Devant elles, juste derrière les bonnes soeurs, il y avait une poignée d'externes, quatre-cinq pas plus, que La Madelon du fond n'atteignait pas encore. En uniforme, comme tout le monde, on les reconnaissait pourtant à leurs chaussures bien cirées, à leurs élégantes chaussettes et au semblant de dureté abrutie et supérieure qui commençait à leur poindre au coin de l'oeil. Ces demoiselles passaient d'habitude leurs samedis après-midi en cours de danse ou de tennis que leurs mamans ne leur auraient vu manquer sous aucun prétexte, en tout cas pas pour l'enterrement d'une cuisinière, fût-elle bonne soeur. Les bourgeoises de la ville considéraient les religieuses comme des domestiques qu'elles payaient (pas plus cher que leur bonne, l'école était conventionnée) pour faire diplômer leurs filles. Ces dames respectaient infiniment davantage le professeur de tennis (plus cher), car s'il leur arrivait, comme à tout le monde, de rater une volée de revers au court Millecheau, même Klaus Barbie ne serait pas parvenu à leur faire avouer leur misérable passé scolaire. Trahies — mais elles l'ignoraient — par l'orthographe lamentable de leurs mots d'excuse, elles n'en allaient pas moins se plaindre régulièrement de la "baisse de niveau" avec des mines de garagistes inquiets auprès d'une Adélaïde qu'elles trouvaient curieusement goguenarde.

Alix de Saint-André, L'ange et le réservoir de liquide à freins, p.63-64