Le Royaume et Soumission ayant aussitôt "disparu" du rayon des nouveautés de la bibliothèque de l'entreprise, il y restait une dizaine d'ouvrages dont un mince et totalement inconnu (mais que faisait-il là?): Le Mariage des enfants. Un feuilletage plus tard, il apparaissait qu'il ne s'agissait pas de sentiments mais d'une affaire de gros sous: comment financer le mariage de son fils quand une légère tendance à la paranoïa vous entraîne à la surenchère face au charmant futur beau-père de votre fils?

Tout commence par une incapacité à dire non, à ne pas vouloir être le premier à "se coucher" dans cette partie de poker menteur:
Qui pouvait comprendre que je m'obstinasse à refuser une bonne affaire? Les bonnes affaires, même ruineuses, ne se refusent pas, sauf par les imbéciles qui sont les seuls à penser que les bonnes affaires au-dessus de leurs moyens ruinent aussi sûrement que les mauvaises affaires hors de prix.

Michel Richard, Le Mariage des enfants, p.41-42, Fayard, 2014
Le narrateur se retrouve donc à devoir trouver une idée pour réunir rapidement l'équivalent de six mois de salaire. Comme il travaille dans un journal culturel, il va monter trois arnaques jouant sur les mécanismes médiatiques du monde contemporain.
L'auteur ne se donne pas la peine d'écrire un livre fouillé et puissant (ça manque de détails, ça manque de la patience d'écrire et de décrire), mais c'est amusant, enlevé; et lire un livre en une heure, cela fait du bien, parfois.

L'auteur, journaliste, connaît les ficelles et les condense, c'est même l'objet principal du livre. S'agissant des prix littéraires, il note :
Des prix, il y en avait en veux-tu en voilà. Je ne l'avais pas dit à mes interlocuteurs, manière de ne pas dévaloriser leur entrée sur le marché, mais la France était la plus grande productrice du monde de fromages et de prix littéraires, les seconds écrasant de loin les premiers. Internet, sur le site http:www.republique-des-lettres.com/topique/prix.shtml, m'avoit fourni le chiffre de 1150, sans compter les distinctions de concours lirréraires divers, auquel cas on parvenait au chiffre de 1850. Ça paraissait beaucoup, comme ça, mais ce n'était pas encore assez. les éditeurs et les auteurs raffolaient des prix. L'idéal serait presque qu'il y ait autant de prix à donner que de titres publiés. (Ibid, p.58)
L'auteur en profite pour donner le vocabulaire nécessaire à un générateur automatique de critiques littéraires, exercice bien rôdé toujours plaisant:
Une petite troupe [de jurés] qui dirait ou écrirait, partout où il le faudrait, le bien-fondé de leur choix final avec force injonctions raffinées du genre: «A lire absolument» ou «A lire d'urgence». L'urgence se faisait beaucoup, dans la critique littéraire. Tout était urgent: urgent, le besoin qu'avait eu l'écrivain d'écrire; urgente, la lecture que devait en faire le lecteur. Comme si ledit bouquin avait une date de péremption, une durée limite de consommation au-delà de laquelle sa lecture se ferait indigeste, voire toxique, comme les conserves.

[…] S'ils ne faisaient pas dans l'urgent, les critiques ne manquaient pas d'autres formules comme «Se dévore comme un thriller», «Se lit d'une traite», ou plus simplement «Superbe», «Fascinant». «Attention, chef-d'œuvre» faisait aussi l'affaire, on en comptait bein cinq ou six par saison. Sans parler des «On n'en sort pas indemne»: c'était fou, le nombre de bouquins dont on ne sortait pas indemne! Vous lisiez le livre et votre vie, après, n'était plus la même qu'avant. Pour un essai, le critique avait une prédilection pour «Dérangeant mais salutaire», qui ne mangeait pas de pain puisqu'on ne savait au juste ce qui, du bienvenu ou du contestable, l'emportait vraiment. A moins qu'il n'optât pour un tonique «Edifiant» ou un impérieux «Indispensable».(Ibid, p.92-93)
Plus mélancoliques, puisqu'il s'agit de souligner les travers du snobisme culturel et de la médiatisation, ces quelques mots prémonitoires sur l'islam, la "liberté d'expression", etc. (Le livre a été imprimé en octobre 2014):
Mon scandale, je l'avais trouvé. Ça n'avait pas été si facile. Le marché de l'art en était saturé. Religieuses ou sexuelles, toutes les transgressions avaient été osées. Seul encore le créneau de l'islam restait inexploré. Aucun artiste, aussi rebelle, destroy, anar, contestataire ou no future fût-il, ne s'y était risqué. Une fatwa sur Rushdie avait, mieux que toute indigation, marqué les limites de l'art transgressif. Inutile de dire que je ne m'y lancerais pas non plus: pas fou. (Ibid, p.132)
Le narrateur, journaliste culturel je le rappelle, écrit un papier pour démolir un peintre:
[…] Bref, je résume, ce Lermann-là était un jean foutre dont j'espérais qu'il serait traité comme tel par le public, c'est-à-dire purement et simplement ignoré.
La vivacité du ton me valu quelques reprises dans les revues de presse radio. L'appel au boycott d'un artiste étant présumé par nature fascitoïde, rien n'eût pu, mieux que lui, attirer l'attention d'abord, l'immédiate sympathie ensuite, l'inéluctable solidarité enfin vis-à-vis dudit artiste ainsi dénoncé. (p.156)
[…] Du reste il y avait foule. La police avait installé des barrières métalliques sur le trottoir et surveillait la galerie vingt-quatre heures sur vingt-quatre de peur que quelque extrémiste voulût s'en prendre à la liberté d'expression. (Ibid, p.157)
C'est presque la fin. Reste la composition idéale d'un plateau télé, les tics langagier du présentateur, la pluie à la sortie de la messe. J'ai oublié de parler de ma chère 17e chambre correctionnelle spécialisée dans les affaires de presse et les people (autant dire que si vous êtes un lamba, vous n'intéressez pas le président…).
Voilà. Une heure pour sourire en lisant un livre reposant. Ça change.