Mardi 8 mars 1960. Mort de sa chienne Vania, épagneul breton. Il note dans son petit dictionnaire grec, sans doute sur le modèle de Louise de Vaudémont à Chenonceau : « Rien ne m'est plus, plus ne m'est rien».
Renaud Camus, Le jour ni l'heure

Les chiens, c'était surtout Vania, ma chienne blanche et dorée, suivie d'éventuels prétendants, et de ses rejetons du moment, quand ils étaient assez grands pour courir plusieurs heures, et n'avaient pas été noyés, dans le plus grand des bassins, ni déjà donnés.
Echange (1976), p 9

Voisine est la tombe de Vania, ma chienne bien-aimée. Sa mort a été la plus grande douleur de mon enfance. Depuis des mois je la savais prochaine. Je faisais moi-même, tous les jours, des piqûres à la pauvre bête, qui gémissait doucement. Je me réjouissais presque d'aller en classe, à cette époque, pour m'éloigner un moment du champ clos d'un drame imminent, inéluctable. Pourtant j'avais passé avec le Ciel un contrat. neuf neuvaines achetaient à Vania une semaine de vie. Mais il ne suffisait pas de réciter les paroles des pater et des ave, il fallait en comprendre, au sens le plus fort, en habiter chacune à chaque fois. Je passais mes nuits en prières, à genoux, dans une concentration fébrile. Quand Vania est morte, je n'ai pas perdu la foi mais ma confiance en Dieu. Je n'ai pas su retrouver avec certitude, là-haut, le coin de terre que mon père avait creusé pour elle.
Journal d'un voyage en France (1981), p.94

Une troisième est pour Roman la plus cruelle. Elle paraîtra futile et ne devoir même pas, peut-être, figurer ici; c'est pourtant celle qui l'affecte le plus: la longue agonie, qui dure presque deux ans, de Vanya, son épagneule tant aimée. La reine Louise, qui comprend l'angoisse de son petit-fils, fait venir de Back, à plusieurs reprises, un célèbre vétérinaire. Roman fait lui-même, des mois durant, de quotidiennes piqûres à la pauvre vête, qui gémit et le regarde d'un air de surprise plus que de reproche, sans comprendre pourquoi son jeune maître la fait souffrir. Le mal qui la ronge l'agite de soubresauts, lui fait pousser de soudains cris de douleur. Elle est devenue aveugle et se cogne à tous les meubles. Roman s'échappe de la maison et fait d'immenses promenades dans la forêt pour fuir l'imminence de la fin. Partir pour la capitale et les heures de classe au Palais le soulage, s'éloigner du domaine où la mort tisse ses filets. Mais si Vanya allait mourir pendant qu'il n'est pas auprès d'elle? Il obtient de son père qu'elle vienne à Back abec lui. Mais elle est trop âgée pour un si grand changement. Elle n'est pas heureuse dans l'appartement du Grand Voïvode, dépaysée parmi des objets qu'elle ne connaît pas, trop loin du jardin où ses pauvres pattes ne peuvent plus la mener à travers les escaliers de marbre. On la réinstalle au manoir. Lorsqu'il est loin d'elle, Roman téléphone tous les jours pour avoir de ses nouvelles. Cet appel même lui fait peur. Il en voit s'approcher l'heure avec terreur. L'idée lui vient souvent qu'une fois survenu ce qu'il craint tant, chaque minute l'en éloignera tandis que chaque minute aujourd'hui l'y mène inexorablement: il la chasse.
Roman Roi (1983), p.165-166

Pourtant Roman n'hésite pas un instant sur l'emplacement de la tombe de la chienne Vanya, que rien ne signale, sinon peut-être la proximité d'un petit rocher rond, sur lequel Diane et moi nous appuyons, les yeux sur les toits et le clocher à bulbe de Hörst, très loin en-dessous de nous.
Roman Roi, p.352

Lorsque j'étais enfant, j'aimais tellement une chienne, devenue vieille et malade, que j'avais passé avec Dieu un contrat pour sa protection : Il la maintiendrait en vie aussi longtemps que je dirais chaque nuit neuf neuvaines. Mais il ne s'agissait pas de prononcer automatiquement et à toute vitesse les mots du Notre Père et du Je vous salue. Il fallait au contraire se pénétrer de chacun d'eux, s'interroger sur son sens, je dirais presque le réaliser, au sens même dont s'accommodent les puristes, c'est-à-dire le rendre réel, le citer à comparaître, l'examiner en chacun de ses tenants et de ses aboutissants, sous tous ses angles et tous ses aspects, en la moindre de ses possibles hypostases. Tâche épuisante, on s'en doute, et qui ne saurait être menée à bien. À sonder seulement le Notre de Notre Père, une vie ne suffirait pas. Ne parlons pas du Je de Je vous salue.
D'ailleurs ma chienne mourut.
Du sens (2002), p 55