Billets pour la catégorie Schmitt, Carl :

Pressés

Les morts vont vite, et ils vont encore plus vite s'ils sont motorisés.

Carl Schmitt, Théorie du partisan, p.291 (Calmann-Lévy).

Jeu, play, games

Suite à une remarque de Léo Strauss, Schmitt commente en 1963 une phrase page 97 de l'article publié en 1932.
P.97 «Idéologie, culture, civilisation, économie, morale, droit, arts, divertissements, etc. » Dans son compte rendu de 1932 (Tom. n°356), p.745, Leo Strauss met le doigt sur le mot divertissements (Unterhaltung). A juste titre. Ce mot est ici tout à fait inadéquat, il correspond au stade inachevé de ma réflexion d'alors. Aujourd'hui je parlerais de jeu (Spiel) pour faire ressortir plus nettement le concept opposé à celui de sérieux (Ernst) que Leo Strauss a bien su discerner. Ce qui préciserait également le sens des trois concepts politiques issus du terme de polis qui ont été formés et différenciés par l'étonnant pouvoir ordonnateur de l'État européen de cette époque: la politique à l'extérieur, la police à l'intérieur et la politesse en tant que jeu courtois et «petite politique»; voir à ce sujet mon étude Hamlet oder Hekuba; der Einbruch der Zeit in das Spiel (Hamlet ou Hécube; l'irruption du temps dans le jeu), particulièrement le chapitre Der Spiel im Spiel (Le jeu dans le jeu) et Exkurs über den barbarischen Charakter des Shakespeareschen Dramas (Digression sur le caractère barbare des pièces de Shakespeare). Dans tous ces exposés, le mot jeu (Spiel) serait à traduire par play et il pourrait maintenir en balance une certaine hostilité à vrai dire toute conventionnelle entre joueurs adverses (Gegenspiel). Autre chose est la théorie mathématique des jeux, qui est une théorie des games et son application au comportement humain, présentée par John von Neumann et O. Morgenstern, dans Theory of Games and Economic Behavior Princeton University Press, 1947. Amitiés et hostilité y deviennent éléments de calcul et y sont toutes deux abolies, à l'exemple du jeu d'échecs, où l'opposition entre blancs et noirs n'a plus rien à voir avec l'amitié et l'hostilité. Cependant, ma solution de fortune divertissements implique aussi des allusions au sport, à l'organisation des loisirs et à ces phénomènes nouveaux d'une société de l'abondance dont je n'avais pas encore une conscience assez claire, vu l'atmosphère de la philosophie allemande du travail qui régnait alors.

Carl Schmitt, La notion de politique, p.190 (1932, revu en 1963 - Calmann-Lévy 1972)

Kitsch encore

Le romantisme du XIXe siècle (si l'on renonce à faire de ce mot un peu dadaïste un véhicule de confusions d'un style bien romantique) n'est en réalité que ce stade esthétique intermédiaire entre le moralisme du XVIIIe et l'économisme du XIXe siècle, il n'est qu'une transition réalisée par le moyen de l'esthétisation de tous les secteurs de l'esprit, opération facile et couronnée de succès. Car l'évolution qui part de la métaphysique et de la morale pour aboutir à l'économie passe par l'esthétique, et la consommation et la jouissance esthétiques, si raffinées soient-elles, représentent la voie la plus sûre et la plus facile vers une emprise totale de l'économie sur la vie intellectuelle et vers une mentalité qui voit dans la production et dans la consommation les catégories centrales de l'existence humaine.

Carl Schmitt, La notion de politique, p.138 (1932 revu en 1963, Calmann-Lévy 1972)

Schmitt diagnostique le kitsch

Dans une Europe en proie à la confusion, une bourgeoisie relativiste s'occupait à transformer en produits de consommation esthétique toutes les civilisations exotiques imaginables.

Carl Schmitt, La notion de politique, p.115 (1932 - Calman-Lévy, 1972)

La guerre à la guerre

Rien ne saurait échapper à cette logique du politique. Que l'opposition des pacifistes contre la guerre grandisse jusqu'à les précipiter dans une guerre contre les non-pacifistes, dans une guerre contre la guerre, et cela prouverait que ce pacifisme dispose de fait d'un certain potentiel politique, vu qu'il est assez fort pour regrouper les hommes en amis et ennemis. Quand la volonté d'empêcher la guerre est telle qu'elle ne craint plus la guerre elle-même, c'est que cette volonté est devenue un mobile politique, ce qui revient à dire qu'elle admet la guerre, encore qu'à titre d'éventualité extrême, et qu'elle admet même le sens de la guerre. Il y a là, semble-t-il, un procédé de justification des guerres particulièrement fécond de nos jours. Dans ce cas, les guerres se déroulent, chacune à son tour, sous forme de toute dernière des guerres que se livrent l'humanité. Des guerres de ce type se distinguent fatalement par leur violence et leur inhumanité pour la raison que, transcendant le politique, il est nécessaire qu'elles discréditent aussi l'ennemi dans les catégories morales et autres pour en faire un monstre inhumain, qu'il ne suffit pas de repousser mais qui doit être anéanti définitivement au lieu d'être simplement cet ennemi qu'il faut remettre à sa place, reconduire à l'intérieur de ses frontières.

Carl Schmitt, La notion de politique, p.76-77 (1932 révisé en 1963, Calmann-Lévy 1972)

L'existence de l'ennemi : un fait

Mais il n'y a pas lieu d'examiner ici si l'on juge répréhensible ou non (en y trouvant éventuellement une survivance atavique d'époques barbares) le fait que les peuples persistent à se situer très réellement les uns par rapport aux autres selon qu'ils sont amis ou ennemis, si l'on espère que cette discrimination disparaîtra un jour de la Terre, et s'il ne serait pas juste et bon de feindre, pour des raisons d'ordre éducatif, qu'il n'y a pas d'ennemis du tout. Ce ne sont pas les fictions et les abstractions normatives qui font l'objet de cette étude, mais la réalité existentielle et la possibilité effective de la discrimination en question.

Carl Schmitt, La notion de politique, p.68 (1932 revu en 1963, Calmann-Lévy 1972).

Caractéristiques de l'ennemi

L'ennemi politique ne sera pas nécessairement mauvais dans l'ordre de la moralité ou laid dans l'ordre esthétique, il ne jouera pas forcément le rôle d'un concurrent au niveau de l'économie, il pourra même, à l'occasion, paraître avantageux de faire des affaires avec lui. Il se trouve simplement qu'il est l'autre, l'étranger, et il suffit, pour définir sa nature, qu'il soit, dans son existence même et en un sens particulièrement fort, cet être autre, étranger et tel qu'à la limite des conflits avec lui soient possibles qui ne sauraient être résolus ni par un ensemble de normes générales établies à l'avance, ni par la sentence d'un tiers, réputé non concerné et impartial.

Carl Schmitt, La notion de politique, p.66 (1932 revu en 1963, Calmann-Lévy 1972)
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