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Comment écrire une carte postale?

Lors des longs étés chez mes grands-parents, je lisais donc tout ce qui me tombait sous la main. En particulier, il y avait chez ma tante — vieille fille qui vivait chez ses parents — un livre des éditions Selection du Reader's Digest, Parlez mieux, écrivez mieux.
J'ai beaucoup lu ce livre. Il m'horrifiait (comment apprendre à lire vite (c'était de l'arnaque, on ne lisait pas plus vite, on lisait en diagonale: cela me choquait beaucoup), il me ravissait (Comment s'adresser à une abbesse (Révérendissime Mère ou Madame la Prieure) ou à un Contre-amiral (les hommes écriront Amiral, les femmes écriront Amiral ou Monsieur), il était très instructif (Lettre d'un jeune homme pour demander à une jeune fille s'il peut la revoir).
J'ai cherché, et acheté, ce livre il y a environ un an. (Peu à peu je peuple ma bibliothèque de tous les fantômes qui ont enchanté mon enfance.)

Finalement, c'était davantage un guide des bons usages qu'un livre de syntaxe. Il était écrit dans un style délicieusement désuet, bien que datant seulement de 1974.

Il donnait donc quelques règles de politesse et de bon sens dans un chapitre intitulé "Petits secrets d'une lettre réussie":

- L'installation : «Attendez d'avoir le temps d'écrire, attendez d'être installé correctement chez vous : à une table ou à un bureau, avec un éclairage suffisant [...]»

- Le papier à lettre : «Le choix d'un papier à lettres s'apparente, toutes proportions gardées, à celui d'un vêtement. Outre qu'il témoigne de votre goût, votre papier à lettres doit s'harmoniser avec votre écriture; si elle est large et tassée, vous choisirez un format presque carré; si au contraire elle est haute et pointue, mieux vaudra adopter un format franchement rectagulaire. [...]
La sobriété est de rigueur, surtout pour les hommes : sobriété du format, sobriété de la couleur. Proscrivez les papiers lignés, parfumés, dentelés ou de forme bizarre.[...]
Lorsque vous avez trouvé le papier qui vous convient, restez-y fidèle; ce sera déjà la marque de votre personnalité, et votre correspondant ne sera pas insensible à cette constance.[...]»
(Du papier à lettres comme du parfum...) It's so cute.

- Avec quoi écrire ? : «Si vous n'avez qu'un simple crayon à portée de la main, remettez votre lettre à plus tard.
Le stylo à bille peut, au pis aller, convenir si l'on est sûr de ne pas choquer son correspondant. [...] Le stylo à pointe de feutre, ou de nylon, est utilisable [...]. Reste le stylo à plume, recommandable sans réserve et qui peut-être employé avantageusement dans tout les cas.»

- L'encre : «Il n'y a guère que quatre possibilités, à moins de vouloir étonner par son audace (et par son goût) : noir (le plus classique), bleu-noir (un peu triste), bleu (le plus moderne, le plus gai), violet (un peu désuet).»

Suivait un ensemble de règles et de recommandations sur la pagination, l'écriture («une belle écriture est un don du ciel qui se fait, semble-t-il, de plus en plus rare; la faute en est peut-être au stylo à bille, plus sûrement à notre hâte chaque jour accrue [...]»), la date, l'adresse et le nom, l'en-tête, la marge...



Il y avait un chapitre sur la correspondance rapide : "Les secrets d'une carte postale bien tournée", qui commençait par une ode à la carte postale :

La carte postale est d'un emploi aisé, on la trouve presque partout, elle n'exige pas d'enveloppe (nous y reviendrons). Le peu d'espace qu'elle concède à notre inspiration justifie l'absence d'en-tête ou de formule compliquée et proscrit le roman fleuve. Elle porte en elle-même son message implicite : «Nous sommes en vacances (ou en voyage), mais vous voyez, nous ne vous oublions pas.»
Si bien qu'elle est entrée dans les mœurs, comme les vœux de bonne année, à cette différence près qu'elle obéit à notre bon plaisir, non aux convenances ou aux servitudes sociales et professionnelles, et que sa forme est libre.
Ainsi n'enverrons nous de cartes postales qu'à ceux qui nous sont chers, à un titre ou à un autre. C'est là un joli symbole d'amitié et une coutume à cultiver dans un monde où les gestes gratuits sont si rares.

Suivaient des conseils :
- le choix de la carte postale

Vous commencez par la choisir. Attention ! Votre goût est en cause.
Evitez donc les cartes postales dites humoristiques ou grivoises, généralement bêtes à pleurer, à moins que l'un de vos amis ne collectionne ces chefs d'œuvre de vulgarité : en ce cas, vous pourrez écrire au verso «à titre de curiosité»... et mettre sous enveloppe. [...]

- le texte : «Cinq écueils majeurs guettent le texte» :

-La banalité grossière des «Meilleurs souvenirs» [...] Non! Faites un effort, un détail vécu, croqué sur le vif, même si vous parlez du temps, vous sauvera de cette désolante médiocrité:
La chaleur nous condamne à la sieste : tant mieux ! [...]
- La prétention. Trop de gens considèrent la carte postale comme un signe extérieur de richesse; ils en écrivent beaucoup s'ils vont au Mexique, peu s'ils passent leurs vacances en Dordogne.[...]
- Le pédantisme. Vos cartes postales doivent plaire et non vous faire valoir.
- La tristesse. Si le mauvais temps vous rend maussade et grognon, remettez votre courrier de vacances à plus tard. Ayez pitié de vos amis; n'écrivez pas :
Nous comptons les jours, c'est notre seule distraction. Nous serions mieux à la maison par ce temps; Pierrot a même attrapé un rhume...
Il est préférable de rester gai, optimiste, même s'il pleut des cordes et si le menu de l'hôtel laisse à désirer :
Nous concentrons nos efforts sur la cueillette des champignons et la chasse aux escargots...
L'Irlande a un charme prenant sous la pluie. Chaussés de bottes, sanglés dans nos imperméables, nous allons partout!
- La négligence ou la paresse, que traduit le style télégraphique.

[...] Enfin, n'écrivez pas n'importe quoi : n'oubliez pas que votre prose voyage «à visage découvert» sous d'innombrables yeux dont certains peuvent n'être pas discrets. Alors pas d'épanchements sentimentaux, pas de secrets intimes, sinon en mettant votre carte sous enveloppe.



Et voilà: simple, non?
Vous pouvez m'envoyer des cartes postales, je réponds toujours, c'est une manie contractée jeune, à cause d'un livre : Parlez mieux, écrivez mieux.

complément

voir au 14 août

La fin du monde est proche

Ce matin, dans le RER, j'étais assise à côté d'un jeune homme qui lisait un magazine édité par les témoins de Jéhovah.
L'article engageait ses lecteurs à mettre de l'ordre dans leur vie, et ce, de façon très américaine, du moins ce que j'appelle "très américaine", c'est-à-dire de façon fort pramagtique : triez, rangez, jetez, mettez de l'ordre autour de vous pour pouvoir faire régner l'ordre en vous, proclamait l'article. (Je devrais peut-être me convertir.)
Cela m'a rappelé les articles de Sélection du Reader's Digest que j'ai lus pendant des années. J'adorais cela. Aujourd'hui encore, je ne résiste jamais à un livre sur la gestion du temps: je l'ouvre et le feuillette, c'est inévitable.

Ce soir, mon voisin de RER lisait Les extra-terrestres et l'avenir de l'humanité. Il était malheureusement placé de telle façon que je n'ai pu entrevoir quelques lignes.
J'ai fait une recherche sur Amazon. Voici la présentation :

Depuis des décennies, un peu partout dans le monde, des entités se présentant comme des extraterrestres contactent des humains de conditions sociales et de milieux différents. Elles leur donnent pour mission de délivrer un message prédisant un futur apocalyptique pour notre civilisation. Or, aujourd'hui de nombreux signes prouvent que ces avertissements ne sont que trop fondés. La fin du pétrole est pour bientôt et le réchauffement de la planète commence à montrer ses effets, tandis que les scientifiques admettent la possibilité d'un emballement climatique catastrophique pour les années à venir. Sur fond de 11 septembre, de montée en puissance de la Chine, d'économie mondiale au bord du gouffre, de guerre au Moyen-Orient, de pollution et d'arme secrète, l'auteur examine quel sera notre avenir collectif et quel est le sens profond de ces avertissements issus d'entités non humaines.

L'auteur, précise Amazon, est «informaticien au Ministère de la défense. Il a déjà publié trois livres aux éditions JMG: Ummo: un dieu venu d'ailleurs; Ovnis: contact et impact; Le Plan pour sauver la Terre. Il est considéré comme l'un des principaux spécialistes du phénomène Ovni.»

Well.


Je sais peu de choses sur les Témoins de Jéhovah. Ce que j'en sais emporterait plutôt mon admiration: ils ont fait preuve d'une remarquable obstination face aux nazis, même si ce courage s'enracine dans une forme de bêtise ou de crédulité ou d'obscurantisme. Mais n'est-ce pas là le terreau privilégié du martyre?

Ce que je sais des témoins de Jéhovah vient du livre de Margarete Buber-Neumann, Déportée à Ravensbrück. L'histoire de cette femme est extraordinaire: allemande et communiste, elle fut arrêtée à Moscou lors des purges de 1937. Détenue en Sibérie, elle fut renvoyée en Allemagne après le pacte germano-soviétique et aussitôt, puisque communiste, envoyée à Ravensbrück, où elle fut haïe des communistes allemandes et tchèques qui refusaient de croire son témoignage.
Si vous voulez lire le témoignage presque irréel d'une femme qui observe, juge et ne se plaint jamais, lisez Déportée en Sibérie et Déportée à Ravensbrück.

Je copie les pages concernant les témoins de Jéhovah. Margarete Buber-Neumann, à sa grande surprise, est nommée leur Blockälteste suite à diverses luttes d'influence entre les Allemands du camp:

Une curieuse existence commence alors pour moi au block 3. Chez les asociales, chaque minute apportait son lot de craintes et d'obligations. Chez les témoins de Jéhovah par contre, pas l'ombre d'un problème. Le block fonctionne comme un véritable métronome. Le matin, dans la hâte qui sépare le réveil de l'appel, c'est à peine si l'on entend un mot prononcé à voix haute. Le départ en rangs par deux pour l'appel, qui dans les autres baraques ne peut se faire sans que Blockältesten et Stubenältesten s'époumonent à tout va, se déroule ici sans le moindre à-coup, de la manière la plus naturelle du monde. Il en va de même des autres activités telles que la répartition de la nourriture, etc. Ma tâche principale, chez les témoins de Jéhovah, est de rendre leur séjour aussi agréable que possible (pour autant qu'il puisse l'être), de les préserver des tracasseries de la chef de block SS et de me faire le porte-parole de chacune d'entre elles (pour autant que j'en aie la force et le pouvoir). [...] Au block 3, on ne vole pas, on ne trompe pas, les codétenues ne se dénoncent pas les unes les autres. Chacune de ces femmes est non seulement dotée d'un sens du devoir très aigu, mais se sent en outre partie prenante et responsable de la baraque dans son ensemble. Assez rapidement, elles s'aperçoivent que je n'ai rien de ces manières de Blockälteste qu'elles redoutent tant, que je me sens bien auprès d'elles; elles m'accueillent donc dans leur communauté de block et, deux années durant, ce rapport fondé sur la confiance absolue ne s'est trouvé brisé ni de mon fait, ni du leur. [...]
Mais voici que je vivais quotidiennement avec des centaines de ces fanatiques religieuses; dans la mesure où elles ne me considéraient pas comme un «instrument du Malin», il était fatal qu'elles tentent de me faire rejoindre leurs rangs ou, comme elles disaient dans le langage singulier de leur secte, de me faire «porter témoignage». Toutes les femmes qui tentèrent de discuter avec moi avaient sans exception un niveau d'éducation très médiocre. La plupart d'entre elles étaient originaires de villages ou de petites villes, de familles paysannes ou ouvrières, de la petite bourgeoisie parfois, mais toutes avaient fréquenté l'école. Il était parfaitement vain d'évoquer devant elles des références empruntées à l'histoire, voire aux sciences naturelles; elles répondaient à tout par des citations de la Bible, et lorsque j'entrepris une fois de parler de l'histoire de l'évolution et mentionnai sans malice le bon vieux Darwin, elles réagirent comme si j'avais invoqué le Diable en personne. Elles finirent rapidement par se convaincre que je ne présentais aucune des prédispositions ou qualités me permettant de devenir témoin de Jéhovah; elles cessèrent donc de tenter de me convertir mais — m'assuraient-elles sans relâche pour me manifester leur sympathie — elles conservaient l'espoir que l'«inspiration» finirait par me venir avant qu'il ne soit trop tard et que je connaisse le sort de tous les «damnés». Si j'ai bien compris ce qu'elles entendaient par là, toute l'humanité allait, à brève échéance, connaître «la fin du monde» et être précipitée dans la damnation éternelle. C'est alors que surviendrait, pour les seuls témoins de Jéhovah, l'Âge d'or, l'«Armageddon».
[...] La seule croyance en l'imminence de la fin du monde n'aurait pourtant pas suffit à faire des témoins de Jéhovah des ennemis du Troisième Reich... si de surcroît elles n'avaient pas été convaincues que toute organisation étatique était l'«œuvre du Malin», de même d'ailleurs que tout Église, — à commencer par l'Église catholique. Pour elles, le régime nazi était (et elles en trouvaient lla prophétie dans la Bible!) le couronnement de l'entreprise diabolique; survenant à la fin des temps, il était le signe avant-coureur de la chute de tous les incroyants dans l'enfer de la damnation. Les témoins de Jéhovah, qui s'en tenaient au commandement chrétien «Tu ne tueras point», étaient totalement réfractaires à la guerre: cela coûta la vie à de nombreux hommes professant la foi et les femmes de Ravensbrück, elles, refusaient d'effectuer tout travail relevant de l'effort de guerre — une attitude qui n'allaient pas sans conséquence. Jusqu'en 1942, elles constituèrent, au camp, le personnel le plus recherché, le plus convoité par les SS. [...] A tel point qu'on les dota de laissez-passer spéciaux leur permettant d'entrer et de sortir du camp pour le travail sans surveillance: jamais un témoin de Jéhovah n'aurait songé à s'enfuir! Elles étaient d'ailleurs, en un certain sens, des «détenues volontaires». Il leur suffisait en effet de se présenter auprès de la surveillante-chef, de signer une déclaration attestant qu'elles renonçaient à leurs convictions pour être remises en liberté le jour même. Le contenu en était grosso modo le suivant : «Je soussignée... déclare renoncer à dater d'aujoud'hui à être témoin de Jéhovah et m'engage à ne plus participer aux activités de l'Union internationale des témoins de Jéhovah, ni par la parole, ni par écrit...»
Jusqu'en 1942, celles qui «signèrent» demeurèrent des cas tout à fait isolés.

Un jour, l'une des plus âgées des détenues, tuberculeuse, est sélectionnée pour un départ vers les chambres à gaz. Il est trop tard pour détruire la liste des prisonnières choisies. Margarete Buber-Neumann va voir la malade pour tenter de la convaincre d'adjurer et de quitter le camp. Elle pense avoir réussi :

Mais une demi-heure plus tard environ, je vois entrer Ella Hempel dans la pièce de service où je me trouve. Une expression de dégoût et de fureur gravée sur le visage, elle me lance:
— Grete, je n'aurais jamais pu imaginer que tu étais de mèche avec le Malin! Que tu faisais cause commune avec les SS!
Je ne comprends pas tout de suite ce qu'elle entend par là:
— Qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce que tu veux?
—Tu as conseillé à Anna Lück d'aller signer! Comment as-tu pu faire une chose pareille?
Là, vraiment, c'en est trop; pour la première et la dernière fois je sors de mes gonds et j'agonis d'injures un témoin de Jéhovah:
— Quoi? hurlé-je, vous prétendez être des chrétiennes? Et vous livrez de sang-froid votre sœur au gaz? Dis-moi un peu quels sont les commandements chrétiens qui l'ordonnent? L'amour du prochain, peut-être? Il ne vous suffit pas de laisser en carafe vos enfants, de laisser sans broncher les autorités les fourrer dans des foyers nazis, les maltraiter? Non, il faut qu'en plus vous alliez prêter main-forte à un assassinat — pour la plus grande gloire de Jéhovah! Des brutes sans cœur, voilà ce que vous êtes!
Elle s'attend si peu à cette sortie qu'elle bat en retraite, effrayée. Je suis alors persuadée de m'en être fait une ennemie pour toujours. Mais tout au contraire. A dater de ce jour, elle sera la soumisson en personne — raison suffisante pour me la rendre tout à fait antipathique.

Les textes ne se comprennent qu'à la fin

A l'égard des premières pages d'un livre de philosophie, les lecteurs ont une attitude singulière: ils croient qu'elles constituent le fondement de tout ce qui suivra. C'est pourquoi ils s'imaginent qu'il suffit de les réfuter pour avoir réfuté l'ensemble du livre. C'est ce qui explique l'énorme intérêt pour la doctrine du temps et de l'espace chez Kant, sous la forme où il l'a développée au début de sa Critique… ce qui explique aussi les tentatives ridicules pour «réfuter» Hegel dès le premier acte de sa Logique, et Spinoza, en s'attaquant à ses définitions. D'où également le désarroi du general reader face aux ouvrages de philosophie. Il s'imagine que ces livres devraient nécessairement être «particulièrement logiques» et entend par là que chaque phrase devrait logiquement dépendre de la précédente de sorte que si l'on retirait la fameuse première pierre «tout l'édifice s'écroulerait». En vérité, ce n'est nulle part moins le cas que dans les ouvrages philosophiques. Chaque phrase y est moins déterminée par la précédente que par la suivante, et celui qui n'a pas compris une phrase ou un alinéa — s'il s'imagine devoir obéir au scrupule de ne rien laisser passer qui ne fut compris — ne trouvera qu'une aide médiocre à les relire sans cesse ou en recommençant depuis le début. Les livres de philosophie sont rebelles à cette stratégie systématique de style ancien régime qui pensait ne devoir laisser aucune forteresse non-conquise sur ses arrières; ils veulent être conqui dans un style napoléonien, au terme d'une attaque audacieuse du gros des troupes ennemies, après la défaite desquelles les petites forteresses des frontières tombent d'elles-mêmes. Donc, celui qui ne comprend pas un passage doit en espérer plus sûrement l'élucidation s'il continue courageusement sa lecture. La raison d'une telle règle difficilement admise par les débutants et, comme on l'a déjà indiqué, par bien des non-débutants, réside dans le fait que la pensée et l'écriture ne sont pas la même chose. Le rythme auquel obéit la pensée est fait en réalité de mille relations; dans l'écriture, ces mille relations sont obligées de s'ordonner précisément et soigneusement selon le droit fil de milliers de lignes. Schopenhauer l'a dit: tout son livre ne cherchait à exprimer qu'une seule idée, mais il ne pouvait la communiquer en faisant moins que tout un ouvrage. Si un livre vaut vraiment d'être lu, c'est assurément à la condition qu'on ne comprenne pas, ou tout au moins qu'on mésinterprète, ses premières pages. Sans quoi la pensée qu'il communique ne vaudra pas qu'on y repense puisque, si l'on sait dès qu'elle est discutée où «cela aboutira», c'est évidemment qu'on la connaît déjà. Cela ne concerne que les livres, car eux seuls peuvent être écrits et lus sans du tout tenir compte de la durée. D'autres lois régissent le fait de parler ou d'écouter. Lorsqu'il s'agit, bien sûr, d'une parole et d'une éthique véritables et non pas de ce qui se dénigre soi-même sous le nom de «cours» où l'auditeur doit oublier qu'il possède une bouche et n'a rien de mieux à faire qu'à devenir une main qui prend des notes. Mais cela vaut en tout cas pour les livres.

On ne peut donc prévoir à quel endroit aura lieu cette victoire de l'entendement, c'est-à-dire à quel moment l'ensemble de l'ouvrage pourra être embrassé d'un seul regard; en général, cela arrive quand même avant les dernières pages, mais il est rare que cela se produise avant la moitié du livre, et il est exceptionnel que ce soit au même endroit ne serait-ce que pour deux lecteurs. Du moins lorsqu'il s'agit de lecteurs réellement libres, et non de ces lecteurs dont la foisonnante érudition leur fait deviner ce qu'il y a dans le livre avant même d'en avoir lu les premiers mots et qui, grâce à leur copieuse bêtise, ignorent encore ce dont il traitait après en avoir lu les dernières phrases. Lorsqu'il s'agit de livres anciens, ces vertus du lecteur se répartissent pour l'essentiel selon deux types humains, les professeurs et les étudiants; pour les livres récents, elles se rencontrent volontiers chez une même personne.

Franz Rosenzweig, La pensée nouvelle, Remarques additionnelles à L'Étoile de la Rédemption, p.41-42,
traduit par Marc B. de Launay in "Les Cahiers de la nuit surveillée", n°1

Influences

Si je lis Flaubert ou des commentaires sur Flaubert, je lis Travers à travers Flaubert, je vois des correspondances, des allusions, partout. Si je lis Barthes, je lis Travers à travers Barthes, si je lis Nabokov, je lis Travers à travers Nabokov (les jumeaux, les miroirs, «Satire is a lesson, parody is a game», «a modicum of average "reality" (one of the few words wich mean nothing without quotes)», «We did not expect that, amid the whirling masks, one mask would turn out to be real face, or at least the place where that face ought to be», etc).

644.« On se demande ce qu'ils ont lu...
Renaud Camus, ''Vaisseaux brûlés

On se demande ce qu'on lit et ce qu'on invente.

Alfred Appel, le commentateur de The annotated Lolita me fait rire, il exagère un peu tout de même : note 48/2 (édition 1991) «toothbrush mustache: Quilty has one too; see p.218. Poe also had one, but Nabokov said that no allusion was intented here.»
Et j'imagine Nabokov souriant ou soupirant devant ce commentateur zélé trouvant des correspondances et des coïncidences sans relâche. (J'aime la note 4/9: «although Nabokov did not know it until this note came into being, Quilty is a town in Country Clare, Ireland, appropriate to a verbally playful novel in which there are several apt references to James Joyce. See 4/11.») Parfois Appel se moque de lui-même: note 51/2 «The name of "Harold D.Doublename" represents a summary phrase (p.182), but the annotator's double initials are only a happy coincidence.»

Finalement, je postulerais que de l'auteur, du narrateur ou du lecteur (tout lecteur attentif est un commentateur potentiel), l'un des trois au moins doit être fou. «Several of Nabokov's narrators are mad. Among other things, their madness functions as a parody of critical dogma about fiction, and a telling parody of the reader's own delusory "contact with reality".» (note 34/3) C'est la condition qui permet de fondre fiction et réalité, la condition qui permet d'admettre qu'entre fiction et réalité, il n'y a qu'un regard. La fiction n'est pas réalité, comme le croit un lecteur naïf, mais il est fort possible que la réalité soit fiction : «If it is disturbing to discover that the characters in The Gift are also the readers of Chapter Four, this is because it suggests, as Jorge Luis Borges says of the play within Hamlet, "that if the characters of a fictional work can be readers or spectators, we, its readers or spectators, can be fictious".» (introduction à The annotated Lolita). Dès lors «ils parlent du roman qu'ils viennent de lire tout à fait comme si les personnages appartenaient à la» (L'Inauguration p.229) redevient légitime. Il y a bien enchantement et "fairy tale".

«Cet enfant vit dans les livres» pourrait être lu dans son sens premier. (Mais ce que je pense, c'est : doit être lu dans son sens premier.)

séminaire n°12: Joshua Landy - Un égoïsme utilisable pour autrui

Joshua Landy est professeur à Standford. Il a fait ses études à Cambridge et Princeton.
Il a écrit un livre sur la philosophie comme fiction, Philosophy As Fiction : Self, Deception, and Knowledge in Proust, avec ce mot de "deception" toujours si difficile à traduire en français. Il a réfléchi à la philosophie pour le "self-fashioning", la formation du moi, et la contribution de la littérature à la formation du moi.
Le titre de son intervention est "un égoïsme à l'usage d'autrui".

***


Je vais commencer par deux exemples. A la fin du Temps retrouvé, le narrateur, malade, décide d'utiliser son temps d'immobilisation à répondre à deux lettres, l'une pour s'excuser auprès de Mme Molé de ne pas pouvoir venir à une soirée, l'autre pour présenter ses condoléances à Mme Sazerat qui lui a appris la mort de son fils. Il répond aux deux, en regrettant de consacrer son temps aux mondanités, mais, ce qui est plus étrange, en regrettant également d'avoir répondu à Mme Sazerat:
je lui écrivais aussi, puis ayant ainsi sacrifié un devoir réel à l’obligation factice de me montrer poli et sensible, je tombais sans forces, je fermais les yeux, ne devant plus que végéter pour huit jours.1
On assiste ici à un renversement des valeurs. La création est le devoir réel, la politesse, la considération envers autrui ne sont que des devoirs secondaires.
Que faut-il en penser? Ce narcissisme est-il coupable? L'esthétique devient une éthique au sens fort du terme, un lieu qui demande des sacrifices. Nous en avons des exemples à travers plusieurs artistes, Elstir, Bergotte, ou Ruskin qui sacrifiait «tous ses plaisirs, tous ses devoirs et jusqu'à sa propre vie»2 à son art.

Si l'esthétisme n'est pas un hédonisme, d'où provient le statut normatif de ce devoir? Il existe un impératif de perfectionnement de soi: «nous ne nous créons en réalité de devoirs […] qu’envers nous-mêmes.»3
Il faut prendre le narrateur à la lettre: c'est pour nous qu'il fait ce qu'il fait. Quel cadeau nous fait-il? Quel est l'enjeu du roman? Le roman commence par nous exposer une incapacité d'être, le narrateur nous décrivant ses Mois successifs, une cathédrale, un air de musique, une rivalité entre deux personnages historiques, et reconnaît à la fin du livre, après la disparition d'Albertine : «ma vie m’apparut […] comme quelque chose de si dépourvu du support d’un moi individuel identique et permanent […]»4

Trois problèmes à résoudre
Il faut donc qu'il y est un Moi stable et permanent;
il faut accéder à ce Moi;
il faut avoir la capacité de transmettre ce que ce Moi a appris.
Il faut les trois, et il faut répondre à ces trois problèmes, problème ontologique, problème épistémologique et problème de communication.

"Je" change en continu. On diffère de soi, dans une division autant diachronique que synchronique, bien souvent je ne me comprends pas si je tombe face à d'anciens de mes actes ou de mes écrits. Si par miracle je tombe sur une facette stable de mon être, je n'ai à ma disposition pour l'exprimer que le langage menteur.
Au Ve siècle avant J.C., Gorgias avait déjà remarqué qu'il n'y avait pas de vérité, que si elle existait on ne pourrait pas la connaître, et que si on arrivait à la connaître on ne pourrait pas la dire.

Trouver un Moi stable
La solution trouvée par Proust au premier problème est une épiphanie mnémonique. Un Moi permanent qui se souvient est la condition de la possibilité de la mémoire involontaire. La mémoire involontaire n'est possible que si une partie du Moi est inchangeante (je dirais qu'elle est également la preuve de l'existence de cette partie stable du Moi (remarque du blogueur)). C'est la mémoire qui rend l'identité de soi possible. John Locke a ainsi déterminé ce qui faisait l'identité de soi: tant qu'un individu peut répéter en lui-même la mémoire d'une action passée, il est le même Moi.

Comment accéder à ce Moi?
Les données du sens ne sont pas structurées en elles-mêmes par l'esprit, ainsi que l'ont montré Kant et Nietzsche. Nous déformons ce que nous voyons et nous sommes incompréhensibles à autrui. Qu'on songe par exemple aux réactions en dyptique du narrateur découvrant en Rachel l'amour de Saint-Loup, ou de Saint-Loup contemplant la photographie d'Albertine, avec la même réaction étonnée et incrédule: «c'est ça, la jeune fille que tu aimes?»

Comment savoir au juste qui je suis?
Si je suis ma percepetion, il est impossible de me saisir directement, il me faut un miroir. Ici, c'est l'amour qui sert de miroir. Un homme a toujours la même façon de s'enrhumer, il tombe également amoureux des mêmes personnes et de la même façon. Il faut s'observer amoureux, observer sèchement ses actes plutôt que privilégier l'observation a priori.

Nous avons donc résolu deux problèmes: le problème ontologique (par la mémoire) et le problème épistémologique (en s'observant amoureux).

Comment exprimer cette connaissance du Moi?
Le langage trahit le vrai Moi (dans le sens où il dit autre chose que la vérité du Moi). Il faut donc faire un détour pour accéder à la vérité. Ce détour, c'est le style:
car le style, pour l’écrivain aussi bien que pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel de chacun. Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune.5
Je suis ceux que j'ai étés, la longue série des Moi qui balisent mes jours. Mon Moi est égal à l'intégrale de mes Moi.
La narrativité est très en vogue chez les Anglo-Saxons, et elle recouvre quelque chose de très vrai.

1/ La narration est provisoire et recouvre des croyances illusoires. Imaginons que vous soyez Mme Verdurin. Si l'on se place à la fin du XIXe siècle, votre prise de position pour le dreyfusisme représente une erreur sociale et vingt ans de retard dans votre ascencion de l'échelle sociale. Mais si l'on se place vingt ans plus tard, c'est l'acte le plus porteur de votre vie.
L'avenir a ainsi le pouvoir de changer le passé.
Pourquoi par exemple le narrateur interrompt-il son récit de son amour pour Gilberte pour nous signaler incidemment une Albertine, nièce de Mme Bontemps? Parce qu'il connaît le futur. On assiste ainsi à une réécriture continue de l'histoire. Les nouvelles éditions sont permanentes, aucune n'est "vraie".

2/ D'autre part la narration doit être esthétique. Les philosophes se réclament du récit, mais écrit sans style.Ce que comprend Proust, c'est que les techniques littéraires sont indispensables.
Car à l'inverse, si Albertine compte, pourquoi nous parler de Gilberte? L'épisode de l'amour pour Gilberte ne cause pas l'amour pour Albertine, il le prépare, comme la sonate de Vinteuil prépare le septuor. C'est ce que Genette appelle une amorce: un geste proleptique non causale. Les divers Mois conspirent ainsi à produire un Moi unifié.

3/ La narration du Moi n'a presque aucune valeur en elle-même. Mais en écoutant l'histoire des autres j'apprends à raconter mon histoire. En apprenant à raconter mon histoire j'apprends à raconter le futur.
Cela permet de maximiser le plaisir, cela m'habitue à vivre au futur antérieur. J'apprends à vivre autobiographiquement.

Mais alors ?

C'est une conclusion inattendue: le but de tout cela n'était-il pas de raconter une vie?
Oui et non : oui pour le narrateur, non pour Proust. Proust invite tout le monde à écrire.

Est-ce que le narrateur va écrire la Recherche du temps perdu? Non. Il vient d'écrire ce que nous venons de lire. La vie continue, ce que nous venons de lire est à réécrire. C'est une réécriture permanente à la façon de Pierre Ménard.
La plus grande différence entre Proust et son personnage, c'est que Proust a déjà écrit tandis que le narrateur ne sait pas s'il écrira.
Non, tout le monde ne doit pas écrire une biographie, mais vivre la vie en tant que littérature.

Où est le devoir ici ?

1/
Certes, ce que j’avais éprouvé dans la bibliothèque et que je cherchais à protéger, c’était plaisir encore, mais non plus égoïste, ou du moins d’un égoïsme (car tous les altruismes féconds de la nature se développent selon un mode égoïste, l’altruisme humain qui n’est pas égoïste est stérile, c’est celui de l’écrivain qui s’interrompt de travailler pour recevoir un ami malheureux, pour accepter une fonction publique, pour écrire des articles de propagande) utilisable pour autrui.6
Que va nous apporter Marcel? la découverte de la vision du monde par un autre:
Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre […]7
L'art nous donne les moyens de détruire les murs de la cellule sollipsiste.

En 1917, Weber porte un diagnostic pénétrant sur notre époque en évoquant le désenchantement du monde: la technique permet de faire des prévisions, nous pouvons maîtriser la nature, il y a de moins en moins de miracles et de plus en plus de phénomènes naturels.
Weber a négligé que chaque fois que la religion s'est retirée a eu lieu un réenchantement moderne et multiple; car Dieu remplissait de multiples fonctions (cf. Nietzsche), des fonctions de rédemption, d'épiphanie, de mystère, d'infini, fonctions maintenant éclatées entre de nombreux intervenants:
ce n’est pas un univers, c’est des millions, presque autant qu’il existe de prunelles et d’intelligences humaines, qui s’éveillent tous les matins.8
Proust nous fournit une nouvelle perspective, il réenchante le monde.

2/ Dans le même temps, il s'agit d'un geste altruiste. Il s'agit de fournir aux autres les moyens de se connaître. Il présente un processus ''a posteriori'' qui remontent des effets aux causes.

Hervé Picherit s'est posé une question simple: quand Swann tombe-t-il amoureux d'Odette pour la première fois?9 La réponse est surprenante: Swann tombe huit fois amoureux d'Odette pour la première fois, mais chaque fois pour des raisons différentes: parce qu'elle semble lui échapper, parce qu'elle semble lui appartenir, parce qu'il désire l'esthétiser, parce qu'elle plaît à Charlus, parce qu'elle lui montre de la bonté, etc.
Le lecteur doit choisir entre ses possibilités, quitte à ce qu'il rende compte après du choix qu'on a fait. Selon la belle phrase d'Antoine Compagnon, nous sommes interloqués, perplexes, mais cette incertitude doit aboutir à une certitude subjective et stable, car si l'origine de la philosophie est dans l'émerveillement, sa fin est un savoir, la philosophie est un outil pour se connaître.

La Recherche est un exemple de la façon d'organiser son histoire, ses souvenirs. Elle donne l'exemple d'une pensée hypotactique, c'est-à-dire qui sait organiser tous les éléments d'une vie. Il ne suffit pas de raconter, il faut se reconstruire.

A la recherche du temps perdu est un roman formatif. C'est terrain pour se former, un livre à lire et à relire. Il faut relire des passages ou la phrase qu'on vient de lire. C'est un livre à lire en invitant le lecteur à croire ou ne pas croire. C'est un processus d'autoformation, la Recherche est un entraînement à la vie.

3/ La lecture est un processus où il importe de tomber dans des pièges.
4/ La Recherche est un modèle formel pour la construction de soi et de son histoire.
5/ pas noté

Finalement, est-ce moral ou non?
Il y a une moralité de l'artiste.
Le cadeau que nous fait Proust réenchante le monde. C'est un geste altruiste.
''La Recherche'' est un roman formatif en ce qu'il nous présente un modèle formel. Il permet l'aiguisement des capacités, de la foi pour se raconter même si c'est une foi qui tient de l'illusion lucide. La lecture est une expérience et le narrateur le sait. Lire un roman, écouter une sonate, regarder un tableau sont des activités qui possèdent une temporalité propre.
Il n'y a pas d'idé dans le septuor, tout au plus des motifs. C'est un événement, c'est une expérience.

***


Question de AC: S'agit-il d'un apprentissage de ce qui devait être ou d'un futur ouvert?
JL : Je n'ai pas de réponse. Il me semble que le champ est ouvert, il existe plusieurs manières de se raconter sa vie. On peut raconter sa vie de manière extrêmement convaincante et échouer, comme Krap, de Beckett: il dévoue sa vie à son art, et au moment de sa mort, onze exemplaires de son livre ont été vendus, dont certains à des bibliothèques d'outre-mer (précise-t-il dans un raffinement de cruauté).
AC: mais si Beckett écrit ce genre de roman, c'est aussi en réaction à Proust.
JL : ce serait une longue discussion…

la version de sejan.



Notes :
1 : Le Temps retrouvé, Clarac t3, p.1040
2 : Préface de Proust à La Bible d'Amiens, de John Ruskin
3 : La Prisonnière, Clarac t3, p.98
4 : La Fugitive, Clarac t3, p.594
5 : Le Temps retrouvé, Clarac t3, p.895
6 : Le Temps retrouvé, Clarac t3, p.1036
7 : Le Temps retrouvé, Clarac t3, p.895
8 : La Prisonnière, Clarac t3, p.191
9 : H. G. Picherit, The Impossibly Many Loves of Charles Swann: The Myth of Proustian Love and the Reader's "Impression" in Un amour de Swann

The Narrative of Arthur Gordon Pym, d'Edgar Allan Poe

Parmi mes lectures obligatoires de ce mois (parfois il me semble que je fais trop de promesses), je devais choisir le texte d'un "écrivain de la mer". Melville était le plus évident (mais impossible de remettre la main sur Billy Budd, j'en viens à me demander si je l'ai acheté), Conrad bien sûr (Lord Jim m'attend depuis 1984), peut-être Loti, j'ai repoussé la tentation de Golding parce que c'était beaucoup trop long.
Je regrette un peu de ne pas avoir pris le temps de trouver Le vieil homme et la mer. Je l'ai lu il y a très longtemps, et quand j'y pense, je suis prise de vertige. S'il est un livre dont le temps de la lecture est appelé à représenter le temps de la fiction, c'est bien celui-là: rien d'autre qu'un poisson, un homme, la mer, et le temps. Il faut donc que l'écriture résiste à la lecture, empêche le lecteur d'atteindre trop vite la fin. Quelles techniques Hemingway a-t-il utilisées? Sont-elles efficaces? Qu'en penserais-je aujourd'hui?
Ce sera pour une autre fois. Je me suis résolue à lire Les aventures d'Arthur Gordon Pym, ce qui me permettait de combler une lacune et tenir ma promesse d'un même mouvement.

Trois remarques :
1/ Les récits qui commencent par un épisode qui paraît totalement détaché de la suite me fascine. Je songe à cette remarque de Victor Hugo citée par Ricardou:

«Toutes les pièces de Shakespeare, deux exceptées, Macbeth et Roméo et Juliette, trente-quatre pièces sur trente-six, offrent à l'observation une particularité qui semblent avoir échappé jusqu'à ce jour aux commentateurs et aux critiques les plus considérables (...). C'est une double action qui traverse le drame et qui le reflète en petit. A côté de la tempête dans l'Atlantique, la tempête dans un verre d'eau. Ainsi Hamlet fait au-dessous de lui un Hamlet; il tue Polonius, père de Laertes, et voilà Laertes vis-à-vis de lui exactement dans la même situation que vis-à-vis de Claudius; il y a deux pères à venger. Il pourrait y avoir deux spectres. Ainsi, dans Le Roi Lear, côte à côte et de front, Lear désespéré par ses filles Goneril et Regane, et consolé par sa fille Cordelia, est répété par Gloucester, trahi par son fils Edmond et aimé par son fils Edgar. L'idée bifurquée, l'idée se faisant écho à elle-même, un drame moindre copiant et coudoyant le principal, l'action traînant sa lune, une action plus petite que sa pareille; l'unité coupée en deux, c'est là assurément un fait étrange.»[...]
Dans la mesure où le récit-satellite, pour parler comme Hugo, résume le grand récit qui le contient, il joue le rôle d'un révélateur.
Jean Ricardou, Le Nouveau roman, p.60 à 86

Le premier chapitre de Gordon Pym est-il un révélateur? On y voit le caprice d'un jeune homme qui entraîne son ami dans une aventure stupide sans que celui-ci ne songe à résister, les dangers de l'ivresse (intoxication), un naufrage, une mort quasi-certaine, l'opposition d'un homme droit à un homme fourbe, enfin le retour au port, où tout se passe comme s'il ne s'était rien passé: l'aventure est tellement enjolivée par les témoins qu'elle ne peut plus être reconnue, les protagonistes mentent et personne ne met en doute leur mensonge:

Scoolboys, however, can accomplish wonders in the way of deception, and I verily believe not one of our friends in Nantucket had the slightest suspicion that the terrible story told by some sailors in town of their having run down a vessel at sea and drowned thirty or forty poor devils, had reference ever to the Ariel, my companion, or myself.
fin du premier chapitre

Une fois de retour, les jeunes gens mentent donc habilement sur ce qui s'est passé. Faut-il en déduire que le récit qu'on nous fournit est mensonge? Ou n'est-ce que le signe qu'il faut mettre en doute le récit de la transmission du récit, cet éditeur Poe qui reprendrait à son compte le récit de l'aventurier Pym?

Je soulignerais également la qualité onirique de cette première aventure: tout se passe comme s'il ne s'était rien passé. Un bateau a été détruit et a disparu, mais personne ne pose de question, personne ne s'étonne, sans qu'on sache s'il s'agit d'une preuve de l'extrême liberté dont dispose l'ami du héros dans sa famille, ou de la preuve de l'extrême négligence de l'auteur, ou de la volonté de l'auteur de ne pas enchaîner événements et conséquences (dans le but d'accentuer le caractère rêvé et brumeux de l'épisode?).

2/ M'a frappé l'accumulation des détails durant la traversée sur le Grampus: trois temps, celui de la claustration, celui de la mutinerie, celui du naufrage. Seul celui de la mutinerie permet l'action. Comment donner une épaisseur de temps au récit de l'absence d'événements? en se consacrant aux détails matériels, en détaillant tout, de la façon d'arrimer un chargement à celui de boire l'eau d'une tortue de mer. En accumulant les pages sur ce genre de détails à la Jules Verne, en s'attachant avec une précision maniaque à l'alternance des jours et des nuits (les naufragés dorment vraiment peu!), Poe réussit à faire passer le temps.
D'autre part, on sait dès le début du récit, par sa tonalité qui fait à plusieurs reprises des incursions dans le futur pour nous préparer à ce qui va se passer (tout en nous mettant sur de fausses pistes), que le personnage principal va être sauvé. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce sauvetage n'intervient pas rapidement et que Poe n'hésite pas à accumuler les situations désespérées et les faux espoirs, de navires fantômes à navire s'éloignant en sens inverse à navires scélérats ne recueillant pas de naufragés, sans compter que dès que ceux-ci accumulent quelques vivres, une vague plus forte vient leur enlever.
Chaque fois qu'un personnage plonge pour essayer de trouver de la nourriture ou qu'une voile apparaît à l'horizon, le lecteur se dit que l'épisode naufrage va prendre fin, comme par miracle, et que décidément être personnage de livre est de tout repos, on est toujours sauvé par un événement inattendu.
Mais pas ici. Les péripéties s'accumulent, les espoirs sont à chaque fois déçus (alors qu'on sait qu'il faut que l'auteur sauve ces personnages, on l'attend, à chaque nouveau délai on se demande comment il va s'y prendre), tant et si bien que lorsque apparaît le navire salvateur, le narrateur commence par nous prévenir que nombreux sont les navires qui ne s'arrêtent pas pour recueillir des naufragés — pour être aussitôt démenti. Poe joue ainsi à prendre systématiquement le contre-pied de ce qu'on attend ou de ce qui serait logique, créant des effets de suspense, d'étonnement et de malaise.

3 / S'il est frustrant pour le lecteur qui éprouve l'impression d'être floué (Poe échappant à la tâche d'expliquer à quoi Pym a échappé et comment), l'artifice qui consiste à faire mourir le narrateur après son son retour mais avant qu'il n'ait fini son récit, est une péripétie qui dans dans "la vraie vie" serait extrêmement vraisemblable.


Enfin, de façon plus anecdotique, je crois que la fin de ces aventures a directement inspiré la fin d'un des tomes de la Chronique de Narnia, The voyage of the Dawntreader. Il me semble même qu'elle en serait la contraposée positive.
Le Passeur d'aurore est parti vers l'est pour atteindre la fin du monde. Après de multiples aventures, il atteint un endroit où l'eau de l'océan est devenue douce. Elle a des pouvoirs magiques, elle comble la faim, rajeunit les explorateurs, leur permet de contempler le soleil. le navire se déplace sans vent, porté par un fort courant.
L'obsession du blanc, ici valeur positive, et le voile d'eau, rappellent Poe:

"My Lord", said Caspian to Drinian one day, "what do you see ahead?"
"Sire", sais Drinian, "I see whiteness. All along the horizon from nort to south, as far my eyes can reach."
[...]
The whiteness did not get any less mysterious as they approached it.
C.S. Lewis, The voyage of the Dawntrader, dernier chapitre

Les explorateur vont découvrir une mer de lotus.
Plus tard:

There was no need to row, for the current drifted them steadily to the east. None of them slept or ate. All that night and all next day they glided eastward, and when the third day dawned — withe a brightness you or I could not bear even if we had dark glasses on — they saw a wonder ahead. It was as if a wall stood up between them and the sky, a greenish-grey, trembling, shimmering wall. Then up came the sun, and at it first rising they saw through the wall and it turned into wonderful rainbow colours. Then they new that the wall was really a long, tall wave — a wave endlessly fixed in one place as you may often see at the edge of a waterfall.
C.S. Lewis, The voyage of the Dawntrader, dernier chapitre

à comparer avec:

I can liken it to nothing but a limitless cataract, rolling silently into the sea from some immense and far distant rampart in the heaven.
Edgar Allen Poe, The narrative or Arthur Gordon Pym, avant dernier chapitre.

Le Passeur d'aurore n'atteindra pas le voile d'eau, il s'échouera avant.

Rédiger une adresse

Beaucoup d'internautes de passages arrivent ici en posant la question "comment rédiger une adresse?" (alors que je ne réponds qu'à la question «Comment rédiger une carte postale?»).
La réponse matérialiste à cette question se trouve ici.

Une réponse plus complète et plus "française" se trouve dans Parlez mieux, écrivez mieux, ce livre désuet datant de 1974 édité par Reader's Digest.

L'adresse

Monsieur, Madame, Mademoiselle sont de jolis mots: ils méritent d'être écrits en entier devant le nom de votre correspondant; bannissez donc les abréviations pour ces trois mots, réservez-les plutôt aux avenues (av.), boulevard (bd) et autres squares (sq.): elle sont alors tolérables.
Faites précéder le nom du destinataires de l'initiale de son prénom ou du prénom entier. Si vous écrivez à un couple, c'est l'initiale du prénom (ou le prénom) du mari qu'il faudra écrire après Monsieur et Madame (jamais Madame et Monsieur [...])
Le prénom entier devra figurer s'il y a une Geneviève et une Gabrielle, un Georges et un Gaston, dans la même famille et à la même adresse; cela pour éviter toute confusion.
Si vous destinez la lettre à toute la famille, vous pouvez écrire sur l'enveloppe:
Monsieur et Madame R. B...
et leurs enfants

Si votre correspondant porte un titre, celui-ci doit en principe figurer sur l'enveloppe; mais peut-être ne souhaite-t-il pas le voir mentionné, pour des raisons diverse; renseignez-vous discrètement. Les titres de noblesse, le titre de docteur, les grades militaires précèdent toujours le nom. On écrira donc:
Madame la Comtesse de N...
Monsieur le Baron et Madame la Baronne de P...
Monsieur le Docteur H...
Madame le Docteur F
Monsieur le Colonel et Madame V...
Plus familèrement, on pourra écrire:
Comtesse de N...
Baron et Baronne de P...
Docteur F...
Le Docteur et Madame H...
Colonel V...
Le Colonel et Madame V...

Notez que, pour les militaires à la retraite, on ne mentionne le grade que pour les officiers supérieurs (commandant, lieutenant-colonel, colonel dans les armées de terre et de l'air, capitaine de corvette, de frégate ou de vaisseaux dans l'armée de mer) et les officiers généraux (général dans les armées de terre et de l'air, contre-amiral, vice-amiral, amiral dans l'armée de mer).
Les autres titres ou les professions qui équivalent à un titre sont placés au-dessous du nom:
Monsieur P. S...
Avocat à la Cour

Monsieur X...
Secrétaire perpétuel de l'Académie française

Docteur C...
Médecin-chef de l'hôpital de Nevers

Monsieur A. P...
Président du comité de lutte contre l'alcoolisme
Ce dernier exemple est à la limite de l'acceptable, car il est bien long; de même, si votre correspondant possède plusieurs titres, n'en mentionnez qu'un: le plus important.

Ecrivez le nom et l'adresse sur l'enveloppe aussi lisiblement que possible, non seulement pour faciliter le travail des P.T.T., mais aussi par courtoisie envers le destinataire. Si votre écriture est peu lisible, utilisez des capitales d'imprimerie.
[suivent les recommandations des P.T.T., données en lien au début de ce billet].
Si vous écrivez à l'étranger, le nom du pays doit être rédigé en français, sous le nom de la ville, du district, du comté, etc.
Mrs C. W. JOHNSON
80 St. Stephen's Road
NORWICH NOR 90 09 S
GRANDE-BRETAGNE

Si vous écrivez poste restante, sachez que votre correspondant doit avoir au moins dix-huit ans, qu'il lui faudra présenter une pièce d'identité et payer une légère surtaxe.

Si vous n'êtes pas sûr que votre correspondant se trouve à l'adresse indiquée (déménagement, vacances, déplacement prolongé, etc.), portez la mention«Prière de faire suivre», soulignée deux fois, en haut et à gauche de l'enveloppe.

Adresse de l'expéditeur

Sauf pour vos lettres mondaines, il est très recommandé de mentionner votre propre adresse, ainsi que votre nom, au dos de l'enveloppe, discrètement et lisiblement. Cette précaution évitera à votre lettrede tomber au rebut, si l'adresse de votre correspondant est incomplète, mal libellée ou inexacte. Au surplus, le destinataire saura, avant même d'ouvrir son courrier, qui lui écrit.

Votre correspondant habite chez un tiers

Il se peut que l'adresse à laquelle vous expédiez votre lettre ne soit pas l'adresse personnelle de votre correspondant. Vous la libellerez alors ainsi:
Monsieur C.V....
aux vons soins de Monsieur G...
7, rue Thiers
45000 ORLÉANS
La formule «aux bons soins de», la plus correcte, peut cependant être remplacée par «chez» ou par c/o, abrégé de l'anglais care of.

Après Gide et Proust, convoquons Nabokov

Ce billet s'inscrit dans la suite d'un autre billet.

"Le sujet de la phrase est davantage dans l'action." Rien dans la langue, je crois, ne peut étayer ce sentiment.

We came to know — nous connûmes, to use a Flaubertian intonation— the stone cottages under enormous Chateaubriandesque trees, the brick unit, the adobe unit, the stucco court, on what the Tour Book of the Automobile Association describes as "shaded" or "spacious" or "landscaped" grounds.
Vladimir Nabokov, premier chapitre de la deuxième partie de Lolita.

Avec nous connûmes, je vois Humbert au volant de sa voiture, Lolita à côté de lui, en train de parcourir l'Amérique et découvrir ses hôtels (Il n'y a pas une chasse d'eau des journaux camusiens, de Journal romain à Outrepas, qui ne m'évoque Lolita).
Avec "nous avons connu", je vois Humbert penché sur son cahier, en train de raconter ses voyages.
C'est ce que j'appelle "un sujet davantage dans l'action".


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réponse de Rodolphe (l'inconscient!)

We came to know — nous connûmes, to use a Flaubertian intonation— the stone cottages under enormous Chateaubriandesque trees, the brick unit, the adobe unit, the stucco court, on what the Tour Book of the Automobile Association describes as "shaded" or "spacious" or "landscaped" grounds.
Vladimir Nabokov, premier chapitre de la deuxième partie de Lolita.

Cet exemple me met un peu mal à l'aise. Nabokov commence par employer le prétérit anglais ("we came to know") avant de continuer en français dans le texte (nous connûmes). Est-ce cependant la traduction? "To use a Flaubertian intonation" peut suggérer au contraire que connûmes s'impose en vertu de ses qualités sonores. En outre, le prétérit anglais ne se traduit pas systématiquement par un passé simple. Selon le contexte, le sémantisme du verbe, etc., la logique impose parfois l'imparfait ou le passé composé. Quelle connaissance Nabokov avait-il du français? Votre exemple pourrait certes s'avérer pertinent: vous n'avez néanmoins pas choisi la facilité.


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ma réponse

"To use a Flaubertian intonation" peut suggérer au contraire que "connûmes" s'impose en vertu de ses qualités sonores.
Quelle connaissance Nabokov avait-il du français?

Nabokov est connu pour avoir construit des résonnances, allusions, jeux de mots, transversaux au russe, à l'anglais et au français. Son aisance à ces jeux paraît si grande qu'elle en est devenue mythique.
(Ah Rodolphe, que vous me permettiez d'étaler mes connaissances toutes fraîches (elles datent de quelques recherches suite à la lecture des trois premières Églogues) suffirait à ce que je vous embrassasse (non parce que j'étale (quoique), mais parce que c'est une telle joie de se plonger dans Nabokov)).

Disons tout d'abord que lorsque Nabokov utilise nous connûmes, il sait très précisément ce qu'il évoque ou invoque en utilisant ce temps, et que c'est peut-être justement parce que la même nuance ne peut s'exprimer en anglais qu'il utilise le français. Que la sonorité vienne compléter son dessein est un plaisir supplémentaire et nécessaire, quelque chose qui va de soi, d'une certaine façon, comme dans tout usage poétique de la langue.

Je ne sais pas trop par quoi commencer. Voici les souvenirs d'un élève de Nabokov :

After the initial lecture on good literature and good readers (the course was taught in Goldwin Smith Hall, by the way, a fact which might be of interest to anyone doing research into the sources of the names in Pale Fire), we were told to be sure to bring our copies of the novel to the next class, for the first lecture on each novel consisted largely of a long list of corrections of the inevitably wretched translation.
"Turn to page 15, line eight — cross out 'violet' and write in 'purple'. 'Violet', he would blurt out in a kind of disdainful glee. "Imagine, 'violet' ", he would almost quiver in delight at the exquisite vulgarity of the translator's word-choice.
"Page 18, third line from the bottom — change 'umbrella' to 'parasol'. " He would hold up the book like something damp and greenish found under the sink: "This wingless Penguin..."
I almost remember the translation corrections better than the novels. In Madame Bovary for instance, "steward" became "butler", "fluttered" became "rippled", "pavement" became "sidewalk" — but was Rudolf Emma's first or second lover? Never mind. [...]
Ross Wetzsteon in TriQuaterly number seventeen, winter 1970, p.245

ou (évidemment, ce serait plus parlant en anglais, mais je n'ai que le français sous la main)

«L'if, arbre sans vie! Ton grand Peut-Être, Rabelais:
La grande patate. I.P.H., un très laïque
Institut (I) de Préparation (P)
A l'Hadès (H), ou If, comme nous
L'appelions — grand si !— m'invita à discourir sur la mort
Pendant un semestre («pour traiter du Ver»,
M'écrivit le Président Mc Aber).»

Ligne 501 : L'if
Yew en français. Il est amusant de constater que le mot zemblais pour saule pleureur est également if (yew se traduit par tas)

Ligne 502 : La grande patate Un exécrable jeu de mots, délibérément placé dans cette position épigraphique pour souligner le manque de respect envers la mort. De mes années d'études, il me souvient des soi-disant «derniers mots» de Rabelais, parmi d'autres brillants traits d'esprit dans quelque manuel de français: Je m'en vais chercher le grand peut-être.»
Vladimir Nabokov, Feu Pâle, Canto trois


This is only one facet of Nabokov's multi-lingual nature. His translations, re-translations, pastiches, cross-linguistic imitations, etc., form a dizzying cat's craddle. No biographer has, until now, fully unraveled it. Nabokov has translated poems of Ronsard, Verlaine, Supervielle, Baudelaire, Musset, Rimbaud from French into Russian. Nabokov has translated the following English and Irish poets into Russian: Rupert Brooke, Seumas O'Sullivan, Tennyson, Yeats, Byron, Keats and Shakespeare. His Russian version of Alice in Wonderland (Berlin, 1923) has long been recognized as one of the keys to the whole Nabokov œuvre. Among Russian writers whom Nabokov has translated into French and English are Lermontov, Tiuchev, Afanasi Fet and the anonymous of The Song of Igor's Campaigne. His Eugene Oneguine, in four volumes with mammoth textual appartus and commentary, may prove to be is (perverse) magnum opus. Nabokov has published a Russian text of the Prologue to Goethe's Faust. One of is most bizarre feats is a re-translation back into English of Konstantin Bal'mont's "wretched but famous" (Andrew Field: Nabokov, p.372) Russian version of Edgar Allan Poe's The Bells. Shades of Borges's Pierre Menard!
Equally important, if not more than these translations, mime, canonic inversions and pastiches of other writers —darting to and fro between Russian, French, German, English and American—are Nabokov's multi-lingual recastings of Nabokov, the principal translator into English of his own early Russian novels and tales, but he has translated (?) Lolita back (?) into Russian, and there are those who consider this version, published in New York in 1967, to be Nabokov,s crowning feat.
George Steiner in TriQuaterly number seventeen, winter 1970, p.122


C'est en 1948, je crois, que Vladimir Nabokov vint enseigner à l'université de Cornwell [...]
Si l'on s'était attendu à ce que Nabokov enseignât le russe, cette illusion fut vite dissipée. non seulement il n'entendait rien à l'enseignement des langues aujourd'hui, mais, dans la mesure où il s'en instruisait, il n'avait que dédain pour des méthodes où il ne voyait que préjugés et défis à la culture. Pour lui, le langage était un instrument extrêmement sensible, que rien ne pouvait éprouver mieux, et finalement éclairer, que la littérature elle-même. Vouloir étudier le russe, ou n'importe quelle autre langue, par voie de phonèmes ou de morphèmes, lui répugnait tout simplement.
[...]
Il constituait un mélange curieux de sens esthétique et de simple bon sens: cette combinaison étonnait sans cesse ses collègues. la littérature pour lui n'était pas tant un moyen d'expression qu'une façon de dominer le langage, et presque de l'exténuer. [...]
David Daiches in L'Arche n°99, 1985, réédition du numéro de 1964 consacré à Nabokov, p.65 et 66


[...] he has translated (?) Lolita back (?) into Russian, and there are those who consider this version, published in New York in 1967, to be Nabokov's crowning feat.
George Steiner

My private tragedy, which cannot, and indeed should not, be anybody's concern, is that I had to abandon my natural idiom, my untrammeled, rich, and infinitely docile Russian tongue for a secon-rate brand of English, devoid of any of those apparatuses —the baffling mirror, the black velvet backdrop, the implied associations and traditions— which the narrative illusionist, frac-tails flying, can magically use to transcend the heritage in his own way.
dernière phrase de la postface de Nabokov à Lolita

A propos de la traduction de Lolita en russe :

I am only troubled now by the jangling of my rusty Russian strings. The history of this translation is a history of disillusion. Alas, that "marvellous Russian" which, I always thought, constantly awaited me somewhere, blooming like true spring behind hermetically sealed gates to which I kept the key for so many years — that Russian turns out to be non-existent. And behind the gates there is nothing, except charred stumps and a hopeless automn vista, the key in my hand is more like a lock-pick.
Nabokov dans la postface de sa Lolita russe Traduction de Irwin Weil dans TriQuaterly (op. cit.), p.282

Les carnets de Finnegans Wake IV

Ceci est le quatrième cours du séminaire. J'ai été absente pour le troisième.

C'est un vrai plaisir de suivre Daniel Ferrer. Sa passion pour le sujet lui permet de ne pas faire cours, mais de raconter, de proposer, d'hésiter, de bafouiller. Il nous raconte Finnegans Wake, sa vie autour de Finnegans Wake, il donne l'impression que tout un réseau de limiers est lancé dans l'enquête et partage (ou pas, je suppose) les mystères élucidés. Daniel Ferrer insiste beaucoup, souvent, à sa manière hésitante, sur le fait que l'interprétation est ouverte, qu'il n'existe pas une bonne réponse, mais qu'au contraire c'est la multiplicité qui est la vérité de ce texte. Rien n'est bête, tout le monde a sa place, son mot à dire. La pièce est petite, un abri anti-atomique au second sous-sol (attendre la fin de l'hiver nucléaire en étudiant Finnegans Wake), nous sommes une poignée, deux poignées, de tous âges, toutes nationalités (J'ai cru comprendre que Ferrer espère le plus grand nombre de nationalités possibles, et un Irlandais natif). Certains sont des habitués, paraissent travailler sur Joyce depuis des années.



Quelques indications géographiques à partir d'un schéma

Le vidéoprojecteur affiche une lettre de James Joyce à Mrs Weaver dans laquelle il donne quelques clés de FW. L'intérêt de cette lettre est de fournir un schéma avec des indications géographiques, schéma que je ne peux représenter ici (d'où mon envie d'écrire ce billet), agrémenté de légendes manuscrites mal déchiffrables/mal déchiffrées (et donc tout ce que je vais écrire avec les lettres sans hésitation de ce clavier sera un quasi-mensonge).

La lettre A se trouve en haut du schéma, la lettre Z en bas, un peu en biais vers la droite. Entre les deux, une ligne en pointillé.
- Au niveau de A on déchiffre: "Hills of Howth" => la prononciation irlandaise donne à peu près "Haoueth". Joyce a donné une étymologie: "Dan Hoved" => la tête du géant dans le paysage.
- Au niveau de Z, "Magazine Hill", la colline qui surplombe Dublin (les pieds du géant?), et juste avant "Phoenix Park", le parc qui est un peu l'équivalent de notre bois de Boulogne, dans lequel HCE vit des aventures imprécises (difficiles à cerner).
- Sur la ligne en pointillé, entre les deux extrémités, "old plains of Dublin".
- On déchiffre plus ou moins sur le bord du schéma "A...Z your postcard" => il s'agit sans doute (conjecture) d'une réponse à une carte postale de Mrs Weaver demandant des explications.

Au-dessus de dessin, des mots "Mare xxxx xxxx nostrum". Le second peut-être sestrum (les sœurs?)

les deux frères,
Shem : l'écrivain
Shaun : le postier          =>l'un écrit, l'autre transporte (la lettre d'Anna Livia Plurabelle, la mère)

2 collines : la tête et les pieds de Finn Mac Coll allongé dans le paysage.

A droite de cette ligne en pointillé, une ligne continue, partant quasiment de A, d'abord en plongeant vers le sud puis en s'incurvant et prenant la direction de l'est un long moment avant de descendre vers le sud. La ligne continue alors à peu près parallèle à la ligne pointillée s'arrête au niveau de Z. Le long de cette ligne deux mots, le premier indéchiffrable, le second "Liffey", peut-être, la rivière qui traverse Dublin.
Cette ligne continue pourrait aussi bien être une côte qu'une rivière.

les allusions sexuelles : partout
a long / along => séparation/fusion

Le premier brouillon

J'indique les mots sur lesquels nous nous sommes arrêtés, et parmi ceux là, ceux pour lesquels j'ai pris des notes => il faut imaginer que la page projetée sur l'écran est entièrement écrite et que nous ne nous sommes intéressés qu'à quelques mots, représentatifs ou ayant subi des transformation avant d'arriver à la version définitive.

- "on a merry isthmus" => évoque christmas (il faut imaginer le mot écrit à la main).
- "to wielderfight his peninsulae war" => On a vu l'origine allemande de "wielderfight" [1]. Il s'agit des guerres péninsulaires. L'ombre de Wellington et de Napoléon (surtout Napoléon) sur le livre. Deviendra "penisolate", à la fois "penis" et "isolate".
- "Not pass-encore" => not a été barré, "pass" ajouté au dessus de la ligne, avec un trait, une ligature, le reliant à encore. soit "passage", "en corps"...
- "re-arrived" : (arrived sur la ligne, "re" au-dessus, en surcharge, et lié par untrait): cyclique
- "by the Oconee exaggerated" : la rivière de Dublin. thème qui devient fondamental.
- "Sham rocks" : shame (honte en anglais). Une étudiante fait remarquer que "Sham" est un mot relevé en allemand signifiant "vagin". "rocks", c'est aussi les couilles (plus tard, un auditeur rappellera l'interjection de Molly arrêtant une explication de son mari par "rocks!"). Shamrocks, c'est aussi l'emblème de l'Irlande, le trèfle, dont il est dit que Saint Patrick se servit pour expliquer la Trinité.
- "themselvesse to Laurens" => "eux-mêmes" se renverse en "autres" (else) altérité. Reprend cette vieille idée de Freud qui l'arrangeait bien que dans les langues archaïques tout mot signifiait également son contraire. (Mais on sait aujourd'hui que c'est faux).
- un peu dans la marge "from afire" : le feu de loin (a far)
- answered corrigé en "bellowed" surchargé en "bellows" => beugler, mais aussi le soufflet qui attise la flamme
- "mishe chiche" : "je suis", explication de Joyce à Mrs Weaver => peut-on y croire?
- "tufftuff" : deviendra "tauftauf" - "Patrick" => a devient e : Petrick. "peat", c'est la tourbe, brûle avec beaucoup de fumée. (Ferrer nous raconte une histoire: un Irlandais sur un champ de bataille a dans sa ligne de mire un général et s'apprête à le tuer. mais le général se met à déféquer, et l'Irlandais hésite, il ne peut tuer le général durant un geste aussi humain sans compter qu'il serait humiliant d'être trouvé mort ainsi. Mais le général se saisit d'une motte de tourbe pour s'essuyer et alors l'Irlandais offensé dans son âme irlandaise le tue sans hésiter).
- "all’s fair in vanessy", "twinsosie sesthers" : les deux amours de Swift s'appeler Esther. L'une fut surnommé Vanessa. Elle s'appelait Ester Vanhomrigh, Swift a procédé à une inversion et à un collage.
- "all’s fair in vanessy": rappelle "Vanity Fair" (la foire aux vanités) et "all is fair in war and love"
- "the story tale of the fail is retailed early in bed" => "retailde": vendre au détail, vendre sa salade.

apparté: on a retrouvé des contes écrits par Nora sous la dictée de Joyce, car Joyce était aveuglé par une opération. Cela a une influence sur l'orthographe, et donc le sens, de certains mots.

Deuxième brouillon

Commence par le signe E sur le dos (je ne peux pas le représenter avec ce clavier). C'est le signe de HCE sur le dos, les pattes en l'air. -"violers d'amor" : amour, violence, musique
- "over the short sea" => on entend "short C", un do majeur, une note brève
- "noravoice" = le nom de sa femme, Nora. hésitaiton sur la coupure. nor avoice, nora voice
- "the fall (...)" => introduit ici pour la première fois le mot de cent lettres, le tonnerre dans toutes les langues.
- of a once wallstreet oldparr" => la crise de 29? Mais écrit avant la crise!! "old par": on entend "vieux père", mais aussi "saumon", le poisson du renouveau. cyclique.

Deuxième page : décrire toutes les batailles

- "oyshygods gaggin fishigods" : ostrogoths et wisigoths. contre (gegen en allemand) ou étrangler (gagging)

Et là je me perds, quand je confronte mes notes au texte, rien n'est dans l'ordre: mes notes remontent au début du texte.
- "river" lié à "run", rajouté en ligature
- "topsawyers" => Tom Sawyer, Huckleberry Finn
- "gorgios": argot gitan. ceux qui ne sont pas des gitans. mais aussi Georgio le fils de Joyce. mais aussi le défilé (straight, narrow =>isthmus)
- Jonathan (Swift) =>"nathandjoe", nath and joe : a fait subir au prénom de Swift quelque chose d'analogue à la déformation d'Esther Vanhomrigh en Vanessa.

On reprend le début de la version définitive

- riverrun : une référence à un poème de Coleridge, Kubla Khan (1798)

In Xanadu did Kubla Khan
A stately pleasure-dome decree:
Where Alph, the sacred river, ran    => Alph = Anna Livia Plurabelle
Through caverns measureless to man
Down to a sunless sea.

- "past Eve and Adam's" : une église de Dublin.
Si l'on découpe past Eve and Adam's , on obtient "Steven", le prénom du petit-fils de Joyce, né peut après la mort du père de Joyce qui s'appelait aussi Steven (d'où cycle, renaissance, etc.)

- "Rot a peck of pa’s malt had Shem" => O Willie brew'd a peck o' maut , poème de Robert Burns en 1789. Chanson à boire (comme Finnegan's Wake. Sens des vers de la fin: "le premier qui nous quitte est une poule mouillée et un cocu, le premier qui tombe de sa chaise est roi". cf. Finnegans bourré qui tombe raide mort de son échelle et se réveille à l'odeur du whisky.).
Daniel Ferrer nous a projeté une version chantée en nous en conseillant une autre (mais pas de liaison wifi dans l'abri anti-atomique). Tlön l'a retrouvée.

- Humpty Dumpty : Il invente sa propre langue. cf le chapitre VI de Through the looking glass:

I don't know what you mean by "glory",' Alice said.
Humpty Dumpty smiled contemptuously. `Of course you don't — till I tell you. I meant "there's a nice knock-down argument for you!"'
`But "glory" doesn't mean "a nice knock-down argument",' Alice objected.
`When I use a word,' Humpty Dumpty said, in rather a scornful tone, `it means just what I choose it to mean — neither more nor less.'
`The question is,' said Alice, `whether you can make words mean so many different things.'
`The question is,' said Humpty Dumpty, `which is to be master — that's all.'
Alice was too much puzzled to say anything; so after a minute Humpty Dumpty began again. `They've a temper, some of them — particularly verbs: they're the proudest — adjectives you can do anything with, but not verbs — however, I can manage the whole lot of them! Impenetrability! That's what I say!'

=> On peut faire ce qu'on veut avec les adjectifs, les verbes résistent.

Schématiquement, le langage se déploie selon deux axes.
- syntagmatique / contiguïté
- paradigmatique / virtualité
exemple de paradigme : sujet / verbe / attribut du sujet Le sujet (et toutes les autres fonctions) peut prendre différentes valeurs: une femme, une rose, etc.

Selon Jakobson, la fonction poétique du langage consiste à projeter le paradigme sur le syntagme afin d'attirer l'attention sur le fonctionnement même du langage.

D'autres exploreront d'autres voies: par exemple Gertrudre Stein fera bégayer le paradigme ("A rose is a rose is a rose.")

Joyce
- projette le paradigme sur le syntagme, de façon démesurée (ex: le tonnerre en 100 lettres)
- ne choisit pas. mots-valises (à la Lewis Carroll). exemple: sister+ Esther = sesther

Quelques tentatives déjà présentes dans Ulysses.

Notes

[1] la semaine dernière

Les carnets de Finnegans Wake XI

Nous devions lire pour cette séance le chapitre 7 (1-7, selon la notation consacrée), dit le chapitre de Shem.

C'est un chapitre "facile", peut-être le plus facile avec le chapitre 8; il est possible dans faire une lecture traversante.
Shem est un peu une figure possible de Joyce. Le dégommage généralisé de Shem par Shaun dans ce chapitre ne peut être complètement sincère (puisqu'il s'agit du dégommage de Joyce par Joyce), mais la polyphonie est malgré tout beaucoup moins complexe que dans le chapitre "Tristan". On entend facilement les deux voix en contrepoint.

Le même motif intervient dans le chapitre précédent, le 1-6 (chapitre du questionnaire, ou quizz). Il est composé de douze questions (comme les douze apôtres). La douzième est très courte, la réponse aussi. La onzième est très longue, et la réponse d'une longueur équivalente à celle du chapitre Shem. Il s'agit d'une sorte de préparation du lecteur au chapitre de Shem (1-7), bien que ce soit un chapitre qui en réalité a été écrit après le suivant: la narration se tord littéralement sur elle-même.

Dans le chapitre 1-6 Shaun apparaît sous des instances diverses et notamment sous celle du professeur Jhon Jhamiesen qui dénonce Shem de façon si exagérée que cela se retourne contre lui. Ce chapitre contient plusieurs fables, dont celle opposant Brutus, Cassius et César sous la forme de Burrus, le beurre, Caseous, un fromage et un autre fromage : tout le conflit est traduit en termes de fromages.

Retour au chapitre 1-7, et plus précisément à partir de la page 185-27. (Daniel Ferrer nous recommande de nous fabriquer une réglette numérotant les lignes afin de retrouver très vite les passages sans compter les lignes.) Deux personnages prennent la parole, Justius et Mercius, la justice et la pitié. D'une certaine manière, on peut dire que Justius parle de lui à lui-même.

JUSTIUS (to himother): Brawn is my name and broad is my nature and I've breit on my brow and all's right with every feature and I'll brune this bird or Brown Bess's bung's one bandy. I'm the boy to bruise and braise. Baus! Stand forth, Nayman of Noland (for no longer will I follow you obliquelike through the inspired form of the third person singular and the moods and hesitensies of the deponent but address myself to you, with the empirative of my vendettative, provocative and out direct), stand forth, come boldly, jolly me, move me, zwilling though I am, to laughter in your true colours ere you be back for ever till I give you your talkingto! Shem Macadamson, you know me and I know you and all your shemeries. Where have you been in the uterim, enjoying yourself all the morning since your last wetbed confession? I advise you to conceal yourself, my little friend, as I have said a moment ago and put your hands in my hands and have a nightslong homely little confiteor about things. Let me see. It is looking pretty black against you, we suggest, Sheem avick. You will need all the elements in the river to clean you over it all and a fortifine popespriestpower bull of attender to booth.[...]
Finnegans Wake, p.187

"JUSTIUS (to himother)" : himother c'est à la fois la mère et lui-même, c'est aussi le frère.

Laurent Milesi (que nous avons vu précédemment) a écrit un article sur les fins et les débuts dans Finnegans Wake en montrant comment les fins annoncent les débuts. C'est particulièrement vrai si l'on examine l'enchaînement du chapitre 1-7 et 1-8 (le chapitre dit "Anna Livia").
Shem est celui qui écrit la lettre dictée par la mère, Shaun la transporte.

"Brawn is my name" : pas seulement le muscle.
Brown et Nolan sont un thème qui traverse FW. C'est un éditeur de Dublin.
mais il s'agit surtout de Bruno Nola (ou Bruno Nolan) : Giordano Bruno né à Nola, l'un des philosophes de la coïncidence des contraires. Joyce l'appelle aussi Bruno Brûlot, car brûlé par l'Inquisition.
=> Justius part en croisade contre la négativité. Il est le "Nayman of Noland", l'homme qui refuse.

Dans le carnet 6-b-6, on trouve une longue phrase qui est très vraisemblablement tirée d'ailleurs (Joyce l'ayant recopiée), mais la source demeure inconnue à ce jour: «I shall not follow him any longer through the inspired form of a 3 person but address myself to him directly...»
Dans le texte définitif cette phrase est reprise entre parenthèses et signale qu'on quitte la 3e personne. On s'adresse directement à Shem.
"obliquelike" : connotation morale (par opposition à droiture, rectitude)
"deponent" : double nature, forme active mais verbe passif
"mood" : l'humeur mais aussi les humeurs, dont il va être beaucoup question dans ce chapitre.

"hesitensies" : thème important. problème d'orthographe.
Il faut revenir à Parnell. Saint Patrick et lui sont les deux grandes gueules de l'Irlande. Souvent chez Joyce Parnell est associé au loup, car il a dit au moment de son arrestation : "don't throw me to the wolves". L'Eglise finira par abattre Parnell en prouvant son adultère avec Kitty O'Shea, mais avant cela il y avait eu une première tentative pour le discréditer. Il s'agissait de fausses lettres (forgeries) dans lesquelles Parnell semblait approuver des meurtres qui avaient eu lieu dans le Parc Phoenix. En fait elles avaient été écrites par un certain Piggott. Celui-ci fut confondu à cause d'une faute d'orthographe sur hesitancy. Cette hésitation sur "hésitation" enchanta Joyce.


L'origine des mots du carnet 6.b.6 et leur utilisation dans le texte

Dans ce chapitre Joyce a utilisé les reproches qu'on lui avait faits à propos d' Ulysses. Schaun, c'est son frère Stanislas, c'est aussi Oliver St John Gogarty (le modèle de Buck Mulligan dans Ulysses), ou encore Wyndham Lewis, un peintre moderniste que Joyce considérait comme un ami jusqu'à ce qu'il découvre son livre Time and Western Man dans lequel Lewis le critique vivement.

Je rappelle que les carnets contiennent des mots, des fragments, des phrases, et que la publication de ces carnets s'accompagne de l'identification (dans la mesure du possible) de l'origine de ces mots. Un autre pan du travail consiste à étudier l'utilisation de ces mots dans les phases successives des brouillons jusqu'à la version définitive.
Durant ce cours, Daniel Ferrer nous a montré l'origine de divers mots repris dans des articles de journaux. J'ai noté ce que je pouvais comme je pouvais.

incoherent atoms : mots notés mais non rayés dans le carnet 6.b.6 => donc non utilisé. Il provient d'un article de Virginia Woolf, Modern Fiction repris dans The Common Reader :

It is, at any rate, in some such fashion as this that we seek to define the quality which distinguishes the work of several young writers, among whom Mr. James Joyce is the most notable, from that of their predecessors. They attempt to come closer to life, and to preserve more sincerely and exactly what interests and moves them, even if to do so they must discard most of the conventions which are commonly observed by the novelist. Let us record the atoms as they fall upon the mind in the order in which they fall, let us trace the pattern, however disconnected and incoherent in appearance, which each sight or incident scores upon the consciousness.

Digression de Daniel Ferrer: «Nous avions étudié les notes de lecture de Virginia Woolf à propos d' Ulysses. Elles sont très négatives, alors qu'elle écrit finalement un article plutôt positif afin de mettre Joyce de son côté, contre la vieille garde. (À l'époque elle n'avait encore rien écrit, enfin si, La traversée des apparences qui était passé inaperçue et autre chose, de moindre intérêt. (Je ne sais pas si vous savez que les articles du TLS (Times Literary Supplement) ont été très longtemps anonymes. Ils ne sont signés que depuis une vingtaine d'années)).»

Dans les quelques lignes citées plus haut Woolf applique à Joyce les mots que la critique woolfienne applique habituellement à Virginia Woolf. A priori c'est plutôt aimable, mais Joyce a relevé "incoherent" et "atoms".

Plus loin dans le même article (Modern Fiction), Woolf note (anonymement, donc) à propos de Portrait of the Arstist as a young Man:

Indeed, we find ourselves fumbling rather awkwardly if we try to say what else we wish, and for what reason a work of such originality yet fails to compare, for we must take high examples, with Youth or The Mayor of Casterbridge. It fails because of the comparative poverty of the writer’s mind, we might say simply and have done with it.

Joyce reprend poverty of mind dans FW page 192, ligne 10 (192-10): «with a hollow voice drop of your horrible awful poverty of mind».

L'article du Sporting Times du 1er avril 1922 contre Ulysses était tellement outrancier que la librairie Shakespeare et Cie l'avait affiché à titre de publicité. Il commençait ainsi:

After a rather boresome perusal of James Joyce's Ulysses, published in Paris for private subscribers at the rate of three guineas in francs, I can realise one reason at list for Puritan America's Society for Prevention of Vice, and can undestand why the Yankee judges fined the original publication of a very rancid chapter of the Joyce stuff, which appears to have been written by a perverted lunatic who has made a speciality of the literature of the latrine.
in James Joyce, de Robert H. Deming (apparement il reprend l'article dans son entier).

=> Joyce réutilise rancid page 182-17.

L'article de Nation & Athenœum du 22 avril 1922 est également une source importante de mots désagréables :

Ulysses is, fundamentally (though it is much besides), an immense, a prodigious self-laceration, the tearing-away from himself, by a half-demented man of genius, of inhibitions and limitations which have grown to be flesh of his flesh.
toujours dans James Joyce, de Robert H. Deming

Joyce a repris semidemented p.179-25 :

It would have diverted, if ever seen, the shuddersome spectacle of this semidemented zany amid the inspissated grime of his glaucous den making believe to read his usylessly unread able Blue Book of Eccles, édition de ténèbres,

remarque: nous travaillons dans l'ordre des mots apparaissant sur le carnet, et non dans l'ordre de leur apparition dans FW.

Retour à l'article du Sporting Times : «The latter extract displays Joyce in a mood of kindergarten delicacy. The main contents of the book are enough to make a Hottentot sick»; ce qui devindra chez Joyce «their garden nursery» p.169-23.

emetic : Le Sporting Times du 1er avril 1922 déclare également : «I fancy that it would also have the very simple effect of an ordinary emetic. Ulysses is not alone sordidly pornographic, but it is intensely dull.»

(Il faut savoir que l'un des arguments utilisé par Le juge Woolsey pour autoriser Ulysses aux Etats-Unis était que le livre était plus émétique qu'érotique.)
Joyce utilise le mot emetic en 192-14,15: «pas mal de siècle, which, by the by, Reynaldo, is the ordinary emetic French for grenadier's drip».

Joyceries : vient d'un article du Sunday Express le 28 May 1922: «if Ireland were to accept the paternity of Joyce and his Dublin Joyceries ... Ireland would indeed... degenerate into a latrine and a sewer».
Joyceries est devenu Shemeries en 187- 35,36.

Asiatic. Il y a toute une thématique de l'étranger, du "bougnoule", dans ce chapitre. James Joyce finit par tout condenser p.190-36 191:

an Irish emigrant the wrong way out, sitting on your crooked sixpenny stile, an unfrillfrocked quackfriar, you (will you for the laugh of Scheekspair just help mine with the epithet?) semi-semitic serendipitist, you (thanks, I think that describes you) Europasianised Afferyank!

inspissateted : le Nation & Athenœum du 22 avril 1922: «Every thought that a super-subtle modern can think seems to be hidden somewhere in its inspissated obscurities.»
repris p.179-25. «the inspissated grime of his glaucous den making believe to read his usylessly unreadable Blue Book of Eccles,»

Blue Book : le Manchester Guardian du 15 mars 1923: «Seven hundred pages of a tome like a Blue-book are occupied with the events and sensations in one day of a renegade Jew».
On se souvient que Joyce avait demandé pour la couverture d' Ulysses le bleu du drapeau grec. Un blue book, c'est aussi un livre porno.

En fait, tout se passe comme si Shem était en train d'écrire Ulysses et Shaun en train de le lire.

millstones : the Dublin Review du 22 septembre 1922 parle de la censure bienvenue de l'Eglise catholique: «Her inquisitions, her safeguards and indexes all aim at the avoidance of the scriptural millstone, which is so richly deserved by those who offend one of her little ones».
repris ainsi par Joyce p.183-20: «unused mill and stumpling stones»
"Millstone", c'est la meule qu'on attachait au cou de ceux qui avaient fait scandale.

D'autre part, un certain docteur J.Collins, plus ou moins psychologue pré-psychanalyste, a écrit The Doctor Looks at Literature, dans lequel il cite Joyce comme l'exemple de l'écrivain plus ou moins pathologique. Selon Ellman, Collins est un modèle important pour le personnage de Shaun.


Une partie des notes prises pour Ulysses n'avaient pas été utilisées => Joyce les recycle dans FW. Il utilise également la copie de Madame Raphael. Il "n'aimait pas perdre". (On trouve dans les brouillons de Victor Hugo des phrases, des pistes empruntées et abandonnées, des débuts de romans, ce qu'il appelait "ses copeaux". Il y a là comme une générosité de la créativité, une expansivité. Rien de tel chez Joyce qui recycle tout.)
Cependant il reste des mots utilisés dans les carnets. Parfois certains posent la question à D. Ferrer: pourquoi se donner tant de mal pour éditer des carnets dont parfois seuls quelques mots ont été barrés (utilisés)... Mais tout est intéressant.
Il existe une sorte de mécanique dans l'utilisation des mots, le fait de les barrer garantit de ne pas les utiliser deux fois. Parfois Joyce se trompe (on s'en aperçoit quand on connaît bien les carnets), oublie de barrer, mais c'est assez rare.

James Joyce connaissait un certain James Steven, qui lui plaisait puisqu'il portait son prénom et celui de son personnage principal; et qui de plus était né le même jour que lui. Il lui avait proposé de terminer Finnegans à sa place, parce qu'il était malade et fatigué. Apparemment Joyce pensait vraiment qu'il y avait une méthode pour écrire FW.


Les différents stades de brouillon avant le texte définitif

passage page 185:

Primum opifex, altus prosator, ad terram viviparam et cuncti potentem sine ullo pudore nec venia, suscepto pluviali atque discinctis perizomatis, natibus nudis uti nati fuissent, sese adpropinquans, flens et gemens, in manum suam evacuavit (highly prosy, crap in his hand, sorry!), postea, animale nigro exoneratus, classicum pulsans, stercus proprium, quod appellavit deiectiones suas, in vas olim honorabile tristitiae posuit, eodem sub invocatione fratrorum geminorum Medardi et Godardi laete ac melliflue minxit, psalmum qui incipit: Lingua mea calamus scribae velociter scribentis: magna voce cantitans (did a piss, says he was dejected, asks to be exonerated), demum ex stercore turpi cum divi Orionis iucunditate mixto, cocto, frigorique exposito, encaustum sibi fecit indelibile (faked O'Ryan's, the indelible ink).

Shem fabrique de l'encre à partir de ses excréments et s'apprête à l'utiliser.
Le passage est en latin, c'est une posture fréquente, pseudo-scientifique. C'est aussi une façon de ne pas être trop explicite...
D. Ferrer ajoute: «Ça me rappelle de vieilles traductions d'Aristophane que je lisais quand j'étais jeune. Les passages un peu croustillants étaient traduits... en latin (on ne conservait pas le grec mais on ne se permettait pas le français, peut-être pour protéger les enfants s'ils tombaient dessus par hasard).»

  • Projection au tableau du manuscrit de ce passage. Il s'agit du premier brouillon connu de ce passage, à cela près qu'il est si bien écrit (régulier, sans rature) qu'il est possible qu'il y en ait eu un avant que nous ne connaissons pas.

Sur ce brouillon, le passage pious Eneas n'existe pas encore. (Attention, le texte ci-dessous est le texte définitif, pas le premier stade de brouillon que nous avons étudié en cours, à propos duquel j'ai pris quelques notes).

Then, pious Eneas, conformant to the fulminant firman which enjoins on the tremylose terrian that, when the call comes, he shall produce nichthemerically from his unheavenly body a no uncertain quantity of obscene matter not protected by copriright in the United Stars of Ourania or bedeed and bedood and bedang and bedung to him, with this double dye, brought to blood heat, gallic acid on iron ore, through the bowels of his misery, flashly, faithly, nastily, appropriately, this Esuan Menschavik and the first till last alshemist wrote over every square inch of the only foolscap available, his own body, till by its corrosive sublimation one continuous present tense integument slowly unfolded all marryvoising moodmoulded cyclewheeling history (thereby, he said, reflecting from his own individual person life unlivable, trans-accidentated through the slow fires of consciousness into a dividual chaos, perilous, potent, common to allflesh, human only, mortal) but with each word that would not pass away the squidself which he had squirtscreened from the crystalline world waned chagreenold and doriangrayer in its dudhud. This exists that isits after having been said we know. And dabal take dabnal! And the dal dabal dab aldanabal! So perhaps, agglaggagglomeratively asaspenking, after all and arklast fore arklyst on his last public misappearance, circling the square, for the deathfęte of Saint Ignaceous Poisonivy, of the Fickle Crowd (hopon the sexth day of Hogsober, killim our king, layum low!) and brandishing his bellbearing stylo, the shining keyman of the wilds of change, if what is sauce for the zassy is souse for the zazimas, the blond cop who thought it was ink was out of his depth but bright in the main.

double dye: dye and double dye : grand tain. Mais on entend aussi "dare and double dare''.

J'ai noté ici le nom d'un jeune Joycien, Finn Fordham, qui a écrit Lots of fun at Finnegans wake, mais je ne sais plus pourquoi il a été cité.''

foolscaps: c'est un format de feuille, c'est aussi le bonnet du fou. integument: une peau qui n'aurait qu'une seule face (comme une figure de Moebius). Universal history & that self which he hid from the world grew darker and darker in outlook. (il s'agit d'une citation du brouillon: pas le texte final). On a ici l'idée d'un moi caché qui se révèle en noircissant du papier. Dans le texte final cela apparaît plus loin, à propos du blond cop.

Au dos de cette page de brouillon apparaît un complément: «the reflection from his personal life transaccidentated in the slow fire of consciousness into a dividual chaos...» (J'ai copié en vitesse, il peut manquer des mots ou je peux en avoir ajouter.)
Tranaccidentated: ce serait l'inverse de la transsubstantation (ce qui en vérité ne nous éclaire guère...)
Ce passage au dos du brouillon sera ajouté entre parenthèses à la version finale.

D'autres ajouts apparaissent en marge.
through the bowels of his misery : vient quasi littéralement d'une "Vie de Saint Patrick".
La plume est aussi la clé; qui est aussi évidemment un élément pénien.
Le stylo porte des clochettes (comme le bonnet du fou).

  • Le stade suivant est le dactylogramme (la copie tapée à la machine et non plus manuscrite).

corrosive sublimation: c'est aussi la transformation des excréments en œuvre d'art, la sublimation au sens freudien.
non corrosive sublimation: voir le chapitre "Circé" dans Ulysses, à propos du fantôme de la mère de Steven.
gallic acid on iron ore : c'est réellement une méthode pour faire de l'encre (bleue)
gallic: français. acidité française? dans la façon d'écrire? => quoi qu'il en soit, dégénérescence joycienne pour les Irlandais.

sublimatioon human tegument => remplacé par sublimation one continuous present tense integument
universal history devient moodmoulded cyclewheeling history
moodmoulded = un peu moisi; cyclewheeling = ni progressif ni régressif
le moi caché devient le "moi-seiche" (the squidself) : qui se cache dans un nuage d'encre tout en se révélant dans l'écriture.
chagreenold and doriangrayer: La Peau de chagrin et Le portrait de Dorian Gray. => Le parchemin qui est sa propre peau se déroule et se réduit; il devient de plus en plus gris (poids des vices de celui qui écrit).
waned: croître et décroître.

  • Sur les épreuves, ajout de la première phrase du passage "Then, pious Eneas,"

copriright (coprophagie)
Urania : Uranie la muse de l'astronomie; Uraniens, surnom des homosexuels entre eux; urine...
copriright in the United Stars of Ourania : un problème pour Joyce. Ulysses étant interdit aux USA (à cause de son obscénité), il n'avait pas de copyright et il était paru plusieurs éditions pirates, dont certaines pas inintéressantes, mais pour la plupart de très mauvaise qualité.


Le chapitre précédent, p.126

So?
Who do you no tonigh, lazy and gentleman?
The echo is where in the back of the wodes; callhim forth! (Shaun Mac Irewick, briefdragger, for the concern of Messrs Jhon Jhamieson and Song, rated one hundrick and thin per storehundred on this nightly quisquiquock of the twelve apostrophes, set by Jockit Mic Ereweak.
James Joyce, Finnegans wake, début du chapitre 6

Je fais ce qu'il ne faut pas faire: je ne respecte pas les lignes et la pagination de l'édition papier, qui permet d'identifier précisément chaque référence (aussi intangible que la Bible, j'en suis toute émerveillée à chaque fois que j'y pense).

Jhon Jhamieson : James Joyce et un whisky bien connu.
quisquiquock : un quizz (le chapitre des quizz). douze questions comme les douze apôtres. Chaque question porte sur un des personnages principaux qui entrent en jeu dans FW.

Question 11 en bas de la page 148.

If you met on the binge a poor acheseyeld from Ailing, when the tune of his tremble shook shimmy on shin, while his countrary raged in the weak of his wailing, like a rugilant pugilant Lyon O'Lynn; if he maundered in misliness, plaining his plight or, played fox and lice, pricking and dropping hips teeth, or wringing his handcuffs for peace, the blind blighter, praying Dieuf and Domb Nostrums foh thomethinks to eath; if he weapt while he leapt and guffalled quith a quhimper, made cold blood a blue mundy and no bones without flech, taking kiss, kake or kick with a suck, sigh or simper, a diffle to larn and a dibble to lech; if the fain shinner pegged you to shave his immartial, wee skillmustered shoul with his ooh, hoodoodoo! broking wind that to wiles, woemaid sin he was partial, we don't think, Jones, we'd care to this evening, would you?

acheseyeld : exilé (phonétiquement) + mal aux yeux.
Dans ce paragraphe des échos de chansons.
La question est à peu près celle-ci: si un mendiant exilé/aveugle venait nous demander la charité, je ne pense pas qu'on lui répondrait, hein, Jones?
Et la réponse : bien sûr que non pour qui me prenez-vous?

Voir la suite et entre autres:

But before proceeding to conclusively confute this begging question it would be far fitter for you, if you dare! to hasitate to consult with and consequentially attempt at my disposale of the same dime-cash problem elsewhere naturalistically of course, from the blinkpoint of so eminent a spatialist.

conclusively confute: réfuter/conforter dans le même mot.
same dim, cash problem : c'est le temps caché
the blinkpoint: à la fois le point de vue et l'œil fermé, le point aveugle.
spatialist: l'espace contre le temps. Le spécialiste des époques, whydam Lewis (cf.ci-dessus).

Dans la suite on trouve Bitchson (Bergson, philosophe qui travaillait sur le temps, attaqué par Lewis); Winestain (tache de vin = Wiggenstein); Professor Loewy-Brueller (Lévy-Bruhl) : la réponse paraît profondément scientifique alors qu'elle est avant tout profondément sordide. La suite va continuer par une fable, " The Mookse and The Gripes", p.152, dans le genre "Le renard et les raisins". Il s'agit encore d'une lutte entre l'espace et le temps.
Les attaques continuent.

En bas de la page 160 on attaque un autre terrain. My heeders will recoil : my readers will recall.
La suite est une allusion à Pope: «Fools rush in where angels fear to tread»; les fous se précipitent où les anges n'osent poser le pied.
Mais ici le proverbe se retourne et il apparaît que les anges ont été bien bêtes.
Il s'agit d'une sottise-fiction.
hypothecated Bettlermensch : l'hypothèque du mendiant
the quickquid : fast box => se faire du blé rapidement. want ours : il en veut à notre argent
Tout ce paragraphe ne parle que d'argent. Evoque les dogmes d'Origène notamment.

Burrus and Caseous have not or not have seemaultaneously : les mêmes. Les heureux jours de la laiterie. «On régresse à pleins tubes» (D. Ferrer sic.) buy and buy (pour by and by) : toujours des problèmes d'argent.
Nous sommes en pleine utopie alimentaire.
risicide : tue le rire
obsoletely: temps passé
passably he: possibly be.
histry seeks and hidepence : seek and hide. L'argent est caché.
Duddy, Mutti : regression
twinsome bibs but hansome ates : encore les deux qui deviennent trois. Handsome is as handsome does : est bon celui qui agit bien.
shakespill and eggs : Shakespeare and eggs (à cause de: Bacon and eggs...)
I'm beyond Caesar outnullused: reprend la phrase de César Borgia: "aut Caesar aut nullus".
unbeurrable from age : insupportable avec l'âge; un fromage à manger sans beurre
pienefarte : to fart = péter
Caesar = Käse = fromage en allemand
Sweet Margareen: la conquérir avec des expressions latines.

Tout le passage n'est qu'un flot de produits laitiers et des jets d'excréments. C'est très enfantin tel que le voit une certaine psychanalyse.

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