Ce matin, dans le RER, j'étais assise à côté d'un jeune homme qui lisait un magazine édité par les témoins de Jéhovah.
L'article engageait ses lecteurs à mettre de l'ordre dans leur vie, et ce, de façon très américaine, du moins ce que j'appelle "très américaine", c'est-à-dire de façon fort pramagtique : triez, rangez, jetez, mettez de l'ordre autour de vous pour pouvoir faire régner l'ordre en vous, proclamait l'article. (Je devrais peut-être me convertir.)
Cela m'a rappelé les articles de Sélection du Reader's Digest que j'ai lus pendant des années. J'adorais cela. Aujourd'hui encore, je ne résiste jamais à un livre sur la gestion du temps: je l'ouvre et le feuillette, c'est inévitable.

Ce soir, mon voisin de RER lisait Les extra-terrestres et l'avenir de l'humanité. Il était malheureusement placé de telle façon que je n'ai pu entrevoir quelques lignes.
J'ai fait une recherche sur Amazon. Voici la présentation :

Depuis des décennies, un peu partout dans le monde, des entités se présentant comme des extraterrestres contactent des humains de conditions sociales et de milieux différents. Elles leur donnent pour mission de délivrer un message prédisant un futur apocalyptique pour notre civilisation. Or, aujourd'hui de nombreux signes prouvent que ces avertissements ne sont que trop fondés. La fin du pétrole est pour bientôt et le réchauffement de la planète commence à montrer ses effets, tandis que les scientifiques admettent la possibilité d'un emballement climatique catastrophique pour les années à venir. Sur fond de 11 septembre, de montée en puissance de la Chine, d'économie mondiale au bord du gouffre, de guerre au Moyen-Orient, de pollution et d'arme secrète, l'auteur examine quel sera notre avenir collectif et quel est le sens profond de ces avertissements issus d'entités non humaines.

L'auteur, précise Amazon, est «informaticien au Ministère de la défense. Il a déjà publié trois livres aux éditions JMG: Ummo: un dieu venu d'ailleurs; Ovnis: contact et impact; Le Plan pour sauver la Terre. Il est considéré comme l'un des principaux spécialistes du phénomène Ovni.»

Well.


Je sais peu de choses sur les Témoins de Jéhovah. Ce que j'en sais emporterait plutôt mon admiration: ils ont fait preuve d'une remarquable obstination face aux nazis, même si ce courage s'enracine dans une forme de bêtise ou de crédulité ou d'obscurantisme. Mais n'est-ce pas là le terreau privilégié du martyre?

Ce que je sais des témoins de Jéhovah vient du livre de Margarete Buber-Neumann, Déportée à Ravensbrück. L'histoire de cette femme est extraordinaire: allemande et communiste, elle fut arrêtée à Moscou lors des purges de 1937. Détenue en Sibérie, elle fut renvoyée en Allemagne après le pacte germano-soviétique et aussitôt, puisque communiste, envoyée à Ravensbrück, où elle fut haïe des communistes allemandes et tchèques qui refusaient de croire son témoignage.
Si vous voulez lire le témoignage presque irréel d'une femme qui observe, juge et ne se plaint jamais, lisez Déportée en Sibérie et Déportée à Ravensbrück.

Je copie les pages concernant les témoins de Jéhovah. Margarete Buber-Neumann, à sa grande surprise, est nommée leur Blockälteste suite à diverses luttes d'influence entre les Allemands du camp:

Une curieuse existence commence alors pour moi au block 3. Chez les asociales, chaque minute apportait son lot de craintes et d'obligations. Chez les témoins de Jéhovah par contre, pas l'ombre d'un problème. Le block fonctionne comme un véritable métronome. Le matin, dans la hâte qui sépare le réveil de l'appel, c'est à peine si l'on entend un mot prononcé à voix haute. Le départ en rangs par deux pour l'appel, qui dans les autres baraques ne peut se faire sans que Blockältesten et Stubenältesten s'époumonent à tout va, se déroule ici sans le moindre à-coup, de la manière la plus naturelle du monde. Il en va de même des autres activités telles que la répartition de la nourriture, etc. Ma tâche principale, chez les témoins de Jéhovah, est de rendre leur séjour aussi agréable que possible (pour autant qu'il puisse l'être), de les préserver des tracasseries de la chef de block SS et de me faire le porte-parole de chacune d'entre elles (pour autant que j'en aie la force et le pouvoir). [...] Au block 3, on ne vole pas, on ne trompe pas, les codétenues ne se dénoncent pas les unes les autres. Chacune de ces femmes est non seulement dotée d'un sens du devoir très aigu, mais se sent en outre partie prenante et responsable de la baraque dans son ensemble. Assez rapidement, elles s'aperçoivent que je n'ai rien de ces manières de Blockälteste qu'elles redoutent tant, que je me sens bien auprès d'elles; elles m'accueillent donc dans leur communauté de block et, deux années durant, ce rapport fondé sur la confiance absolue ne s'est trouvé brisé ni de mon fait, ni du leur. [...]
Mais voici que je vivais quotidiennement avec des centaines de ces fanatiques religieuses; dans la mesure où elles ne me considéraient pas comme un «instrument du Malin», il était fatal qu'elles tentent de me faire rejoindre leurs rangs ou, comme elles disaient dans le langage singulier de leur secte, de me faire «porter témoignage». Toutes les femmes qui tentèrent de discuter avec moi avaient sans exception un niveau d'éducation très médiocre. La plupart d'entre elles étaient originaires de villages ou de petites villes, de familles paysannes ou ouvrières, de la petite bourgeoisie parfois, mais toutes avaient fréquenté l'école. Il était parfaitement vain d'évoquer devant elles des références empruntées à l'histoire, voire aux sciences naturelles; elles répondaient à tout par des citations de la Bible, et lorsque j'entrepris une fois de parler de l'histoire de l'évolution et mentionnai sans malice le bon vieux Darwin, elles réagirent comme si j'avais invoqué le Diable en personne. Elles finirent rapidement par se convaincre que je ne présentais aucune des prédispositions ou qualités me permettant de devenir témoin de Jéhovah; elles cessèrent donc de tenter de me convertir mais — m'assuraient-elles sans relâche pour me manifester leur sympathie — elles conservaient l'espoir que l'«inspiration» finirait par me venir avant qu'il ne soit trop tard et que je connaisse le sort de tous les «damnés». Si j'ai bien compris ce qu'elles entendaient par là, toute l'humanité allait, à brève échéance, connaître «la fin du monde» et être précipitée dans la damnation éternelle. C'est alors que surviendrait, pour les seuls témoins de Jéhovah, l'Âge d'or, l'«Armageddon».
[...] La seule croyance en l'imminence de la fin du monde n'aurait pourtant pas suffit à faire des témoins de Jéhovah des ennemis du Troisième Reich... si de surcroît elles n'avaient pas été convaincues que toute organisation étatique était l'«œuvre du Malin», de même d'ailleurs que tout Église, — à commencer par l'Église catholique. Pour elles, le régime nazi était (et elles en trouvaient lla prophétie dans la Bible!) le couronnement de l'entreprise diabolique; survenant à la fin des temps, il était le signe avant-coureur de la chute de tous les incroyants dans l'enfer de la damnation. Les témoins de Jéhovah, qui s'en tenaient au commandement chrétien «Tu ne tueras point», étaient totalement réfractaires à la guerre: cela coûta la vie à de nombreux hommes professant la foi et les femmes de Ravensbrück, elles, refusaient d'effectuer tout travail relevant de l'effort de guerre — une attitude qui n'allaient pas sans conséquence. Jusqu'en 1942, elles constituèrent, au camp, le personnel le plus recherché, le plus convoité par les SS. [...] A tel point qu'on les dota de laissez-passer spéciaux leur permettant d'entrer et de sortir du camp pour le travail sans surveillance: jamais un témoin de Jéhovah n'aurait songé à s'enfuir! Elles étaient d'ailleurs, en un certain sens, des «détenues volontaires». Il leur suffisait en effet de se présenter auprès de la surveillante-chef, de signer une déclaration attestant qu'elles renonçaient à leurs convictions pour être remises en liberté le jour même. Le contenu en était grosso modo le suivant : «Je soussignée... déclare renoncer à dater d'aujoud'hui à être témoin de Jéhovah et m'engage à ne plus participer aux activités de l'Union internationale des témoins de Jéhovah, ni par la parole, ni par écrit...»
Jusqu'en 1942, celles qui «signèrent» demeurèrent des cas tout à fait isolés.

Un jour, l'une des plus âgées des détenues, tuberculeuse, est sélectionnée pour un départ vers les chambres à gaz. Il est trop tard pour détruire la liste des prisonnières choisies. Margarete Buber-Neumann va voir la malade pour tenter de la convaincre d'adjurer et de quitter le camp. Elle pense avoir réussi :

Mais une demi-heure plus tard environ, je vois entrer Ella Hempel dans la pièce de service où je me trouve. Une expression de dégoût et de fureur gravée sur le visage, elle me lance:
— Grete, je n'aurais jamais pu imaginer que tu étais de mèche avec le Malin! Que tu faisais cause commune avec les SS!
Je ne comprends pas tout de suite ce qu'elle entend par là:
— Qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce que tu veux?
—Tu as conseillé à Anna Lück d'aller signer! Comment as-tu pu faire une chose pareille?
Là, vraiment, c'en est trop; pour la première et la dernière fois je sors de mes gonds et j'agonis d'injures un témoin de Jéhovah:
— Quoi? hurlé-je, vous prétendez être des chrétiennes? Et vous livrez de sang-froid votre sœur au gaz? Dis-moi un peu quels sont les commandements chrétiens qui l'ordonnent? L'amour du prochain, peut-être? Il ne vous suffit pas de laisser en carafe vos enfants, de laisser sans broncher les autorités les fourrer dans des foyers nazis, les maltraiter? Non, il faut qu'en plus vous alliez prêter main-forte à un assassinat — pour la plus grande gloire de Jéhovah! Des brutes sans cœur, voilà ce que vous êtes!
Elle s'attend si peu à cette sortie qu'elle bat en retraite, effrayée. Je suis alors persuadée de m'en être fait une ennemie pour toujours. Mais tout au contraire. A dater de ce jour, elle sera la soumisson en personne — raison suffisante pour me la rendre tout à fait antipathique.