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L'expo Picasso à la Vieille Charité

Il est exposé un livre dont je n'avais jamais entendu parler : Djamila Boupacha de Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi.
Picasso a accepté de faire un dessin pour récolter des fonds : il fallait acheminer les témoins, faire des tracts, informer et mobiliser l'opinion.

Où est Djamila Boupacha aujourd'hui ? Une vieille dame en Algérie.
Gisèle Halimi quatre-vingt-onze ans, Djamili Boupacha quatre-vingts ans. Cela aurait-il un intérêt de les réunir aujourd'hui pour un regard rétrospectif ?

A lire.

Beetle

The war broke out in the year she came of age. She was only just getting used to the slick city street and to the smell of gasoline and oil and lead. By then she had more or less got the hang of swerving sharply to the right, or sharply to the left, staight on, over the bridge, before the traffic lights turn red. But her early life was spent on the Ravna Romanija mountain with a chap called Milos, who put her to work on the hardest, dirtiest jobs. When I first saw her she stank of cement and manure and liquor. It was not long after she'd come back from the building site on the premises of a glamorous café, which is nowadays the watering-hole of Chetniks rather than lorry drivers. I agreed a price with Milos without fuss. He obviously wanted to be rid of her as quickly as possible. In his village the least expensive car was a Golf, so having a rusty old Beetle around was kind of an embarrassement.

It was already dark by the time we drove back from the Romanija through Pale and the tunnels on the outskirts of Sarajevo. Emblazoned in neon lights on one of the concrete flyovers was the legend, "Tito's crossing the Romanija…" I was always confused by the three dots. I had a feeling they meant something rude. But my Nazi frau ignored the revolutionary message as she grumbled noisily but in ryth like a Buddhist nun.

I found a parking space in front of my house. I should say that I have a rather steep neighborhood unsuitable for cars, but it has an excellent view of the hills around Sarajevo, which are dotted with white Turkish tombstones. It was the first time in her life that she was ever tidy and clean. Squeezed in between all those Mazdas, Hondas and Toyotas, she resembled an architectural model from the golden age of romantic futurisme. My neighbor Salko observed that we made a perfect couple — me with my big head and stocky body, her with those gentle curves. Other people reckoned that I could have done better and they said she wouldn't last more than three day.

I bought her the cheapest car stereo I could find — it was the sort of junk nobody would steal — and I played our tune again and again, partly to block out the noise of the engine and partly because I wanted to have a continuous wall of noise in the background. Somewhere on the road to Kakanj, Nick's Cave icy melancholy pulsed in time with the flawless Nazi machine, evoking more clearly perhaps than intellectual concepts, painful ideologies and climatic histories the importance of believing in a harmonious view of the world that is unaffected by revolutions and apocalypses. After the beheading of Marie Antoinette, for example, the people of France discoverde Baroque. After Lenin killed the Romanovs, a baby's pram rolled down the Odessa Steps of Eisenstein's cinematography. After Hitler, I discovered my own rythm in four beats to the bar and a 1300cc engine.

[…]

Miljenko Jergović, Sarajevo Marlboro, p.25 à 27, traduit du croate par Stela Tomasevic, eds Archipelago books, 2004

Traduction personnelle de l'anglais et non de l'original, en attendant mieux.

La guerre éclata l'année de sa majorité. Elle commençait juste à s'habituer aux rues lisses de la ville et à l'odeur d'huile, d'essence et de plomb. A cette époque, elle avait fini par plus ou moins par prendre le coup de virer brutalement à droite, ou brutalement à gauche, directement sur le pont, avant que le feu ne passe au rouge. Mais ses jeunes années s'étaient déroulées dans la montagne de Ravna Romanija avec un gars appelé Milos, qui l'attela aux travaux les plus durs et les plus sales. Quand je la vis pour la première fois, elle puait le ciment, le fumier et l'alcool. C'était peu de temps après qu'elle soit revenue du chantier de construction de ce qui devait devenir un café enchanteur et qui est aujourd'hui le point de ravitaillement en eau de Tchetniks plutôt que de routiers. Je convins sans encombre d'un prix avec Milos. Il voulait visiblement se débarrasser d'elle au plus vite. Dans son village, la voiture la moins chère était une Golf, et donc posséder une vieille Coccinelle rouillée était quelque peu embarrassant.

Le temps de revenir ensemble de Romanija par Pale et les tunnels autour de Sarajevo il faisait déjà sombre. Fixée en lettres de néon sur l'un des murs de ciment en surplomb s'étalait l'inscription : "Tito traverse la Romanija…". J'avais toujours été embarrassé par les points de suspension. J'avais la sensation que leur sous-entendu était insolent. Mais ma dame nazi ignora le message révolutionnaire tandis qu'elle grommelait bruyamment mais en rythme comme une nonne bouddhiste.

Je lui trouvai une place de parking devant chez moi. Je dois dire que mon quartier est plutôt escarpé et peu favorable aux voitures, mais il offre une excellente vue sur les montagnes autour de Sarajevo, lesquelles sont constellées de blanches tombes turques. C'était la première fois de sa vie qu'elle était propre et entretenue. Serrée entre toutes ces Mazdas, Hondas et Toyotas, elle ressemblait à un modèle architectural venu de l'âge d'or du futurisme romantique. Mon voisin Salko fit remarquer que nous étions parfaitement assortis — moi avec ma grosse tête et mon corps trapu, elle avec ses courbes douces. D'autres soutinrent que j'aurais pu trouver mieux et prédirent qu'elle ne tiendrait pas trois jours.

Je lui achetai la stéréo la moins chère que je pus trouver — la sorte de ruine que personne ne volerait — et j'y passai notre morceau encore et encore, en partie pour couvrir le bruit du moteur, en partie parce que je voulais avoir un mur de bruit continu en arrière-plan. Quelque part sur la route de Kakanj, la mélancolie glacée de Nick Cage battait en rythme avec mon impecccable machine nazi, évoquant plus clairement peut-être que tous concepts intellectuels, idéologies douloureuses et histoires du climat, l'importance de croire à une vision harmonieuse du monde non affectée par les révolutions et les apocalypses. Après la décapitation de Marie-Antoinette, par exemple, le peuple de France découvrit le Baroque. Après que Lénine eut tué les Romanov, un landeau d'enfant dévala les marches d'Odessa dans le cinéma d'Eisenstein. Après Hitler, je découvris mon propre rythme dans la mesure à quatre temps et le moteur de 1300cc.

J'illustre Abattoir 5

J'en suis au début. Je suis frappée de retrouver exactement les noms de l'été dernier: Cape Cod, Cape Anne, l'endroit où Washington a traversé le Delaware, Pittsburgh (ne pas oublier le "h"). J'ai une photo pour compléter l'une des premières anecdotes du livre — que je suppose vraie.
En même temps que je me préparais à devenir anthropologue, j'étais aussi correspondant judiciaire à la célèbre Agence de presse de Chicago pour vingt-huit dollars par semaine.

[…]

Je dus dicter mon premier papier à une de ces garces. C'était au sujet d'un jeune démobilisé qui avait été engagé comme garçon d'ascenseur dans un vieil immeuble administratif. Au rez-de-chaussée, la grille d'ascenseur enroulait ses volutes de métal. Le lierre de fer forgé s'échappait par tous les trous. Il y avait un rameau de fer forgé sur lequel se perchaient deux perruches.

Notre civil frais émoulu décide de ramener sa benne au sous-sol, ferme la porte et amorce sa descente mais son allliance s'était accrochée dans les ornements. Le voilà suspendu dans le vide tandis que le plancher s'abaisse, se dérobe sous ses pieds; le plafond l'écrabouille. C'est la vie.

Je téléphone l'article et la brave dame qui allait composer le stencil m'interroge: «Quelle a été la réaction de sa femme?»
— Elle n'est pas encore au courant, ça vient de se produire.
— Appelez-la pour avoir une réaction.
— Hein?
— Racontez que c'est la police, que vous êtes le capitaine Finn. Vous avez une mauvaise nouvelle. Annoncez-la lui et voyez un peu ce qui se passe.»
Ce que je fais. Elle prend les choses comme on pouvait s'y attendre. Un enfant. Et tout ça.

Quand j'arrive au bureau, la rédactrice s'enquiert, pour sa gouverne personnelle, de l'allure qu'avait l'écrabouillé au moment de l'écrabouillage.
Je la lui décris.
«Ça vous a secoué?» me harcèle-t-elle. Tout en croquant des friandises «Trois Mousquetaires».
«Bon Dieu, non, Nancy. J'ai assisté à pire que cela pendant la guerre.»

Kurt Vonnegut, Abattoir 5, p.17-18 (collection Points Seuil, 1971)


J'ai une photo des friandises. Elle a été prise l'été dernier quelque part en Pennsylvanie, entre Salamanque et Punxsutawney, dans une station service au milieu de nulle part dans les montagnes Alleghenies.



Elle a été prise parce que j'avais et j'ai encore l'idée de faire une anthologie des références aux Trois Mousquetaires depuis que j'ai rencontré ce titre dans la bibliothèque d'une mosquée dans La Voie cruelle. Il y a bien sûr Slumdog Millionnaire.
Et puis ces barres, cet été, que je retrouve maintenant au début d'Abattoir 5. Les trois mousquetaires seront à nouveau évoqués plus loin, mais cette fois pour ce que représente leur équipe, un groupe soudé qui fait front et sort victorieux des défis.

Le temps presse

«Oui, il est certain que dans la démarche d'Ahmadenijad, il y a une vision eschatologique: augmenter le chaos pour accélérer le retour du Mâhdi et provoquer la fin du monde.»

Cette remarque de la professeur spécialiste de l'islam m'a plongée dans la stupéfaction. J'en trouve confirmation sur quelques sites: alors il s'agirait bien d'une guerre sainte, mais d'une toute autre dimension que celle qu'imaginent (que sont capables d'imaginer) la plupart des Occidentaux: une guerre non pour la domination ou le pouvoir politique, mais une guerre pour hâter la fin du monde. C'est vraiment autre chose.

Il devient urgent que je lise Eschatologie occidentale de Taubes.

La guerre à la guerre

Rien ne saurait échapper à cette logique du politique. Que l'opposition des pacifistes contre la guerre grandisse jusqu'à les précipiter dans une guerre contre les non-pacifistes, dans une guerre contre la guerre, et cela prouverait que ce pacifisme dispose de fait d'un certain potentiel politique, vu qu'il est assez fort pour regrouper les hommes en amis et ennemis. Quand la volonté d'empêcher la guerre est telle qu'elle ne craint plus la guerre elle-même, c'est que cette volonté est devenue un mobile politique, ce qui revient à dire qu'elle admet la guerre, encore qu'à titre d'éventualité extrême, et qu'elle admet même le sens de la guerre. Il y a là, semble-t-il, un procédé de justification des guerres particulièrement fécond de nos jours. Dans ce cas, les guerres se déroulent, chacune à son tour, sous forme de toute dernière des guerres que se livrent l'humanité. Des guerres de ce type se distinguent fatalement par leur violence et leur inhumanité pour la raison que, transcendant le politique, il est nécessaire qu'elles discréditent aussi l'ennemi dans les catégories morales et autres pour en faire un monstre inhumain, qu'il ne suffit pas de repousser mais qui doit être anéanti définitivement au lieu d'être simplement cet ennemi qu'il faut remettre à sa place, reconduire à l'intérieur de ses frontières.

Carl Schmitt, La notion de politique, p.76-77 (1932 révisé en 1963, Calmann-Lévy 1972)

L'humiliation

La fête terminée, nous nous mîmes en rang, et, sans armes, sans drapeaux, nous marchâmes ainsi vers les nouveaux champs de bataille, pour aller gagner avec les Alliés cette même guerre que nous avions déjà perdue avec les Allemands. Nous marchions en chantant, la tête haute, fiers d'avoir enseigné aux peuples de l'Europe qu'il n'y a plus désormais d'autre moyen de gagner la guerre, que de jeter héroïquement ses armes et ses drapeaux dans la boue, aux pieds du premier venu.

Curzio Malaparte, La Peau, p.76

Sauver son âme / sauver sa peau

Avant la libération, les peuples d'Europe souffraient avec une merveilleuse dignité. Ils luttaient le front haut. Ils luttaient pour ne pas mourir. Et les hommes, quand ils luttent pour ne pas mourir, s'accrochent avec la force du désespoir à tout ce qui constitue la partie vivante, éternelle, de la vie humaine, l'essence, l'élément le plus noble et le plus pur de la vie: la dignité, la fierté, la liberté de leur conscience. Ils luttent pour sauver leur âme.

Mais, après la libération, les hommes avaient dû lutter pour vivre. C'est une chose humiliante, horrible, c'est une nécessité honteuse que de lutter pour vivre, pour sauver sa peau. Ce n'est plus la lutte contre l'esclavage, la lutte pour la liberté, pour la dignité humaine, pour l'honneur. C'est la lutte contre la faim.

Curzio Malaparte, La Peau, p.58

Parler français

(Jack parlait toujours français avec moi. Aussitôt après le débarquement des Alliés à Salerne, j'avais été nommé officier de liaison entre le Corps Italien de la Libération et le grand Quartier général de la Peninsule Base Section, et Jack, le colonel Jack Hamilton, m'avait tout de suite demandé si je parlais français. Et quand je lui avais répondu: «Oui, mon Colonel», il avait rougi de joie. « Vous savez, me dit-il, il fait bon de parler français. Le français est une langue très, très respectable. C'est très bon pour la santé.»)

Curzio Malaparte, La Peau, p.38 (Denoël 2008)

L'Orme du mail

Il y a quelques temps (le 16 décembre pour être précise), Tlön m'apporta un livre d'Anatole France. Cette attention m'émut doublement: d'une part dans sa dimension d'attention «soudain un inconnu vous offre des fleurs», d'autre part dans sa dimension d'attention.

J'ai donc lu L'Orme du mail.
C'est magnifique d'intelligence et de légèreté.
J'ai enfin compris ce que voulait dire "esprit français". Il s'agit de ces phrases qu'un mot suffit à faire basculer vers le rire ou le doute, un mot innocent, insoupçonnable, qu'une lecture un peu rapide pourrait ne pas remarquer.

L'action (si l'on peut dire, car il ne se passe rien, les dernières pages bouclent sur les premières) met en scène les relations naïvement compliquées entre les représentants de l'Église, de la République et de l'Armée dans une ville de province à la fin du XIXe siècle. C'est très drôle, chacun est ridicule et charmant, cependant la sensation aigüe que tout cela est instable, susceptible de basculer à tout instant — l'armée pourrait renverser la République, l'Église est un contre-pouvoir puissant, sans compter tout simplement la bêtise de la population —, ne nous quitte pas.

Lorsque j'ai voulu choisir un passage, j'ai hésité entre une scène confrontant l'excellent abbé Guitrel au préfet un peu obtus et les pages défendant la République, défense ayant l'adresse de s'appuyer sur les faiblesses de la République. (Une phrase me fait frémir car elle reprend exactement ce qu'on dit aujourd'hui de l'Europe: «Ce qui me réjouit surtout dans notre République, c'est le sincère désir qu'elle a de ne point faire la guerre en Europe.» Funeste présage si l'on considère que la guerre de 1914 éclata peu après.)

J'ai finalement choisi un passage sur un sujet bien plus léger, passage qui se moque à la fois des érudits et des ignorants, passage au sens subtil et instable (glissement de la supposition à la certitude à la faveur du discours indirect libre) qui me fait beaucoup rire par sa futilité même. La (trop) grande précision de France, la multiplication des références, est déjà une source de ridicule et de sourire.

M. Paillot était libraire à l'angle de la place Saint-Exupère et de la rue des Tintelleries. Les maisons qui bordaient cette place étaient pour la plupart anciennes; celles qui s'adossaient à l'église portaient des enseignes sculptées et peintes. Plusieurs avaient un pignon pointu et la façade en colombage. Une d'elles, qui avait gardé ses poutres sculptées, était un joyau admiré des connaisseurs. Les solives apparentes étaient soutenues par des corbeaux taillés, les uns en forme d'anges portant des écus, les autres de façon de moines bassement accroupis. A gauche de la porte, le long d'un poteau, se dressait la figure mutilé d'une femme, le front ceint d'une couronne à gros fleurons. Les gens de la ville disaient que c'était la reine Marguerite. Et la maison était connue sous le nom de maison de la reine Marguerite.
On croyait, sur la foi de dom Maurice, auteur d'un Trésor d'antiquités, imprimé en 1703, que Marguerite d'Ecosse avait logé en cet hôtel durant quelques mois de l'an 1438. Mais M. de Terremondre, président de la Société d'agriculture et d'archéologie, prouve, dans un mémoire solidement établi, que cette maison avait été bâtie en 1488 pour un notable bourgeois nommé Philippe Tricouillard. Les archéologues de la ville qui conduisent les curieux devant ce logis leur montrent volontiers, en saisissant le moment où les dames sont inattentives, les armes parlantes de Philippe Tricouillard, sculptées sur un écu porté par deux anges. Ces armoiries, que M. de Terremondre a judicieusement rapprochées de celles de Coleoni de Bergame, sont figurées sur le corbeau qui se trouve au-dessus de la porte d'entrée, sous le linteau de gauche. Les figures en sont peu distinctes et reconnaissables seulement pour ceux qui sont avertis. Quant à l'effigie d'une femme portant une couronne, qui est adossée à la solive perpendiculaire, M. de Terremondre n'a pas eu de peine à démontrer qu'il faut y voir une sainte Marguerite. En effet, on distingue encore aux pieds de la sainte les restes d'un corps difforme qui n'est autre que celui du diable; et le bras droit de la figure principale, qui manque aujourd'hui, devait tenir le goupillon que la bienheureuse secoua sur l'ennemi du genre humain. On conçoit que sainte Marguerite figure à cette place depuis que M. Mazure; archiviste du département, a mis en lumière une pièce établissant qu'en l'année 1488 Philippe Tricouillard, alors âgé de soixante-dix ans environ, avait épousé depuis peu Marguerite Larrivée, fille du lieutenant criminel. Par une confusion qui n'est pas trop surprenante, la céleste patronne de Marguerite Larrivée a été prise pour la jeune princesse d'Ecosse dont le séjour dans la ville de *** a laissé un profond souvenir. Peu de dames ont légué une mémoire de plus de pitié que cette dauphine qui mourut à vingt ans en exhalant ce soupir: «Fi de la vie!»

Anatole France, L'orme du mail, début du chapitre XII

L'instinct de guerre

«Maintenant tu es mort», on disait. Maintenant tu es mort. On jouait toujours à la guerre. On jouait à plusieurs, à deux, ou tout seul, chacun dans son rêve. C'était toujours la guerre, toujours la mort.
«Ne jouez pas à ça, disaient les parents, sinon vous allez devenir comme ça.» Vous parlez d'une menace! On rêvait justement de devenir comme ça. Et pas besoin de jouets guerriers. N'importe quel bâton faisait office d'arme, et les pommes de pin, de bombes. Aussi loin que je remonte dans mon enfance, je ne me rappelle pas avoir fait pipi une seule fois, par terre ou dans les cabinets du jardin, sans objectif à bombarder. À cinq ans, j'étais un bombardier chevronné.
«Si tout le monde joue à ça, disait ma mère, il y aura la guerre.» En effet, il y a eu la guerre.

Sven Lindqvist, Maintenant tu es mort. Le siècle des bombes, p.13


Ce n'est pas nécessairement pour atteindre certains buts que les gens se lancent dans une guerre, écrit van Creveld. Souvent, c'est même le contraire: les gens se trouvent des buts pour avoir l'occasion de faire la guerre. L'utilité de la guerre est douteuse, mais «sa capacité à divertir, inspirer et fasciner n'a jamais été mise en doute [438].»
La guerre divertit surtout les hommes. Elle est pour eux une tentation, une jouissance et la confirmation de leur virilité. «On soupçonne que, s'ils devaient choisir, les hommes renonceraient aux femmes, plutôt qu'à la guerre», écrit van Creveld [439].
Si l'envie de tuer est, pour beaucoup d'hommes, encore plus puissante que l'instinct sexuel, les guerres futures sont sans doute inévitables. Pourtant, même pour ces hommes-là, cela ne devrait-il pas poser un problème, que leur jouissance exige autant de cadavres d'enfants? Que cette guerre qui conforte leur virilité estropie et tue des enfants par milliers?
Non, van Creveld ne voit pas le problème. À l'évidence approbateur, il écrit dans l'épilogue de son livre: «Pour l'homme, rester à la maison avec sa femme et sa famille n'est pas le chemin essentiel vers la joie, la liberté, le bonheur et même le délire et l'extase. À tel point que, bien souvent, il n'est que trop heureux d'abandonner ceux qui lui sont le plus chers pour faire la guerre [440]!»

Ibid, p.351

[438] Martin van Creveld, On future war - épilogue
[439] op.cité - chap 7
[440] op.cité - épilogue

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