Pour Philippe[s], le récit d'une canonisation douteuse.
En effet, selon les conceptions de l'époque, seule l'onction et le couronnement à Aix et l'élévation au trône de Charlemagne conféraient sa pleine légitimité au roi des Germains et lui donnaient le droit de prétendre à la couronne impériale romaine. C'est la raison pour laquelle Frédéric ne commença à dater les années de son règne que du jour de son couronnement à Aix, que vint ratifier son installation sur le trône de Charlemagne. D'autres cérémonies s'ajoutèrent aux fêtes du couronnement. Cinquante ans plus tôt, en 1165, Barberousse, bien que banni à l'époque, avait exhumé à Aix-la-Chapelle les restes de Charlemagne et, en présence de princes et d'évêques, les avait fait sanctifier par un antipape impérial également banni, «pour la gloire et l'honneur du Christ et pour le raffermissement de l'Empire romain». Par cette canonisation du premier empereur chrétien germanique, Barberousse avait voulu affirmer le caractère sacré de l'Empire romain, qu'il fut le premier à désigner de nouveau du nom de sacrum imperium, et, d'une manière générale, de la fonction d'empereur. Il avait déjà, de la même façon, ravivé le souvenir de la consécration biblique de la royauté en transférant de Milan à Cologne les anciennes reliques des trois rois mages. C'est aussi au temps de Barberousse qu'était née en l'honneur de Charles et de sa cité cette séquence solennelle:

Voici du Christ le vaillant champion,
Le chef d'une armée invaincue…

dont les paroles de louange durent résonner comme une promesse et une exigence aux oreilles de son petit-fils, lorsqu'il pénétra dans la cathédrale d'Aix pour y déposer les ossements du premier empereur germanique. Une magnifique châsse d'argent avait été exécutée par les Aixois dont les côtés s'ornaient de figures impériales représentées à l'image des apôtres: l'apostolat de la conversion des païens faisait en effet partie intégrante de la fonction impériale. Frédéric II figurait également sur la châsse, qui devait être refermée en sa présence. Le lendemain du couronnement, on vit le jeune roi déposer le lourd manteau du sacre, monter les degrés du catafalque qui soutenait la châsse et enfoncer lui-même les premiers clous dans le couvercle.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.76