurs ou d'intellectuels que j'appelle "les enfants de Barthes", "les orphelins de Barthes" serait plus exact. Dieu que cet homme aura été et est encore aimé. J'espère qu'il le savait, qu'il l'aura su.



Comme d'habitude je renarrativise: il ne s'agit pas des mots exacts de Patrick Mauriès, mais de ce que j'en ai retenu, avec toutes les inexactitudes qui peuvent s'y être glissées.

L'idée de ce livre est venue à Patrick Mauriès lorsque celui-ci a découvert Candy darling, l'ami trans de Wahrol. C'était un être non assignable.

Pourquoi ce livre: pour garder une distance, pour restituer l'esprit du temps (le livre date de 1979), c'est-à-dire une jubilation, une ironie, une distance, et enfin pour appliquer la sémiologie (l'analyse du signe), qui était la culture du moment.

Ce livre n'est pas une satire, mais c'est malgré tout un jeu. Il développe cette idée devenue commune d'un artiste sans œuvre. Il s'appuie sur un texte de Susan Sontag. Il s'agissait d'un hommage à Susan Sontag, mais elle l'a très mal pris, sans doute parce qu'elle était en train de devenir très sérieuse en se tournant vers la politique. Ça s'est très mal passé (sourire embarrassé et rieur de Patrick Mauriès).

Selon Edward Gorey, le Camp est un vieux mot qui vient de l'argot de théâtre juif new yorkais.

Patrick Mauriès a bricolé son petit meccano (sic) sans intention de le publier et l'a donné à lire à Barthes. Celui-ci a donné le manuscrit aux éditions du Seuil sans même demander son avis à Mauriès.
C'était étonnant car Barthes était sérieux, pétri de culture classique, il n'était pas du tout dans cet esprit camp. Il a apprécié cette remise en cause.

remarque de Marie Pecorari: Pour moi le kitsch est moins ironique et le camp, davantage.

Patrick Mauriès mettrait le kitsh plutôt du côté du sublime, de l'excessif. Si le camp échoue, souvent cet échec est dû à une ambition trop grande.

Pour Isabelle Barbéris: le camp est une construction de l'éthos. Ce serait un très vieux mot français utilisée chez les anglo-saxons avant de revenir sur le continent. Le camp est plus politique que le kitsch. Le kitsch neutralisé glisse vers le dandysme.

Mauriès s'oppose à Sontag puisque pour elle le camp doit être naïf tandis que pour Mauriès il n'est jamais naïf. C'est peut-être une des raisons du mécontentement de Sontag, parce que d'une certaine façon Mauriès la traitait de naïve. Elle prenait tout cela très au sérieux.
Patrick Mauriès en a été très surpris, car les deux livres étaient différents, très liés à l'esprit du temps (1965 pour Sontag et 1979 pour Mauriès.)
Le livre a fait peur à Angelo Rinaldi. Il s'agissait d'une pseudo-philosophie se référant à la sémiologie, développant une idée, celle de la vie comme œuvre (// de l'artiste sans œuvre).

question d'Isabelle Barbéris: quelle place tient ce livre dans votre œuvre?
Patrick Mauriès — Je viens de sortir un tout petit livre Nietzsche à Nice. Il y a des choses qui reviennent, mais l'effet parodique est moins exploité.
Le second manifeste s'intéressait à des objets ordinaires.

remarque de Patrick Cardon: La revue FMR, ce n'était pas vraiment ordinaire !
Mauriès: oui... mais qui se serait intéressé à Capucci, etc ?

Patrick Cardon : Il y a un souci de rester victorien, un attrait pour cette période... La revue Le Promeneur ne s'intéressait quasiment qu'à des Victoriens...
Mauriès: oui... La période victorienne est une période de répression. La sexualité réprimée transparaît dans les lettres.

dans la salle: Y a-t-il eu des critiques qui n'ont pas vu l'ironie?
— Oui, Angelo Rinaldi, par exemple. Il y a eu une bonne réception dans les milieux de la Mode. Karl Lagersfeld commençait à créer. La Mode était en train de devenir un objet culturel, avec Kenzo, Chloé...
Ce sont des années qui ont été jubilatoires. C'était la création en s'amusant.


Le Second manifeste Camp est disponible dans deux ou trois bibliothèques en France et est introuvable. Patrick Mauriès n'a pas semblé opposé à la proposition de Patrick Cardon de le rééditer.

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