En 1997, il y avait quelques moteurs de recherches, Google n'existait pas encore (27 septembre 1998). Vérifier que Desnos avait bien écrit La Place de l'Etoile ou que Jean Jausion avait réellement existé était plus long, voire assez difficile.
Les quelques vérifications rapidement menées aujourd'hui montrent un travail de recherche minutieux et un souci maniaque du détail. Quelle est donc la part de la fiction? Faut-il croire que Modiano a réellement rencontré Jean Puyaubert ou n'est-ce qu'un nom qu'il a trouvé autour des surréalistes?
Et sur la rive droite, à Montmartre, rue Caulaincourt, en 1965, je restais des après-midi entiers dans un café, au coin du square Caulaincourt, et dans une chambre de l'hôtel, au fond de l'impasse, Montmartre 42-99, en ignorant que Gilbert-Lecomte y avait habité, trente ans auparavant…

A la même époque, j'ai rencontré un docteur nommé Jean Puyaubert. Je croyais que j'avais un voile aux poumons. Je lui ai demandé de me signer un certificat pour éviter le service militaire. Il m'a donné rendez-vous dans une clinique où il travaillait, place d'Alleray, et il m'a radiographé: je n'avais rien aux poumons, je voulais me faire réformer et, pourtant, il n'y avait pas de guerre. Simplement, la perspective de vivre une fie de caserne comme je l'avais déjà vécue dans des penssionnats de onze à dix-sept ans me paraissait insurmontable.

Je ne sais pas ce qu'est devenu le docteur Jean Puyaubert. Des dizaines d'années après l'avoir rencontré, j'ai appris qu'il était l'un des meilleurs amis de Roger Gilbert-Lecomte et que celui-ci lui avait demandé, au même âge, le même service que moi: un certificat médical constatant qu'il avait souffert d'une pleurésie — pour être réformé.

Patrick Modiano, Dora Bruder, p.98-99, Gallimard, 1997