Billets qui ont 'Notre-Dame-de-Paris' comme lieu.

Les dons pour Notre-Dame expliqués par un Syrien

Je continue à traduire quelques articles ou tweets pour les non-anglophones.
Celui-ci est particulièrement triste parce que c'est un Syrien lui-même qui explique à ses concitoyens, aux musulmans, à tous ceux qui s'émeuvent de la somme colossale réunie en si peu de temps pour Notre-Dame, pourquoi ce n'est pas le cas pour les monuments du Moyen-Orient.
C'est triste parce que l'explication est terriblement humaine, ressortissant à l'émotion et au court terme; parce que par contrecoup elle donne une bonne description de l'état géopolitique du Moyen-Orient.

Avant de passer à la traduction, vous trouverez ici une compilation d'à peu près toutes les opinions qui sont passées sur le net depuis le 15 avril.

Traduction du thread de S.Rifai.
Depuis l'incendie de Notre-Dame et l'émotion mondiale et les promesses massives de dons, je vois d'innombrables tweets (principalement d'arabes et de musulmans) qui se demandent pourquoi il n'y a pas eu une telle réaction et un tel soutien international quand les monuments du Moyen-Orient (certains deux fois plus vieux que Notre-Dame) sont démolis ou détruits.

1 - Un monument religeux et historique connu et renommé dans le monde entier filmé en direct alors qu'il brûle au centre de l'une des principales capitales européennes, ça fait la une. Au Moyen-Orient, cela arrive tous les jours.

2 - C'est un événement unique, avec un début et une fin dans un intervalle de vingt-quatre heures. Cette église n'est pas en train de brûler depuis 14-18.

3 - Cette durée maximise l'effet de choc et concentre la compassion. Les gens voient quelque chose et souhaitent agir rapidement. C'est aussi simple que cela.

4 - Pour les donneurs potentiels, la solution pour reconstruire un monument historique incendié est très simple. On donne de l'argent, on paie des entrepreneurs, on relève le bâtiment incendié. Dans notre cas, c'est un peu plus compliqué.

5- 99% des promesses de dons initiales ont été faites par des millionaires français et par des entreprises multimillionaires françaises. Voilà des gens qui doivent à la France leur bien-être et leur fortune et qui n'hésitent pas à lui rendre la pareille. Au Moyen-Orient: 99% des millionnaires sont soit des dictateurs soit leurs cousins ou leurs amis…
Ces gens n'en ont rien à cirer de ce qui se passe ou ce qui brûle dans leur pays. Donc ne soyez pas étonnés.

6- Pas de conspiration ici: 99% de TOUS les monuments du Moyen-Orient ont été soit découverts par des explorations occidentales, soit préservés par de l'argent occidental ou ont survécu grâce au parrainage occidental.

7- Alors la ferme, honte sur vous et tâchez de préserver tout monument créé par l'homme, quelles que soient sa religion ou ses croyances.

19 quai de Bourbon

Paris — Chaque fois que j'arrive à Paris, j'accomplis un rite particulier. Après avoir dormi quelques heures, je secoue en moi le "glandeur" tiers-mondiste et m'en vais jusqu'à Notre-Dame. J'allume un cierge, je prie, et reste à regarder l'immense cathédrale au cœur de l'Occident. A chaque fois, je pense à Jeanne d'Arc, héroïne de mes lointains douze ans ; au chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, dont Notre-Dame est le point de départ; et à ma mère, professeur d'histoire qui, parmi tant d'autres choses, m'a donné la passion du Monde et du Temps.

Il se passe toujours quelque chose quand je vais à Notre-Dame. Une fois, j'ai rencontré un ami de Porto Alegre que je n'avais pas vu depuis au moins vingt ans. Une autre fois, arrivant d'un séjour pénible dans un Londre glacial et terrorisé par les bombes de l'IRA, à l'époque de la guerre du Golfe, j'ai trébuché sur des grévistes de la faim kurdes, dans le jardin contigu. La fois la plus jolie de toutes, j'étais extrêmement triste. Depuis des mois il n'y avait pas de soleil, personne ne m'envoyait de nouvelles de nulle part, l'argent tirait à sa fin, des gens que je considérais comme des amis avaient été cruels et malhonnêtes. Pis que tout, je me sentais désorienté. Une liberté, une absence de liens, si totales qu'elles en sont horribles, quand on peut aller aussi bien à Botacutu qu'à Java, Budapest ou Maputo, peu importe. On souffre en voyageant: c'est le prix à payer quand on veut voir como um danado, comme un enragé, à la Pessoa. J'éprouvais un manque profond d'une chose dont je ne savais pas ce qu'elle était. Je savais seulement que j'en souffrais, souffrais. Sans remède.

Engoncé dans une capote de la Deuxième Guerre, cet après-midi à Notre-Dame, j'ai prié, allumé un cierge, pensé à des choses du passé, de l'imagination et de la mémoire, puis je suis sorti pour marcher. Je me suis arrêté devant une vitrine pleine des œuvres du comte de Saint-Germain, je me suis perdu dans les rues de l'Île de la Cité. Puis je me suis assis sur un banc du quai de Bourbon, le dos à la Seine, j'ai allumé une cigarette et regardé la maison d'en face, de l'autre côté de la rue. Sur la façade abîmée par le temps on lisait, sur une plaque : « Il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente » — phrase extraite d'une lettre écrite par Camille Claudel à Rodin, en 1886. De cette maison, disait la plaque, Camille était partie directement à l'hospice, où elle est restée jusqu'à sa mort. Éperdue d'amour, de talent, de folie.
Il faisait froid, il pluvinait sur la Seine, un de ces crachins si fins qu'ils n'arrivent même pas à mouiller une cigarette. J'ai copié la phrase sur un agenda. Et si l'on peut savoir ce que signifie « être bien » dans l'inconfort inséparable de notre humaine condition, juste pendant un bref moment j'étais bien.

Petites épiphanies de Caio Fernando Abreu. p 100. José Corti
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