Billets pour la catégorie Vaugelas, Claude Favre (de) :

Pour un usage naïf de la langue

Usage de "fort" et "cela":

fort: Fort et bien s'appliquent à des verbes, à des adjectifs, à des adverbes. Fort reste vivant dans le fr. parlé en Belgique et dans certaines provinces de France, il est très courant dans la langue écrite.

ça et cela: Les deux formes sont, du point de vue syntaxique, presque toujours interchangeables, mais la première prédomine dans la langue écrite et la seconde dans la langue parlée. Il serait exagéré pourtant de considérer que, dans l'écrit, ça n'apparaît que là où l'auteur fait parler un personnage. Relevons notamment:
Pellisson avait trop de goût pour parler de ça. (Chateaubriand, Vie de Rancé) Les criminels dégoûtent comme les châtrés: moi je suis intact, et ça m'est égal (Rimbaud, Saison en enfer''), etc.

source : Grevisse

J'utiliserai ça ou cela selon les cas pour des raisons d'euphonie, pour des raisons de temps, aussi: "cela" à l'oral ralentit la phrase, il suppose un débit moins rapide, une pensée qui se cherche (il me semble, cela n'engage que moi). Utiliser "cela", ne pas élider le "ne" de la négation, c'est parler lentement, réfléchir avant de parler, ou en parlant.

J'ai dit que le sens et l'oreille soutenaient le choix des mots et de la syntaxe, Vaugelas ajoute un troisième critère: l'usage, et pas n'importe quel usage, mais l'usage naturel, celui qui vient naturellement à l'esprit. Il développe tout un art de l'interrogation afin de ne pas attirer l'attention sur le point qui le tracasse, de façon à obtenir une réponse spontanée, non savante ou raisonnée:

Par exemple, si je suis en doute s'il faut dire elle s'est fait peindre ou elle s'est faite peindre, pour m'en éclaicir, qu'est-ce qu'il faut faire? [...] Si je m'adressais donc à une personne qui ne sût point d'autre langue que la française, je lui dirais dans l'exemple que j'ai proposé les paroles suivantes. Il y a une dame qui depuis dix ans ne manque point de se faire peindre deux fois l'année par des peintres différents. Je vous demande, si vous vouliez dire cela à quelqu'un, de quelle façon vous le lui diriez sans répéter les mêmes paroles que j'ai dites. [...] tôt ou tard, cette personne seule, ou plusieurs ensemble dans une compagnie, à qui je me serai adressé, ne manqueront point de dire elle s'est fait peindre ou elle s'est faite peindre, et de ce qu'elle diront ainsi naïvement sans y penser et sans raisonner sur la difficulté, parce qu'elles ne savent point quelle elle est, on découvrira le véritable usage, et par conséquent la façon qui est la bonne et qui doit être suivie.

Claude Fabre de Vaugelas, Remarques sur la langue française, p.304

Une page avant, Vaugelas conseille de ne pas interroger les savants, qui savent le latin ou le grec, car ceux-ci risquent de répondre selon des règles grecques ou latines, mais d'interroger «les femmes et ceux qui n'ont point étudié, je n'entends pas parler de la lie du peuple [...]. J'entends donc parler seulement des personnes de la cour ou de celles qui la hantent [...].»

Evidemment, trouver de telles personnes n'est pas sans poser quelques problèmes aujourd'hui.

Qu'on et que l'on

Il faut qu'on sache et il faut que l'on sache sont tous deux bons, mais avec cette différence néanmoins, qu'en certains endroits il est beaucoup mieux de mettre l'un que l'autre.

Plusieurs mettent qu'on et non pas que l'on, quand il y a un l immédiatement après le n, comme je ne crois pas qu'on lui veuille dire et non pas que l'on lui veuille dire, à cause du mauvais son des deux l, je ne crois pas qu'on laisse et non pas que l'on laisse.

Il faut mettre qu'on aussi et non pas que l'on quand il y a plusieurs que dans une période, comme cela arrive souvent en notre langue qui s'en sert avec beaucoup de grâce en différentes façons, par exemple: il n'est que trop vrai que depuis le temps que l'on a commencé, etc. Il est bien mieux de dire qu'on a commencé pour diminuer le nombre des que, qui n'offensent pas seulement l'oreille de celui qui écoute, mais aussi les yeux ne celui qui lit, voyant tant de que de suite. Il faut encore mettre qu'on et non pas que l'on quand le mot qui le précède immédiatement se termine par que, comme on remarque qu'on ne fait jamais ainsi, etc., et non pas on remarque que l'on ne fait jamais ainsi.

Il faut mettre que l'on et non pas qu'on devant les verbes qui commencent par com ou con, comme je ne dirais pas qu'on commence, qu'on conduise, mais que l'on commence, que l'on conduise. Mais comme j'ai déjà dit, tout cela n'est que pour une plus grande perfection et ce n'est pas une faute que d'y manquer.

L'usage de ces deux termes différents, qu'on et que l'on, est encore très commode en prose et en vers, mais surtout en vers pour prendre ou quitter une syllabe selon qu'on a besoin de l'un ou de l'autre dans la versification. Il est superflu d'en donner des exemples, les poètes en sont pleins. Mais pour la prose peu de gens comprendront l'avantage qu'elle tire d'allonger ou d'accourcir d'une syllabe une période, s'ils n'entendent l'art de l'arrondir et s'ils n'ont l'oreille délicate.

Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue française utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire, p.46

La douceur à l'oreille

Le critère de l'oreille est un critère qui me paraît tout à fait valable, mais trop personnel pour pouvoir être défendu publiquement, pensais-je jusqu'à il y a quelques jours. Et puis, en feuilletant dans une librairie L'introduction à l'Œuvre-kavi, je remarque dans les rayonnages un livre bien moins effrayant, Remarques sur la langue française utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire, de Claude Favre de Vaugelas. Ce livre est très intéressant. Il contient quelques remarques qui n'ont plus lieu d'être («Persécuter - Ce mot est mal prononcé par une infinité de gens qui disent perzécuter comme si au lieu du s il y avait un z [...]» p.100, j'ai également noté plusieurs remarques qui précisent le genre d'un nom (ivoire, toile, préface,...), apparemment le genre d'un certain nombre de mots courants est resté longtemps indécis, ce qui me paraît étrange) et beaucoup de remarques qui trouvent à s'appliquer encore aujourd'hui, je suis même surprise par leur nombre.

Et ô bonheur, Vaugelas fait grand cas de la cacophonie, qui semble bien être pour lui un critère valable pour juger de la langue :

À cause de la rencontre des deux voyelles en ces deux petits mots, si on, plusieurs écrivent toujours si l'on, excepté en un seul cas qui est quand après le n il suit immédiatement un l. Par exemple ils diront si on le veut et non pas si l'on le veut, parce qu'il y a un l immédiatement après le n, et que des deux cacophonies il faut choisir la moindre; car si si on blesse l'oreille, si l'on le, à mon avis, la blesse encore davantage. [...]
Claude Fabre de Vaugelas, Remarques sur la langue française utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire p.45

ou encore

À la Cour on prononce beaucoup de mots écrits avec la diphtongue oi, comme s'ils étaient écrits avec la diphtongue ai, parce que cette dernière est incomparablement plus douce et plus délicate. À mon gré c'est une des beautés de notre langue à l'ouïr parler, que la prononciation d'ai pour oi''. [...]
Ibid., p.92

Résumons-nous: le sens, l'oreille, les règles apprises à l'école, les règles découvertes en lisant, un peu d'humour, de goût (dans le sens de gôuter avec plaisir, «ce petit faste», comme dit Syntaxe («Mais si elle y faut, c'est parce qu'elle n'est pas assez société», p.193, cette utilisation de faillir me ravit)), beaucoup d'humilité, la certitude qu'on se trompe et qu'on doit fait faire beaucoup d'erreurs ou de fautes, mais que ce n'est finalement pas si grave, puisque nous aimons la langue, et que nous progresserons au hasard de nos lectures.

En écrivant cela je tente de consoler "les complexés de la langue" et de tenir à distance "les tyrans de la langue", pour maintenir un espace où l'usage courant permet encore de se comprendre.

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