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Blasphème

A l'occasion de cette proposition de loi, j'ai recherché la définition du mot blasphème:

BLASPHÈME, subst. masc.
Parole, discours outrageant à l'égard de la divinité, de la religion, de tout ce qui est considéré comme sacré.
(Trésor de la langue française informatisé)

Ce serait amusant à appliquer, comme loi.
Je propose de commencer un catalogue des textes à censurer.

Ici, l'ascension des fidèles vers le Ciel est comparée à la queue serpentant devant des toilettes publiques. Offensant.

dame âgée au chapeau de paille noire avec un nœud violet type avec un nez comme un bec type avec une casquette à petits carreaux une jeune femme blonde très fardée, le contraste entre l'immobilité des personnages et le lent mouvement d'ascension leur conférant une sorte d'irréalité macabre comme sur cette image du livre de catéchisme où l'on pouvait voir une longue procession ascendante de personnages immobiles figés les uns simplement debout d'autres une jambe repliée un pied un peu plus haut que l'autre comme reposant sur une marche d'escalier constitué par les volutes d'un nuage s'étirant s'élevant en plan incliné des vieillards appuyés sur des cannes des enfants je me rappelle une femme drapée dans une sorte de péplum enveloppant d'un de ses bras les épaules d'un jeune garçon bouclé sur lequel elle se penchait l'autre bras levé d'une main à l'index tendu vers la Gloire et les Nuées et derrière eux il en venait toujours d'autres montant vers Sa lumière tous suivant la direction indiquée par cette main impérieuse comme celles (ou quelquefois seulement une flèche) qui sur les parois indiquent HOMMES ou DAMES dans l'odeur ammoniacale d'urine et de désinfectant le silence souterrain ponctué à intervalles réguliers par les bruits des chasses d'eau à déclenchement automatique tous à la queu leu leu errant dans les corridors compliqués de ce comment appelle-t-on l'endroit où vont les petits enfants morts sans avoir été baptisés? aux étincelantes voûtes de céramique blanche jusqu'à ce qu'Il les appelle enfin à lui s'élevant alors en longues théories de complet vestons et de robes désuètes chantant Sa gloire arrachés sauvés du sein de la terre les yeux clignotants dans la lumière retrouvée tous les âges et toutes les professions mêlés 1 jeune femme 1 jeune homme à lunettes 1 ménagère 2 écoliers 1 long type maigre 1 couple 2 ouvriers l'un portant un veston marron fatigué sur des blue jeans l'autre une salopette belge.

Claude Simon, La Bataille de Pharsale, p.15

Extrait de la préface d'Orion aveugle de Claude Simon

Si aucune goutte de sang n'est jamais tombée de la déchirure d'une page où est décrit le corps d'un personnage, ni celle où est racontée un incendie n'a jamais brûlé personne, si le mot sang n'est pas du sang, si le mot feu n'est pas le feu, si la description est impuissante à reproduire les choses et dit toujours d'autres objets que les objets que nous percevons autour de nous, les mots possèdent par contre ce prodigieux pouvoir de rapprocher et de confronter ce qui, sans eux, resterait épars.

Parce que ce qui est souvent sans rapports immédiats dans le temps des horloges ou l'espace mesurable peut se trouver rassemblé et ordonné au sein du langage dans une étroite conguïté. Une épingle, un cortège, une ligne d'autobus, un complot, un clown, un Etat, un chapitre n'ont que (c'est-à-dire ont) ceci de commun: une tête. L'un après l'autre les mots éclatent comme autant de chandelles romaines, déployant leurs gerbes dans toutes les directions. Il sont autant de carrefours où plusieurs routes s'entrecroisent. Et si, plutôt de vouloir contenir, domestiquer chacune de ces explosions, ou traverser rapidement des carrefours en ayant déjà décidé du chemin à suivre, on s'arrête et on examine ce qui apparaît à leur lueur ou dans les perspectives ouvertes, des ensembles insoupçonnés de résonances et d'échos se révèlent.

Chaque mot en suscite (ou en commande) plusieurs autres, non seulement par la force des images qu'il attire à lui comme un aimant, mais parfois aussi par sa seule morphologie, de simples assonances qui, de même que les nécessités formelles de la syntaxe, du rythme et de la composition, se révèlent souvent aussi fécondes que ses multiples significations.

Claude Simon, extrait de la préface manuscrite d'Orion aveugle.
NB: je découvre que le texte d'Orion aveugle est repris dans Les Corps conducteurs.
Le début d'Orion aveugle jusqu'à la page 143 est repris au début des Corps conducteurs jusqu'à la page 86.
Les dernières lignes d'Orion aveugle (p.146) sont reprises à la dernière page des Corps conducteurs (mais n'en sont pas les dernières lignes).

Je suppose que les phrases manquantes de p.143 à 146 d'Orion aveugle doivent être disséminées dans Les Corps conducteurs à partir de la page 86 mais je n'ai pas eu la patience de vérifier cette hypothèse.

Voir ici les photos du livre.
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