Je lis Savitzkaya, parce que Guillaume en parla quelques fois et que je l'ai trouvé à la bibliothèque de l'entreprise (je m'efforce d'emprunter les livres qui ne doivent pas beaucoup sortir — pour encourager la bibliothécaire).
L'argument du coucou à l'adresse d'une mère rouge-gorge essoufflée est teinté d'une douceur légèrement ironique ou désabusée. Il ne contient aucun cynisme.
Si tu pouvais me nourrir, petite mère, si tu le voulais bien, je serais pour toi le meilleur des fils, meilleur que ne le sont pour leur mère les petits du geai, du pic noir et du vanneau huppé. Ne me considère pas comme un monstre. Je ne te mangerai pas quand je serai plus grand et je ne te quitterai pas quand tu seras vieille. Je me contente de tout ce que tu peux me donner. J'aime autant les larves des diptères que celles des coléoptères et je ne dédaigne pas les vers de terre de la terre fumée du jardin. Je protègerai tes petits du geai, de la pie et de l'épervier. Je chasserai les fourmis. Je couverai tes œufs. Tu m'as sorti de l'œuf, mais je ne suis pas issu de ton cloaque, mais bien de ton bec, légère et forte rouge-gorge, de ton bec à trilles et à modulations. Je t'appartiendrai à jamais. La bouche qui chante picore aussi dans le fumier et dans les excréments.

Eugène Savitzkaya, Fou trop poli, p.81 (Minuit 2005)