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Les Indomptables, figures de l'anorexie

Depuis quelques jours, pour une raison que je saisis mal, Google m'envoie des personnes faisant des recherches sur l'anorexie et Angelina Jolie. Je n'arrive pas à comprendre comment il est possible d'arriver chez moi en tapant ces mots-là, non que je n'ai posté un jour un billet sur cette actrice, mais ce sont des mots si courants que je dois arriver à la cent-cinquantième page des résultats de Google, suffisamment loin en tout cas pour que j'abandonne avant (par curiosité, j'ai essayé).

Pour récompenser ces lecteurs de leur ténacité, je vais donc mettre en ligne quelques extraits d'un livre sur le sujet que j'avais trouvé passionnant.

Ce livre présente quatre femmes qu'il suppose ou démontre avoir été anorexiques : Elizabeth, impératrice d'Autriche, l'Antigone de Sophocle, Simone Weil et sainte Catherine de Sienne.
L'anorexie existe depuis toujours, mode ou pas mode, mannequin ou pas mannequin, elle est liée aux femmes, plus exactement aux jeunes filles qui refusent de devenir femme. Les jeunes filles anorexiques ont été traitées différemment selon les époques, saintes, sorcières ou folles, elles ont toujours effrayé ou fasciné. Elles représentent le refus d'une vie moyenne, de la vie quotidienne, elles représentent le désir d'autre chose. Ce livre consacré à l'étude des anorexiques et aux possibilités de les guérir n'hésite pas à les décrire avec des accents lyriques.
Avant de nous présenter de courtes biographies d'Elizabeth d'Autriche, Antigone, Simone Weil et sainte Catherine de Sienne, les auteurs retracent l'histoire clinique de l'anorexie et de son traitement, la médecine ayant longtemps hésité entre maladie pschychiatrique et maladie physique et maintenant jusque dans les années 80 une logique de traitement par l'isolement tel qu'il avait disparu pour tout autre maladie.

Publier des observations de patientes vivantes, voire en cours d'analyse pose un problème éthique. Certains psychanalystes demandent l'autorisation à leurs analysants en modifiant certains détails biographiques ou ne transcrivent que des fragments exemplaires pour illustrer ou fonder tel thème ou tel point de théorie. D'autres essayent d'inventer une fiction censée représenter les caractéristiques d'un personnage anorexique dans son entourage social et familial. Il y faut un réel talent littéraire... Nous avons donc choisi une autre voie, peut-être aussi périlleuse: raconter l'histoire de quatre personnages légendaires à des degrés divers, dont les titres de gloire n'évoquent en rien l'anorexie. Il s'agit bien sûr de filles, de très jeunes filles. Nous découvrirons, pour certaines, un rapport à la nourriture typiquement anorexique n'ayant jamais été souligné comme tel; pour d'autres, un rapport à la justice, à la mort, au pouvoir, identique à celui que nous retrouvons en clinique. Chacune d'elles, à sa façon, illustre une ou plusieurs de nos hypothèses concernant l'anorexie. Dans un monde régi par le nécessaire, où toute pensée, toute action est au service du besoin, l'anorexique, précisément par son refus de subvenir aux besoins physiologique du corps, manifeste le vide, l'absence d'une catégorie essentielle à l'être humain, celle du désir. Dans un monde où la parole est dénuée de sa valeur signifiante, où l'ordre symbolique est bafoué, l'anorexique dénonce, par son sacrifice, le ravalement de l'humain au rang de l'animal. Vivre est impossible à celle dont la seule tâche est, à son insu, de remplacer un mort, d'être un mort dans le fantasme d'un parent pour qui le travail de deuil n'a pas été possible. Exhibant un symptôme qui n'échappe pas à l'ordre social, l'anorexique nous oblige à poser, avec elle, les questions essentielles: «Qui suis-je? Où est ma place?» Ces questions, elle ne peut les poser que lorsqu'elle a pris conscience de ce que, loin de diriger son symptôme, elle y est, malgré elle, engluée. Militante, elle combat pour une cause, un peuple, Dieu, sans reconnaître comment ou pourquoi cette démarche lui est imposée, de quel retour d'un refoulé dans le discours de ses ascendants elle est la cible et le représentant. Ne plus être la proie de cette répétition, ne plus jouer indéfiniment le même scénario mortifère et mortel, tel serait le véritable enjeu de sa guérison.
Ginette Raimbault et Caroline Eliacheff, Les Indomptables, éd. poches Odile Jacob, "Avant-propos", p.8 et 9


Sissi :

La femme la plus belle d'Europe, la plus puissante aussi, avait une obsession: ne pas dépasser cinquante kilos (elle mesurait 1,72 m).
[...]
Le culte de son corps est l'une de ses activités principales, ce qui n'est pas sans surprendre où la seule activités des femmes grassouillettes de l'aristocratie consiste à fermer et ouvrir leurs ombrelles. Elles s'en trouvaient d'ailleurs fort bien, la mode n'étant pas aux femmes maigres, ni même minces.
Sissi, Impératrice d'Autriche, s'impose des régimes alimentaires draconiens, se contentant d'un seul aliment — qu'il s'agisse d'œufs, de laitages, d'oranges ou de jus de viande—, d'une vie sans confort dans le luxe le plus ostentatoire et une activité physique démesurée qui ne la fatigue jamais.
Ibid, p.73 (début du chapitre)

Antigone :

L'histoire d'Antigone, comme celle de l'anorexique, est celle d'une jeune fille à l'aube d'une vie de femme qui défie l'ordre établi. Ordre politique pour Antigone, ordre médical pour l'anorexique, ordre familial pour les deux. Par leur sacrifice et par leur ascèse toutes deux posent la question de ce sui constitue l'ordre humain.
Ibid, p.111 (début du chapitre)

Simone Weil :

«French professor starves herself to death» titre le Tuesday Express d'Ashford du 3 septembre 1943 pour annoner la mort de Simone Weil, jeune professeur de philosophie née en 1909 dont la vie a été toute entière consacrée à l'action pour les autres et à la pensée de l'Autre. Au-delà de comportements jugés selon les cas comme pathologiques, ou mystiques, sacrificiels — pour une cause, pour un peuple, pour Dieu — le rapprochement de Simone Weil avec Thérèse de Lisieux et Antigone s'impose pour nous à partir de nos hypothèses concernant la démarche des jeunes anorexiques et l'exigence qui la fonde: une faim d'autre chose, d'une inscription dans l'ordre symbolique nécessaire pour différencier la nature animale de la condition humaine.
Ibid, p.155 (début du chapitre)

Catherine de Sienne :

«Afin d'éviter de donner lieu au scandale, elle prenait parfois un peu de salades et d'autres légumes crus ou de fruits et les mâchait puis se détournait pour les rejeter. Et si elle venait à en avaler une moindre parcelle, son estomac ne lui laissait aucun repos avant qu'elle l'eût vomi. Or ces vomissements lui étaient si pénibles que tout son visage enflait. En pareil cas, elle se retirait à l'écart avec une de ses amies et se chatouillait la gorge, soit avec une tige de fenouil, soit avec une plume d'oie, jusqu'à ce qu'elle se fût débarrassée de ce qu'elle venait d'avaler. C'est ce qu'elle appelait faire justice. "Allons faire le procès de cette misérable pécheresse", avait-elle coutume de dire.[1]»
Ibid, p.231 (début du chapitre)

Epilogue :

[...]
Les facteurs socioculturels fournissent l'étiquette — sainte, hystérique, malade, folle — et l'institution qui valorise ou qui s'oppose à de tels agissements — l'Eglise ou le corps médical. Il est intéressant de constater qu'au XXe siècle, Simone Weil est condidérée comme sainte plus que comme malade et l'on discute dans certains milieux catholiques pour savoir si elle est ou non hérétique.
[...]
Obtenir la guérison biologique est possible. Arriver à la délivrance du désir en souffrance chez ce sujet enfermé dans un quiproquo dramatique et obscène reste une entreprise ardue et incertaine. Ibid, dernières pages

Notes

[1] Propos rapportés par Francesco Malavolti après la mort de Catherine de Sienne, cités par Joergensen J., Sainte Catherine de Sienne, Gabriel Beauchesne ed., 1920, p.173

Angelina Jolie

J’aime Angelina Jolie. Evidemment, c’est beaucoup plus banal qu’aimer les mitocondries, mais tant pis, j’assume.

La première fois que je l’ai vue, cela devait être dans Une vie volée, avec cette folle de Winona Ryder. L’histoire se déroule dans un asile psychiatrique pour adolescentes déboussolées (anorexie, tentative de suicide, violence, etc). Le film était nul, je crois, mais j’avais découvert Angelina Jolie. Elle était folle à lier, débordante de vitalité, drôle, violente et incontrôlable. J’ai cherché son nom et l’ai retenu.
Plus tard j’ai dû la voir dans Sept jours et une vie. J’adore ce film, l’histoire est très simple : Angelina est une jeune journaliste ambitieuse, un clochard lui prédit qu’elle va mourir dans sept jours. Faut-il y croire, que va-t-elle faire de ces sept jours?
Les quelques minutes où une troupe de CRS faisant barrage à des manifestants bat la mesure sur Satisfaction chanté a capella par une Angelina Jolie joliment beurrée se classent très haut dans mes moments préférés de cinéma.
J’ai également traîné des amis à Lara Croft II. Ce sont encore des amis, mais désormais ce sont eux qui choisissent les films : c’était naze grave.

Imaginez mon plaisir à découvrir un long article à elle consacré par le supplément de L’Express du 8 mars :

Elle sort tout juste du tournage de Lara Croft, Tomb Raider et elle vient de découvrir le Cambodge. Elle a alors cette idée saugrenue de fuguer du décor. De s'aventurer dans les villages. L'expérience prend des allures de révélation : pays dévasté, champs truffés de mines antipersonnel, pauvreté, orphelinats... C'est Siddhârtha quittant pour la première fois son palais et qui se voit frappé en plein coeur par la misère du monde. «J'ai mesuré à quel point j'étais ignorante : je ne savais rien de ce qui se passait en dehors des Etats-Unis.» Le jeune prince devient Bouddha, la jeune Américaine frappe à la porte du HCR, c'est pareil: «J'ai cherché à m'améliorer, en devenant moins égoïste, moins futile.» Dans la foulée, elle adopte un enfant orphelin, un petit garçon cambodgien qu'elle appelle Maddox. Entre la jeune femme et le bébé se noue une histoire d'amour. Elle achète une maison et des terres au pays, finance des villages et des réserves, se met à l'étude de la culture khmère et du bouddhisme, dénonce l'industrie de l'armement, les mines antipersonnel... Elle fait Siddhârtha et Lara Croft à la fois.
Enragée volontaire, elle n'y gagne pas que des amis. Avant de se coller un pavé diplomatique sur la langue, elle ne se gêne pas pour dire tout le mal qu'elle pense du gouvernement américain et de sa politique étrangère. Elle fait pire. A la fin de septembre 2001, elle envoie 1 million de dollars au Pakistan, dans les camps de réfugiés afghans. Elle sait ce qui se passe là-bas, elle y était quelques semaines plus tôt: «Ces gens allaient mourir ou geler à mort.» La réaction est immédiate : un flot de lettres d'insultes et de menaces de mort. «Quand j'ai envoyé l'argent, le pays avait déjà donné 275 millions de dollars pour les victimes du World Trade Center, plaide-t-elle. J'ai été triste une seconde, avant d'être vraiment en colère.»
[…]
Elle a divisé son budget en trois : un tiers pour ses dépenses, un tiers pour ses enfants, un tiers pour donner. Elle gagne des sommes folles, et heureusement.
[…]
Elle exploite son capital de notoriété, et elle redistribue les bénéfices. On peut regretter que les foules sentimentales prêtent plus de crédit à une actrice qu'à un directeur d'ONG. On peut regretter que l'émotion soit un levier plus efficace que la raison. On peut regretter que les dons privés remplacent l'argent public. Mais c'est comme ça. Elle avance sans se poser de questions paralysantes. Une fois qu'on a vu, dit-elle, on n'hésite plus. Fille de Babylone touchée par la grâce, Angelina Jolie est l'incarnation laïque et contemporaine de la rédemption. Une sorte de saint Augustin, sans Dieu mais avec une grande bouche.
[…]

Cette plume alerte est celle de Marie Desplechin.

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