Billets pour la catégorie Metaxas, Eric :

Agir au risque de l'erreur

28 mars 1934 en Allemagne. Bonhoeffer écrit :
«Mon cher Henriod !

J'aurais beaucoup aimé discuter de nouveau de la situation actuelle avec toi, puisque la lenteur de la risposte œcuménique commence à mes yeux à friser l'irresponsabilité. Il faudra bien prendre une décision à un moment, il n'est pas bon d'attendre indéfiniment un signe du ciel qui viendrait résoudre le problème sans aucun trouble. Le Mouvement Œcuménique doit lui aussi prendre position, quitte à se tromper, comme tout être humain. Mais que la peur de se tromper les pousse à tergiverser et à se dérober alors que d'autres, nos frères en Allemagne, sont obligés de prendre des décisions infiniment plus difficiles tous les jours, me semble aller à l'encontre de l'amour. Retarder une prise de décision ou ne pas en prendre est un plus grand péché que de prendre de mauvaises décisions guidées par la foi et l'amour. […] Dans le cas qui nous préoccupe, c'est maintenant ou jamais. "Trop tard" mènera à "jamais". Si le Mouvement Œcuménique ne le comprend pas, et s'il n'y a personne d'assez violent pour s'emparer du Royaume de Dieu par la force (Matthieu 11,12), alors le Mouvement Œcuménique ne sera pas l'Eglise, il ne sera plus qu'une association inutile dans laquelle on prononce de beaux discours. "Si vous ne croyez pas, vous ne serez pas établis" (Esaïe, 7,9). Croire revient à prendre des décisions. Peut-on avoir des doutes quant à la nature de la décision à prendre? Pour ce qui est de l'Allemagne d'aujourd'hui, il s'agi de la Confession de foi pour le Mouvement Œcuménique. Nous devons nous débarrasser de notre peur du monde, la cause du Christ est en jeu. Nous trouvera-t-il endormis? […] Le Christ nous observe et se demande s'il y a encore une personne qui proclame sa foi en Lui.»

Eric Metaxas, Bonhoeffer : pasteur, martyr, prophète, espion, p.280, éd. Première Partie, Paris 2014


Pour comprendre de façon intuitive le combat des nazis contre la chrétienté, voir ce lien :
Said the Nazi propagandist Friedrich Rehm in 1937:
«We cannot accept that a German Christmas tree has anything to do with a crib in a manger in Bethlehem. It is inconceivable for us that Christmas and all its deep soulful content is the product of an oriental religion.»

Selon les propos du propagandiste Friedrich Rehm en 1937:
«Nous ne pouvons accepter qu'un arbre de Noël allemand ait quoi que ce soit à voir avec un berceau dans une mangeoire à Bethléem. Il est inconcevable pour nous que Noël et tout son profond message spirituel soit le produit d'une religion orientale.»

Avant la Bible de Luther, il n'existait pas de langue allemande unifiée

Cette explication intervient durant le récit de l'enfance de Dietrich Bonhoeffer, au début du XXe siècle (il est né en 1905).
La culture allemande était intrinsèquement chrétienne. C'était le résultat de l'héritage de Martin Luther, moine catholique qui donna naissance au protestantisme. Luther était pour l'Allemagne ce que Moïse avait été pour Israël: il surplombait de tout son poids la culture et la nation allemande comme un père et une mère. Sa personnalité charismatique et excentrique conjuguait un amour de la nation allemande et une foi profonde: elles devinrent alors merveilleusement et intimement liées dans sa personne. L'influence de Luther sur l'Allemagne ne peut être sous-estimée. Sa traduction de la Bible en langue allemande fit l'effet d'une bombe. Luther, dans le rôle d'un John Bunyan moyen-âgeux, ébranla durablement l'édifice du catholicisme européen, créant la langue allemande, ce qui donna naissance au peuple allemand. La chrétienneté fut dès lors divisée en deux camps, et du centre de la terre jaillissait le Deutsche Volk.

La Bible de Luther fut pour la langue allemande moderne ce que l'œuvre de Shakespeare et la Bible King James furent pour la langue anglaise moderne. Avant la Bible de Luther, il n'existait pas de langue allemande unifiée. Il existait seulement un fatras de dialectes. Et l'idée même de nation allemande n'était qu'une idée lointaine, une lueur dans les yeux de Luther. Lorsque celui-ci traduisit la Bible en allemand, il introduisit une langue unique dans un seul livre que tout le monde pouvait lire. Et tout le monde le lut. En fait, il n'y avait rien d'autre à lire. Bientôt, tout le monde parla l'allemand utilisé dans la traduction de Luther. De la même façon que la télévision eut pour effet d'homogénéiser les accents et les dialectes des Américains, en adoucissant ces mêmes accent et en lissant les nasillements, la Bible de Luther donna le jour à une langue allemande unique. Des meuniers de Munich pouvaient nfin communiquer avec des boulangers de Brême. De tout cela naquit un sentiment d'héritage culturel commun.

Eric Metaxas, Bonhoeffer : pasteur, martyr, prophète, espion, p.34-35, éd. Première Partie, Paris 2014
Tout cela est par moment grandiloquent mais explique bien le problème auquel s'est heurté Hitler : comment déchristianiser l'Allemagne sans toucher au sentiment national?

Les duels de la fraternité

A propos de la fraternité Igel, rejointe par Bonhoeffer à l'université :
Le mot allemand Igel signifie «hérisson». Les membres portaient des chapeaux faits de peaux de hérisson. Ils choisirent pertinemment du fris clair, moyen et foncé pour leurs couleurs officielles, faisant ainsi un «pied-de-nez monochromatique» aux autres fraternités, qui toutes affectionnaient les chapeaux aux couleurs vives et les horribles cicatrices de duels. C'était, en effet, une grande distinction dans la société allemande du XIXe et du début du XXe d'avoir eu, dans sa famille, un homme au visage défiguré par un duel de la fraternité.1.

Eric Metaxas, Bonhoeffer : pasteur, martyr, prophète, espion, p.63, éd. Première Partie, Paris 2014




1 : Une cicatrice gagnée de cette façon était appelée une Schmiss, ou Renommierschmiss (littéralement une cicatrice qui se vante). Les duels de cette sorte étaient davantage des combats baroques, orchestrés pour se «piquer» avec des épées. Les participants se tenaient toujours à portée d'épée. Le corps et les bras étaient bien protégés, mais comme le but de cette comédie était d'obtenir une cicatrice prouvant une certaine bravoure, les visages ne l'étaient pas. Un visage affreusement creusé ou un nez coupé en deux seraient donc le témoignage d'une grande bravoure et ce, durant toute la vie du blessé. Il prouverait ainsi son droit à se tenir dans le noble cercle des élites allemandes. Ces horribles cicatrices étaient si convoitées que les étudiants du premier cycle qui n'arrivaient pas à les obtenir dans les duels recouraient à d'autres méthodes moins recommandables.
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