J'avais emprunté l'édition 1999 à la bibliothèque, j'ai acheté sur place l'édition mise à jour de 2007 (non par choix, mais parce que cela s'est trouvé comme ça).

La page de garde annonce «Les renseignements concernant les établissements cités ici ont été remis à jour en avril 2007». Hélas, ce n'est vrai que pour les restaurants.

C'est un guide qui ne s'occupe pas d'art au sens systématique du terme (les églises, les musées, les époques, etc.). Il raconte l'histoire et surtout les légendes, franchissant les siècles d'Attila à l'occupation américaine, s'intéresse aux toponymies, donne aux lecteurs de Corto Maltese d'intéressantes précision sur la source de certaines planches des BD (et lorque nous lisons, à propos de la maison du Titien «Corto Maltese y résida lui aussi, mais les guides officiels ne le mentionnent pas» (p.32), il faut quelques secondes pour comprendre ce qu'on vient de lire.
Les auteurs semblent aimer les crimes sanglants et les condamnations à mort, ils n'aiment pas Palma le jeune, ils maudissent les restaurations brutales (les bâtiments trop blancs, la disparition des fresques) et pleurent la désertion des îles.

C'est un guide davantage destiné à nous perdre qu'à nous guider, l'imprécision des rues (prenez le pont de fer, puis la deuxième à gauche...) (nous n'avons jamais trouvé le dragon corte del Rosario (p.103)), le nom des chapitres ("Porte de la mer", "Porte de l'Orient"), la carte générale page 16 (une peinture), tout prouve que le but de ce livre est davantage de nous faire rêver que de nous aider à trouver notre chemin.
Il y manque d'ailleurs, et je suis sûre que c'est volontaire, un solide index. On se perd dans le livre avant de se perdre dans les rues, ou les deux, mais pas au même rythme.

Quelques mises à jour personnelles :

  • Entre 2007 et 2009 un quatrième pont a été jeté sur le Grand Canal. Il se trouve au niveau de la gare routière et permet de rejoindre très vite la gare ferrovière.
  • Beaucoup d'endroits sont fermés ou devenus payants : le casino Venier (p.112) est fermé, même si une plaque discrète permet de s'assurer que l'on ne se trompe pas dans l'identification de la maison, l'accès de l'église S. Teodoro (p.103) est interdit, il n'est pas possible de passer sous le porche Fondamenta S. Apollonia (toujours p.103) car le cloître est devenu musée. L'église San Nicolò dei Mendicoli est devenue une "église Chorus", c'est-à-dire que l'accès en est payant alors qu'il en était libre il y a deux ans. Etc., etc.
  • Il n'y a plus de lignes de vaporetto qui traversent l'Arsenal (p.75) (Ça, c'est vraiment dommage).
  • Le musée juif et le musée d'histoires naturelles sont en restauration. Ils offrent un accès si réduit qu'ils ne font pas payer (les heures sont impossibles, ils ferment vers 13 heures ou 13 heures 30) La maison Goldoni est fermée le mercredi. San Pietro di Castello, bien que faisant partie des "églises Chorus", est fermée le dimanche (mais bien sûr ce n'est indiqué que sur la porte de l'église.) San Pantalon est ouverte deux heures par jour, de 16 à 18 heures.
  • L'horaire de la messe dans l'église arménienne est 10 heures 30 (p.116). Je n'ai pas compris s'il s'agissait de la dernière messe en arménien sur l'île ou si la messe n'était célébrée que le dernier dimanche de chaque mois.
  • Il y a du wifi au Caffè blue (p.150).
  • Des scènes de Summertime ont été tournées dans la boutique de masques à côté de San Barnaba; Kubrick a fait appel au fabricant de masque de l'autre côté du pont pour les scènes de Eyes wide shut.
  • Le Pont des soupirs est emballé dans une publicité bleue, le campanile de la basilique de Torcello est entourée d'échaffaudages (p.199) et le pont du Diable est invisible sous diverses machines de chantier. Le pont en bois vers San Pietro di Castello est en réfection, je ne sais s'il sera conservé en bois.



Je suis en train de me dire que tout cela doit donner une image négative du livre. C'est un tort: il est très précieux dans ce qu'il précise d'anecdotes et de légendes, permettant de rêver sur un siège ou sur une poutre. Ces notes personnelles ne font que démontrer qu'il faudrait un wiki des visiteurs de Venise, afin de mettre à jour quelques données factuelles.

Parfois il exagère un peu (ou pas):

Si on utilise le pied vénitien (35,09 cm) comme unité de mesure, deux chiffres reviennent constamment : le 8 (la base octogonale de l'église [Santa Maria della Salute] symbolyse en elle-même la Renaissance) et le 11, accompagné de ses multiples. le huit fait partie de la symbolique chrétienne (la couronne mystique de la Vierge, l'église du Saint Sépulchre, la Résurrection et la vie éternelle), mais le 11 a une valeur négative. Il renvoie en effet au Dix Commandements et désigne le péché mortel; pour la Kabbalah juive (ou qabbalah) au contraire, ce chiffre représente l'origine suprême des tables de la Loi, c'est-à-dire Dieu entouré ses dix sephirots.
Les balades de Corto Maltese, p.166

Comment ne pas penser à Umberto Eco ?

«Messieurs, dit-il, je vous invite à aller mesurer ce kiosque [à journaux]. Vous verrez que la longueur de l'éventaire est de 149 centimètres, c'est-à-dire un cent-millième de la distance Terre-Soleil. La hauteur postérieure divisée par la largeur de l'ouverture fait 176:56=3,14. La hauteur antérieure est de 19 décimètres, c'est-à-dire égale au nombre d'années d cycle lunaire grec. La somme des hauteurs des deux arêtes postérieures fait 190x2+176x2=732, qui est la date de la victoire de Poitiers. [...]»
Umberto Eco, Le Pendule de Foucault, chapitre 48


Enfin, pour le plaisir, un lien vers des forcole (nous n'avons pas vu l'atelier: l'adresse que j'avais sur place, à deux pas de l'arsenal, était fausse).
Pour les amoureux de la typographie (l'imprimeur est francophile et adore discuter): Gianni Basso, Fondamenta nove. Calle del fumo, 5301.