Ce qui fait la noblesse de la légende comme de la langue, c'est que, condamnées l'une et l'autre à ne se servir que d'éléments apportés devant elles et d'un sens quelconque, elles les réunissent et en tirent un sens nouveau.[...]
Imaginer qu'une légende commence par un sens, a eu depuis sa première origine le sens qu'elle a, ou plutôt imaginer qu'elle n'a pas pu avoir un sens absolument quelconque, est une opération qui me dépasse. Elle semble réellement supposer qu'il ne s'est jamais transmis d'éléments matériels sur cette légende à travers les siècles; car étant donné cinq ou six éléments matériels, le sens changera dans l'espace de quelques minutes si je les donne à combiner à cinq ou six personnes travaillant séparément (1).

(1) Ms fr 3959/10, p.18. On rapprochera Pascal, Pensées (éd. Brunschvicg, fr. 22 et 23): «Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau: la disposition des matières est nouvelles»...,etc.

F. Saussure cité dans Les mots sous les mots, p.19, de Jean Starobinski