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Stéphane Mosès

C'est l'inconvénient de surfer : j'apprends régulièrement, et souvent bien après, la mort d'un auteur qui m'est précieux. Ce soir, il s'agit de Stéphane Mosès, mort le 1er décembre 2007.
Je l'avais découvert avec L'Ange de l'histoire: Rosenzweig, Benjamin, Scholem. C'est dans ce livre, bizarre détour, que j'ai lu Borgès pour la première fois.

La page qui m'apprend cette mort est une recension d'Un retour au judaïsme, livre d'entretiens avec Victor Malka et visiblement sorte d'autobiographie. Je note le nom d'Haïm de Volozhyn, dont le livre L'âme de la vie, m'attend depuis plusieurs années dans ma bibliothèque. Je l'ai commencé une fois, mais il fait partie de ces livres mystiques qu'on hésite à lire dans le RER: les transitions entre la lecture et la vie quotidienne prennent trop d'énergie.
(Haïm de Volozhyn était le maître de Lévinas.)

Utopie et Rédemption

À l'idée du temps historique, perçu comme un fleuve qui coulerait sans fin vers un estuaire toujours fuyant, ou comme une flèche lancée vers un but inatteignable, Rosenzweig oppose l'expérience humaine de l'avenir, et en particulier notre relation à l'idé de la fin de l'histoire. Relation paradoxale, dans la mesure où l'histoire n'a pas de fin, mais où l'homme ne peut pas renoncer à l'idée d'une fin de l'histoire. L'espoir qu'un jour viendra où les souffrances des hommes cesseront, où le monde connaïtra «une paix éternelle» (selon la formule de Kant), continue —malgré tout ce que l'histoire nous enseigne— à sous-tendre les aspirations utopiques de l'humanité. Mais un tel espoir implique, s'il ne veut pas rester une simple «idée régulatrice», la croyance que sa réalisation peut, en principe, advenir à tout moment. Au plus profond d'elle-même, l'espérance des hommes ne pourra jamais se contenter de l'idée d'un progrès illimité, d'une «tâche infinie» qui n'aboutit jamais. À la métaphore du chemin sans fin, qui nous rapproche indéfiniment d'un but qui ne cesse de s'éloigner de nous, l'espérance humaine a toujours opposé la conviction spontanée que le monde pouvait être régénérée «ici et mantenant». C'est cette «impatience messianique » qui, pour Rosenzweig, définit la relation proprement humaine à l'avenir. Avant d'être une croyance religieuse, cette impatience constitue l'essence même de l'espérance. Celle-ci exigerait toujours, en quelque sorte, que la fin de l'histoire puisse être anticipée, qu'elle puisse survenir à tout moment, dès demain peut-être. L'idée de l'imminence toujours possible de la Rédemption s'oppose ainsi, de manière radicale, à l'idée de la distance illimitée qui nous séparerait de la réalisation de l'utopie. En d'autres termes, si l'utopie se dénonce d'emblée comme une catégorie de l'imaginaire (sa fonction essentielle est moins d'anticiper l'avenir que de dénoncer la situation présente), l'authentique espérance (qui, pour Rosenzweig, concerne la possibilité de la Rédemption) est toujours vécue comme l'attente d'un bouleversement qui peut survenir à tout moment.

Stéphane Mosès, L'ange de l'histoire: Rosenzweig, Benjamin, Scholem, p.78

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