Billets pour la catégorie Obaldia, René (de) :

P.A.

CHERCHE UN HOMME QUI ARTICULE

Cherche un homme
Ayant sérieux pécule
Et qui, de plus, articule.
AR-TI-CULE
Because, j'en deviens dingue
Qu'il m'arrive d'être sourdingue.

Qui articule
Qui roucoule qui hulule
Qui vocalise
Qui, dès le matin, me dise :

- Ma chérie, reste au lit
Je vais préparer le café
Et te l'apporter
Avec des tartines grillées
Du saumon fumé
Des tranches de lard
Des œufs brouillés
Et un pot de caviar

CA-VIAR
Qui rime avec JA-GUAR — enfin presque
Si l'on veut être chevaleresque.
CA-VIAR.

Vraiment, je deviens sourdingue !
Avant d'aller au burlingue
(Il a déjà mis son manteau
Son chapeau)

Qu'il me dise
D'une voix exquise
Mais tout à fait précise :
— Je te laisse la voiture
(La marche à pied c'est bon pour ma cure)
Comme ça tu pourras faire les magasins
T'acheter ce dont tu as besoin.

CE-DONT-TU-AS-BESOIN. BESOIN

Sac en crocodile, escarpins
Des collants
Un manteau d'astrakan
Robes, sous-vêtements…
Enfin, tu vois
Tu sais mieux que moi, mon petit lutin
Ce qui convient à ton tempérament.
Je te laisse un chèque en blanc.

CHÈ-QUE EN… BLANC
Bien articuler
Pas chèque en PLAN
CHÈ-QUE-EN-BLANC.

Parfois l'oreille gauche me fourche
Et j'ai la droite qui louche
Mais si je m'applique à ouïr
Je puis entendre sans déplaisir :
— Ma chérie, c'est toi la plus belle
Si tu veux, cet été, je t'emmène aux Seychelles
SEY-CHELLES. Chelles comme la ville de Chelles
Mais avec SEY, devant. SEY-CHELLES

Ou si tu préfères
Tant qu'à faire
A Honolulu.
Lulu comme Lulu mais avec Hono devant
Bien laisser filtrer l'air entre tes dents
HO-NO-LU-LU.

Si je suis quelquefois de la feuille un peu dure
Certains mots, par nature
Bruissent avec bonheur à travers ma ramure.

En bref, un homme qui sait parler aux femmes
Belle âme
Bon pécule
Et qui articule.

AR-TI-CULE.

René de Obaldia, Fantasmes de demoiselles, femmes faites ou défaites cherchant l'âme sœur

Course de poux

Lequel d'entre nous eut l'idée d'organiser des courses de poux? Je ne m'en souviens plus. Mais cela nous valut des instants fiévreux qui occupèrent nos esprits. Au cours de l'interminable journée, tandis que nous remplissions et poussions des wagonnets ou déchargions des tonnes de charbon, de songer à la récréation du soir, à nos vaillants coursiers à six pattes que nous faisions galoper ventre à terre (la table en guise de pouxodrome), nous procurait une lamentable exaltation. Très vite — il fallait s'y attendre — s'engagèrent des paris. Ce qui donna lieu à des situations tendues, dramatiques. Un tel jouait ses cigarettes et son chocolat, tel autre son tube d'aspirine, un troisième sa réserve de boîtes de conserve, sa flanelle… Rares étaient les parieurs qui restituaient les biens de ceux que la fortune avait dépouillés. Certes, ce n'était pas Macao, mais l'« enfer du jeu » gagna notre baraquement. Crémieux, après avoir perdu ses rations et tout son argent de camp, n'alla-t-il pas jusqu'à engager son manoir du Périgord ? Qu'il perdit également ! Le pou de Chaidron avait coiffé le sien au poteau (une allumette) d'une encolure ! Je vois encore Crémieux, livide, aussi livide que tous les poux réunis, arracher un morceau d'un sac de plâtre sur lequel il rédigea en bonne et due forme l'acte d'acquisition, signé de deux témoins, au profit de Chaidron ; il lui donnait la jouissance du manoir, «excepté les communs»…
Devant la rage et la passion des turfistes, nous décidâmes à une forte majorité de cesser les paris; du même coup cessèrent les galopades. Le cœur n'y était plus. Nos poux rentrèrent tous dans la clandestinité.

René de Obaldia, Exobiographie

Le-petit-Jésus-s'en-va-t'à-l école

La distribution d'images pieuses et de boules de gomme ne pouvait suffire à meubler les heures où nous étions rassemblés sous son aile protectrice. Portant la main à son chignon (mais oui, un chignon!), elle nous parlait d'abondance du petit Jésus. De son application à l'école, et comme il était bien élevé : quand une grande personne lui adressait la parole, il retirait toujours sa casquette. Le soir, rentré à la maison, après avoir terminé ses problèmes d'hébreu, de géographie et d'arithmétique, le petit Jésus trouvait encore le moyen d'aider son papa charpentier. Il ramassait les copeaux de bois épars sur le sol et les stockait dans une grande bassine en prévision d'un feu de joie pour le prochain Noël. Il aidait aussi sa maman (une très belle dame vêtue de bleu) à porter des chardons à l'âne; c'est fou ce que l'animal aux oreilles si douces, aux yeux de velours, raffolait de ces épineux! Lorsque le petit Jésus se piquait en transportant les chardons et qu'une goutte de sang perlait à son doigt, il offrait ce sang à Dieu pour le rachat de tous les ânes.

C'est lui aussi, le petit Jésus, qui était chargé de mettre une serviette autour du cou du bœuf au moment de passer à table. (Le ruminant bavait d'abondance.) Un bœuf pas ordinaire. D'une énorme gravité. Sa principale occupation consistait à souffler dans l'âtre afin de ranimer les braises. Mais on le voyait de temps à autre à la porte : il l'encadrait de sa forte présence, ce qui donnait à réfléchir aux indésirables qui auraient voulu s'introduire, ex abrupto, dans le saint des saints — le plus souvent des Romains, pas très catholiques.

Sa mission accomplie, le petit Jésus gagnait sa place, à la droite de son père (le charpentier). Alors, le bœuf, prenant appui sur ses pattes de derrière, se dressait à la verticale et récitait à haute et intelligible voix le bénédicité. La prière terminée, le petit cénacle honorait la sardine à l'huile, les rutabagas et la banane trempée dans du lait caillé qui constituaient l'ordinaire du repas; le dimanche s'y ajoutait une tranche de lard : la Sainte Famille ne roulait pas sur l'or.

Au fur et à mesure qu'elle nous contait ces histoires édifiantes, il arrivait que l'émotion gagnât la narratrice ; elle s'interrompait, se mouchait bruyamment ; après avoir repris son empire, elle nous regardait longuement, longuement, et finissait par affirmer que nous autres, petits garnements, étions aussi des petits Jésus !
— Moi, mam'zelle, z' suis un p'tit Zésus?
— Oui, toi aussi, Anatole.

Par bonheur, nous ignorions alors le sort que les adultes réservèrent au «petit Jésus» pour le punir d'avoir grandi.

René de Obaldia, Exobiographie, p.123

Les photos d'Exobiographie

A la fin des années 80, Jean-Pierre Fasquelle demanda à Obaldia d'écrire une autobiographie. Obaldia n'en avait pas envie, mais il se mit au travail.
Lorsque Fasquelle croisait Obaldia, il lui demandait :
— Alors, Obaldia, cette autobiographie, ça avance?
— Oui, oui, j'y travaille.
Cela dura ainsi deux ou trois ans.

«A la fin, il n'osait plus me poser la question, et lorsque je lui ai apporté le manuscrit au bout de quatre ans en lui disant: "je n'ai pas tout à fait fini; je vous le donne mais il faudra me le rendre pour que je puisse le corriger", il a refusé tant il avait peur que cela prenne encore quatre ans : "Ah non, je le garde, vous viendrez travailler dans les locaux de la maison".
Il a lu le manuscrit, mais il n'y a pas cru :
— Dites-moi, Obaldia, vous avez des photos?
— Oui, bien sûr.
— Vous pourriez m'en montrer quelques-unes?
Et c'est pour cela qu'il y a des photos dans ''Exobiographie'': Fasquelle n'y a pas cru. C'est le seul livre paru chez Grasset avec des photos.»

Conseil pour la dissertation : exemple

Je dédie ce billet à Gv.

Ayant à faire quelques recherches sur la biographie de René de Obaldia, j'ai découvert avec délice son discours sur la vertu.

J'aime beaucoup l'humour qu'il y a à donner, année après année, le même sujet de dissertation à des écrivains maniant parfaitement la langue française, j'aime beaucoup l'humour avec lequel ils se plient à cet exercice à contraintes, respectant la forme, le fond, tout en se moquant de l'exercice, et sachant malgré tout, ce qui doit être désagréable, que leur discours sera comparé à ceux de leurs confrères.
J'aime beaucoup la façon dont ressortent, quelle que soit la somme de contraintes imposées, le style et la personnalité de chacun.

Je crois qu'un lycéen ou un étudiant qui voudrait faire des progrès dans la rédaction de ses dissertations aurait tout intérêt à imprimer et étudier les différentes versions de ces discours sur la vertu.

Pour les fatigués du clic, pour ceux qui ont une connexion lente, je livre (pour appâter) le début et la fin du discours de Obaldia :
Mesdames, Messieurs,

Je dois me rendre à l’évidence : c’est mon tour !
Je veux dire que, suivant la tradition établie à l’Académie française — et, bizarrement, de nos jours, toute tradition prend à mes yeux allure d’avant-garde — je suis invité, après maints de mes illustres confrères, à discourir de la Vertu.
Si nous ouvrons le Dictionnaire de la conversation, paru dans les années 1830, qui se définit comme « un inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous », nous pouvons lire au mot discours : « La première vertu d’un discours est de ne pas s’étirer au-delà de l’ennui. » Aussi, malgré l’ampleur du sujet, je vais tendre à ne point m’étirer.

Permettez-moi tout d’abord, en guise d’ouverture, de vous conter un apologue :
Cela se passe aux Indes. Un sage, particulièrement vénéré (visage émacié, regard venu d’une autre planète, barbe touchant terre) a élu domicile au pied d’un somptueux palétuvier. De tous les horizons, on vient le consulter. Voici que s’approche de lui un vieil homme.
— Auguste vieillard, interroge le sage, pourquoi t’avances-tu vers moi ?
— Pour connaître si mon désir de recommencer ma vie est légitime.
— As-tu été vertueux dans ta vie ?
— Maître, je le fus.
— Alors, pourquoi veux-tu recommencer une chose aussi triste qu’une existence vertueuse ?

[…]

En ces jours épais, où règnent la confusion des valeurs, le mensonge, la violence, le laxisme (Ah ! comme devraient être remis à l’honneur ce vieil adage : «On ne s’appuie que sur ce qui résiste», ou encore: «L’obstacle est le père de l’homme»), le laxisme, la bêtise galopante, où les médias — la télévision en particulier — donnent droit de cité, le plus souvent, à la vulgarité, à l’infantilisme, à la pornographie considérée comme un des beaux-arts: tous ces plein feux braqués sur l’insignifiance… alors, oui, vive la Vertu !
Comme l’a confié, un soir de grand vent, Sancho Pança à son maître le Chevalier à la triste figure : « L' homme est comme Dieu l’a fait — et bien souvent pire.»

Les vertus ne viennent-elles pas au secours de l’homme pour éviter le pire, précisément, afin qu’il puisse vivre en harmonie avec ses semblables?
J’irai jusqu’à vous confier que, parmi celles-ci, qui s’épaulent et s’enrichissent mutuellement, je placerai au premier rang l’humilité, pierre de touche, à mon sens, de toutes les autres vertus: en découlent la charité (le pouvoir de dire non, selon saint Paul), le courage — superbement magnifié ici, il y a peu, en l’honneur de notre chancelier, M. Pierre Messmer —, l’espérance, et autres petites sœurs…
Toutefois, c’est l’une d’elles, des plus modestes, qui me va droit cœur en ce moment même : la patience.
La patience dont vous avez fait preuve, Mesdames et Messieurs, en m’écoutant discourir, tant bien que mal, sur ce noble sujet.
Je ne puis que vous exprimer ma gratitude.
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