Il y a un mois, ce qui déchainait les passions, c'était la bite à Griveaux. Derrière cette machination se cachait un activiste ou un artiste (selon votre façon de voir), Piotr Pavlenski, dont le passé est plus compliqué que ne le laissent croire ceux qui veulent en faire un agent déstabilisateur de Poutine pendant la campagne des municipales:
Habitué des « performances » choquantes, Piotr Pavlenski se réclame de l’anarchisme. Moins artiste qu’activiste, il utilise la provocation dans des buts toujours politiques. Lauréat du prix Vaclav Havel, de la « dissidence créative », il est considéré comme un opposant au régime russe. En 2012, en soutien au groupe Pussy Riot, dont les membres avaient été arrêtées pour une chanson anti-Poutine, déclamée dans une cathédrale moscovite, Piotr Pavlenski se coud les lèvres et déambule sous les flashs des photographes.

L’année suivante, il s’enroule nu dans des barbelés « contre les lois liberticides », et se cloue les testicules aux pavés de la place Rouge, à Moscou, pour dénoncer « l’apathie » et « l’indifférence » de la société russe. Lors d’une autre démonstration, l’activiste se coupe un lobe d’oreille, alors qu’il est assis nu sur le mur d’enceinte d’un institut psychiatrique où des dissidents ont autrefois été internés.

La Croix, le 16 février 2020
Ce qui m'a étonnée, c'est de retrouver les mêmes actes dans L'Exil éternel, le journal d'une médecin autrichienne internée au Goulag. Faut-il considérer qu'il y a une tradition russe dans cette façon de protester?
Nous sommes entre 1945 et 1955.
A cette époque, dans le camp régnait une certaine agitation, une tension, et peut-être la raison en était-elle grave, même si un événement n'avait pas été exempt d'un certain comique. A environ vingt kilomètres de nous, presque dans l'inaccessible taïga, se trouvait un camp disciplinaire dont les occupants se regroupaient souvent pour protester, mais menaient aussi des actions individuelles qui avaient l'air fantastiques. Pour ne pas aller travailler, l'un d'eux s'était cloué au plancher par un «organe christique». Pour cela, il avait choisi son prépuce. On le voit, on pouvait attendre toutes sortes de choses des gens de là-bas, on les vivait ensuite.

Angela Rohr, L'Exil éternel, 2019 ed. les Arènes, p.319



[…] C'était un «voleur dans la loi» qui avait reçu dix jours de cachot, injustement à son avis, et qui protestait à présent en faisant une grève de la faim depuis huit jours déjà; cela n'aurait pas été gravee s'il n'avait pas aussi refusé de boire de l'eau.
Un tchéckiste l'avait menacé la veille de le nourrir artificiellement et là-dessus l'homme s'était cousu la bouche. Il n'y avait pas un prisonnier qui n'ait une aiguille et du fil cachés dans son vêtement, et tout à fait par hasard, c'était un fil blanc qu'il avait utilisé pour se fermer la bouche.
Après la découverte de son acte, l'ophtalmologiste avait coupé les fils le long des lèvres mais sans les retirer et on les voyait autour de sa bouche.

ibid p.366




Remarque pour plus tard quand nous aurons oublié le contexte : billet écrit pendant la deuxième semaine de confinement due à l'épidémie de coronavirus, billet qui rappelle qu'un mois plus tôt, la France avait des sujets d'émoi plus futiles.