«La pitié mène aux chambres à gaz.»
Je pense assez souvent à cette phrase, toutes les fois où me faut m'armer de courage pour être dure, toutes les fois où je vois de mauvaises décisions politiques être prises — par facilité, pour ne faire de peine à personne, toutes les fois où je sais qu'être indulgent, c'est se résoudre non pas à voir disparaître le problème, mais à le voir enfler.
Evidemment, cette phrase est trop lourde de malentendus pour que je la prononce à voix haute.

Elle provient d'un livre, The Thanatos Syndrome, de Walker Percy (le professeur qui a "découvert" La Conjuration des imbéciles, mais c'est une autre histoire). Il s'agit pratiquement d'un livre de science-fiction, dont le sujet, tout simple, est le suivant: a-t-on le droit de faire le bonheur des gens contre leur gré, ou sans leur demander leur avis? C'est un livre que je n'ai jamais eu le courage de relire, le tempo en est très lent, et à la première lecture on oscille entre suspense insoutenable et ennui insupportable.

L'action se déroule dans une petite ville de Louisiane. L'un des personnages importants est un prêtre, qui fait une sorte de grève, non de la faim, mais de solitude: il s'est réfugié dans une tour de guet en forêt. Le narrateur, un psychologue déclassé qui sort de prison, lui rend visite. Le père Smith lui raconte ses souvenirs des années 30: adolescent il a voyagé en Allemagne, il était hébergé dans une famille dont il garde d'excellents souvenirs, chez un médecin qui pratiquait l'euthanasie sur les handicapés mentaux lourds. Bien plus tard, le père Smith a appris ce qui avait suivi cette première "expérimentation".

Dans les dernières pages du livre, Father Smith a pu ouvrir un hospice pour recueillir les malades dont personne ne veut ou ne peut s'occuper. Exalté, illuminé, Father Smith prononce un discours d'inauguration. Extrait:
"But beware, tender hearts!
"Don't you know where tenderness leads?" Silence. "To the gas chambers.
"Never in the history of the world have there been so many civilized tendedhearted souls as have lived in this century.
"Never in the history of the world have so many people been killed.%%%
"More people have been killed in this century by tenderhearted souls than by cruel barbarians in all other centuries put together."
Pause.
"My brothers, let me tell you where the tenderness leads."
A longer pause.
"To the gas chambers! On with the jets!
"Listen to me, dear physicians, dear brothers, dear Qualitarians, abortionists, euthanasists! Do you know why you are going to listen to me? Because every last one of you is a better man than me and you know it! And yet you like me. Every last one of you knows me and what I am, a failed priest, an old drunk, who is only fit to do one thing and to tell you one thing. You are good, kind, hardworking doctors, but you like me nevertheless and I know that you will allow me to tell you one thing — no, ask one thing — no, beg one thing of you. Please do this one favor for me, dear doctors. If you have a patient, young or old, suffering, dying, afflicted, useless, born or unborn, whom you for the best of reasons wish to put out of his misery — I beg only one thing of you, dear doctors! Please send him to us. Don't kill them! We'll take them — all of them! Please send them to us! I swear to you you won't be sorry. We will all be happy about it! I promise you, and I know that you believe me, that we will take care of him, her — We will even call on you to help us take care of them! — and you will not have to make such a decision. God will bless you for it and you for it and you will offend no one except the Great Prince Satan, who rules the world. That is all.
Silence.

Walker Percy, The Thanatos Syndrome, p.392

L'éditorial du Quotidien du médecin du 26 septembre était le suivant:
Mary Warnock, baronne et néanmoins philosophe, est considérée en Grande-Bretagne comme une autorité morale. Aussi ses derniers propos, sur les personnes menacées ou victimes de démence, ne sont-ils pas passés inaperçus. Il est vrai qu'elle va jusqu'à suggérer qu'il pourrait y avoir un «devoir de mourir» quand on devient un fardeau pour sa famille et le système de santé. «Il n'y a rien de mal à penser que l'on doit (se suicider) pour le bien d'autrui autant que pour soi-même, explique-t-elle dans un journal norvégien. ''Dans d'autres contextes, se sacrifier pour sa famille est considéré comme vertueux. Je ne vois pas ce qu'il y a de si affreux dans l'objectif de ne pas devenir une nuisance grandissante.»
La baronne Warnock, qui a contribué à la mise au point des lois britanniques sur la procréation et n'est pas hostile au clonage reproductif, milite pour l'euthanasie. Et même, dans ce cas, pour autoriser purement et simplement des personnes à en supprimer d'autres. Inutile de préciser que tout ce que le pays compte d'associations de lutte contre l'Alzheimer ou de défense des personnes âgées a crié au scandale. Lady Wamock, qui a 84 ans, n'en a cure. […]
Renée Carton
Je suis d'accord avec cette dame en ce qui ME concerne: je ne souhaite pas devenir un légume, une folle, une charge. J'espère qu'il me restera suffisamment de raison le moment venu pour pouvoir faire le nécessaire moi-même.
Mais ce que je ne comprendrai jamais chez les personnes telles Mary Warnock, c'est qu'on puisse envisager de décider cela à la place des gens.