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Qu'est-ce qu'un kenning ?

Christopher Tolkien publie la traduction de Beowulf par son père en concatenant les brouillons de celui-ci et en choisissant parmi ses cours et conférences un certain nombre de commentaires qu'il met en note.

Voici un commentaire des lignes 11.
10-11 «sur la mer où chemine la baleine» ; *10 ofer hronrade

hronrade est un kenning signifiant «la mer». Qu'est-ce qu'un kenning? […] Kenning est un mot islandais signifiant (dans cet usage technique particulier) «description». Nous l'avons emprunté à la critique vieil islandaise de la poésie allitérative norroise et utilisé comme terme technique pour désigner ces «composés descriptifs imagés» ou «brèves expressions» qui peuvent être «employés à la place d'un mot simple ordinaire». Ansi dire: «il a navigué sur le bain des fous de Bassan (ganotes bæth)» revient à utiliser un kenning pour signifier la mer. Vous pouviez, bien sûr, inventer vous-même un kenning, et tous ont dû être inventés par un poète à un moment ou à un autre, mais en matière de langage poétique vieil anglais, la tradition comprenait un cerain nombre de kennings bien établis pour désigner des choses comme la mer, la bataille, les guerriers, etc. Il relevaient de cette «diction poétique», tout comme «onde» à la place d'«eau» (fondée sur l'usage poétique latin d'unda) relève de la diction poétique du XVIIIe siècle.

Plusieurs kennings désignant la mer évoquent celle-ci comme le lieur dans lequel les oiseaux marins ou les animaux plongent ou se déplacent. Ainsi, ganotes bæth (qui, développé, signifie: «le lieu où plonge le fou de Bassan, comme un homme qui se baigne»); ou hwælweg («le lieu où les baleines partent faire leur voyage» comme des chevaux, des hommes ou des chariots parcourent les plaines terrestres), ou «les chemins des phoques» (seolhpathu), ou bien les «bains du phoque» (seolhbathu).

hronrade est évidemment lié à ces expressions. Néanmoins, il est tout à fait incorrect de le traduire (comme on le fait trop souvent) par «route des baleines». C'est incorrect stylistiquement, puisque les composés de ce genre paraissent en soi maladroits ou bizarres en anglais moderne, même si leurs composantes sont correctement choisies. Dans cet exemple en particulier, la malheureuse association des sonorités de cette route [whale road] avec celle de chemin de fer [rail road] accroît ce caractère inepte.

C'est incorrect dans les faits: rad est l'ancêtre de notre route moderne [road], mais cela ne signifie pas «route». L'étymologie n'est pas un guide fiable vers le sens. rad est le nom correspondant à l'action de ridan, aujourd'hui ride, et signifie: «le fait d'aller autrement qu'à pied», c.-à-d. «aller à cheval; se déplacer comme le fait un cheval (ou un chariot), ou comme un bateau à l'ancre»; de là, «un trajet à cheval» (ou plus rarement par bateau), un parcours (qu'il ait un but ou non)». Ce mot ne signifie pas la «piste» réelle et encore moins les pistes aux durs pavés, permanentes et plus ou moins droites, que nous associons à la «route».

En outre, hron (hran) est un mot spécifique au vieil anglais. Il signifie un genre de «baleine», à savoir d'animal de cette famille de mammifères qui ressemblent à des poissons. Lequel, précisément, on l'ignore; mais c'était quelque chose du genre du marsouin, ou du dauphin, probablement, en tout cas, moins qu'une vraie hwælroad»]. Il existe une affirmation en vieil anglais selon laquelle un hron mesurait environ sept fois la taille d'un phoque et une hwæl, environ sept fois la taille d'un hron.

Le mot en tant que kenning signifie donc «trajet du dauphin», c.-à-d., entièrement développé, les étendues sur lesquelles vous voyez des dauphins et des membres plus petits de la tribu des baleines jouer ou avoir l'air de galoper comme une rangée de cavalier sur les plaines. Voilà l'image et la comparaison que le kenning était censé évoquer. Rien de tel n'est évoqué par «route des baleines» [whale road], qui suggère un genre de machine à vapeur semi-sous-marine empruntant des rails de métal submergés, d'un bout à l'autre de l'Atlantique.

J.R.R. Tolkien, Beowulf, édité et présenté par Christopher Tolkien, Actes Sud 2015 (2014), p.161-163
Cela m'évoque irrésistiblement En Patagonie.

Je suis surprise du sens étroit que JRR Tolkien donne à «route»: route de la soie, route des oiseaux migrateurs, route des caravanes, il ne m'a jamais semblé que cela décrivait des pavés ou de l'asphalte, mais un parcours entre un départ et une arrivée. A-t-il raison en anglais ou force-t-il sa démonstrations?

Echo

Il y a quelques temps, j'ai emprunté une Anthologie de littérature allemande compilée par Pierre Deshusses aux éditions Dunod.

J'y ai trouvé des extraits de poésie incantatoire datant d'environ de l'an 900. Cette formule magique était destinée à délivrer les guerriers fait prisonniers sur le champ de bataille (je ne copie que la traduction en allemand contemporain):
Einige Hafte hefteten, einige hielten (das feindliche) Heer auf,
Einige lösten die Fesseln (des Freundes):
Entspring den Haftbanden, entflieh den Feinden!
Et il m'a paru entendre, au-delà du sens :
One Ring to rule them all,
One Ring to find them,
One Ring to bring them all
and in the darkness bind them

Tout ce qui est or ne brille pas




source.

Souvent je pense à cette autre phrase tirée du même poème: "tout ce qui est or ne brille pas".
All that is gold does not glitter,
Not all those who wander are lost;
The old that is strong does not wither,
Deep roots are not reached by the frost.

From the ashes a fire shall be woken,
A light from the shadows shall spring;
Renewed shall be blade that was broken,
The crownless again shall be king.

J.R.R. Tolkien, The Lord of the Rings
Tout ce qui est or ne brille pas,
Tous ceux qui errent ne sont pas perdus ;
Le vieillard endurant ne se recroqueville pas,
Les racines profondes ne sont pas atteintes par le gel.

Des cendres sera éveillé un feu,
Une lumière des ténèbres jaillira ;
Trempée à neuf sera la lame qui était brisée,
Le sans couronne sera de nouveau roi.

J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des anneaux

Déformations

Welf et Waiblingen (autre nom de la famille des Hohenstaufen);
Guelfes et Gibelins;
elfes et gobelins (elfs and goblins).
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