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Le Tabac Tresniek

Il s'agit d'un roman autrichien contemporain. Comment dire? Ce n'est pas un livre inoubliable, mais par plaques, par taches, par paragraphes et pages, il suscite l'intérêt, le sourire ou la tendresse.

Le sujet en est l'initiation à l'amour, à la politique et à la loyauté d'un jeune campagnard, Franz, arrivé à Vienne en 1937. Le livre se termine au moment du départ de Freud pour Londres. Car Freud a beaucoup d'importance dans cette histoire même s'il n'apparaît pas souvent; c'est un client du tabac Tresniek.
Franz, ébloui par le prestige de ce client (car la renommée de Freud a atteint jusqu'aux campagnes du Salzkammergut), fait de Freud son conseiller en amour (à coups de conversation sur un banc public en "payant" (remerciant) en cigares); et c'est sans doute les monologues intérieurs de Freud ou les dialogues avec Freud que je préfère.

Le titre français s'éloigne du titre allemand, Der Trafikant. Je trouve le titre français bien meilleur, ce qui me fait craindre de ne pas avoir compris, vu, quelque chose de central dans le livre (qui est le trafiquant? le jeune homme? Freud? Hitler?)

Quelques extraits :

Les exigences et les droits d'une mère (Franz part travailler à Vienne chez un ami de la famille):
Une carte par semaine, ni plus ni moins, c'était le contrat. «Franzl, lui avait dit sa mère, la veille au soir de son départ, en lui effleurant la joue du dos de l'index, tu m'écriras une carte postale toutes les semaines, parce qu'une mère, ça doit savoir comment se porte son enfant!»
«Bon, d'accord», avait dit Franz.
«Mais je veux de vraies cartes postales. Avec de belles photos sur le devant. Je les collerait sur le mur au-dessus du lit, là où il y a la tache d'humidité, comme ça, en les regardant, je pourrai m'imaginer où tu es en ce moment.»

Robert Seethaler, Le Tabac Tresniek, p.35, Sabine Wespieser éditeur, 2012, traduit (très bien) en 214 par Elisabeth Landes
Freud avec une cliente boulimique :
Freud se rencogna un peu plus dans son siège. A dire vrai, la seule raison qui l'avait fait se dissimuler derrière la tête du divan pendant ces innombrables séances d'analyse, toutes ces années, c'est qu'il ne supportait pas d'être fixé une heure durant par ses patients, ni de devoir, lui, contempler leurs visages implorant, fâchés, désespérés ou altérés par quelque autre sentiment. Ces derniers temps notamment, il se sentait souvent dépassé par ces heures de cure épuisantes et observait avec un sentiment d'impuissance croissant cette souffrance qui semblait prendre, chez chacun d'entre eux, des dimensions absolument cosmiques. Comment avait-il bien pu avoir l'idée folle de vouloir comprendre cette souffrance et, en outre, qu'il pourrait l'apaiser? Quel mauvais génie l'avait poussé à consacrer la majeure partie de sa vie à la maladie, à la tristesse et à la détresse? Quand il aurait pu rester physiologiste et continuer tranquillement à manier le scapel et à découper des cerveaux d'insectes en petites lamelles! Ou écrire des romans, de passionnants récits d'aventures qui se seraient déroulés dans de lointains pays ou des temps immémoriaux. Au lieu de quoi, il se retrouvait maintenant assis là, à contempler dans un coin, plongé dans la pénombre, la tête ronde comme une bille de Mrs Buccleton. Ses cheveux décolorés grisonnaient aux racines, et les ailes de son nez palpitaient tandis qu'elle reniflait doucement. Vu d'ici, le nez de Mrs Buccleton ressemblait à un petit animal replet qui tremblait de tous ses membres, abandonné dans une région inhospitalière. Il y avait là quelque chose qui émouvait Freud. Et, dans le même temps, il s'irritait de s'en émouvoir. C'était toujours ce genre de détails d'apparence insignifiante qui lui faisait oublier la distance péniblement instaurée vis-à-vis de ses patients: le mouchoir froissé dans la main du président-directeur général, la perruque qui avait glissé sur la tête de la vieille institutrice, un lacet ouvert, un léger bruit de déglutition, quelques paroles en l'air ou là, maintenant, le nez palpitant de Mrs Buccleton.
«Donc vous avez honte, dit-il. De quoi avez-vous honte?»
«De tout. De mes jambes. De ma nuque. Des taches de sueur sous mes aisselles. De ma figure. De mon allure en général. Même chez moi, toute seule dans mon lit, j'ai honte. J'ai honte de tout ce que je fais, de tout ce que j'ai et de tout ce que je suis.»
«Hum, fit Freud, et qu'en est-il du plaisir?»
«Pardon?»
«Qu'en est-il du plaisir? N'éprouvez-vous pas aussi parfois quelque chose qui ressemble à du plaisir?»

Ibid, p.117-118
Assis sur un banc dans un parc viennois, Franz essaie de comprendre la cure analytique à partir de ses déboires amoureux:
«Monsieur le Professeur, je crois que je suis un drôle de crétin, conclut Franz après quelques instants de silence et d'intense réflexion. J'ai autant de cervelle que nos mourons bêlants de Haute-Autriche.»
«Mes compliments, la lucidité est la condition promière du progrès sur soi.»
«Parce que, vraiment, je me demande quelle importance peuvent bien avoir mes petits soucis idiots à côté de tous ces événements, dans ce monde qui est devenu fou.»
«A cet égard, je peux te tranquilliser. D'abord, les soucis qu'on se fait à cause des femmes sont généralement idiots, certes, mais rarement petits. Ensuite, on peut inverser les termes de la question: quelle est la légitimité de ce qui se passe dans ce monde devenu fou, comparé à tes soucis?»

[…]

«La vérité… répéta-t-il en hochant la tête pensivement. Est-ce que c'est pour entendre ce genre de vérités que les gens s'allongent sur votre divan?»
«Penses-tu! dis Freud en examinant d'un air bougon ce qui lui restait de cigare. Si l'on se bornait à dire la vérité, les cabinets des analystes seraient autant de petits Sahara poussiéreux. La vérité joue un rôle bien moins décisif qu'on ne pense. Il en est en psychanalyse comme dans la vie. Les patients disent ce qui leur vient à l'esprit, et moi j'écoute. Parfois c'est l'inverse, je dis ce qui me vient à l'esprit, et ce sont les patients qui écoutent. Nous parlons, nous nous taisons; nous nous taisons, nous parlons; et, accessoirement, nous sondons de concert la face obscure de l'âme.»
«Et comment faites-vous?»
«Nous avançons péniblement à tâtons dans l'obscurité et, de temps en temps, nous tombons sur quelque chose d'utilisable.»
«Et pour ça, les gens sont obligés de s'allonger?»
«Ils pourraient le faire debout, mais c'est plus confortable, allongé.»

[…]

«Hum, fit Franz en posant une main sur son front pour étouffer un peu le chaos des pensées tumultueuses qui se débattaient derrière. Est-ce qu'il se pourrait que votre méthode du divan ne fasse que détourner les gens des chemins confortables où ils usaient leurs semelles jusque-là, pour les expédier sur un champ caillouteux totalement inconnu, où il leur faut chercher péniblement un chemin, sans savoir à quoi il peut bien ressembler ni même s'il débouche quelque part?»
Freud leva les sourcils et ouvrit lentement la bouche.

Ibid, p.137-141
L'Allemagne envahit l'Autriche, le propriétaire du tabac est arrêté, Franz devient gérant. Il n'écrit plus des cartes postales mais des lettres, sa mère lui répond:
Chez nous il fait chaud. Le Schaffberg est très avenant, et le lac tantôt argenté, tantôt bleu ou vert, comme ça lui chante. Ils ont planté de grands étendards avec des croix gammées sur l'autre rive. Ils se reflètent dans l'eau, ça fait très net. De toute façon, tout le monde est devenu très net tout d'un coup et se promène en prenant l'air important. Figure-toi que le Hitler est maintenant suspendu aussi à l'auberge et à l'école. Juste à côté du Christ. Alors qu'on ne sait même pas ce qu'ils pense l'un de l'autre. La belle auto du Preininger a malheureusement été réquisitionnée. C'est comme ça qu'on dit aujourd'hui quand les choses disparaissent et qu'elles réapparaissent tout d'un coup à un autre endroit. Remarque, l'auto n'est pas allée bien loin. Puisque c'est monsieur notre maire qui se promène dedans maintenant. Depuis que monsieur notre maire est devenu nazi, il a plein de facilités. Tout le monde veut devenir nazi tout d'un coup. Même le garde forestier se balade dans les bois aveic un brassard rouge comme un lampion et s'étonne de ne plus toucher de bêtes. A propos, est-ce que tu te souviens de notre bateau d'excursion, le Hannes? Ils l'ont repeint et rebaptisé. Il brille comme un sou neuf et s'appelle Retour au pays. N'empêche qu'à sa première traversée sous ce nouveau nom, son moteur diesel a explisé et qu'il vallu ramener tout le monde à la rame dans les vieux canots.

[…]

Honnêtement, je ne sais pas trop quoi penser de tes relations avec le professeur Freud. Cela ne me plaît pas beaucoup. Autrefois je pouvais t'interdire de fréquenter les garçons qui ne me convenaient pas. Mais c'est fini. Maintenant tu as l'âge de savoir ce que tu as à faire. Mais n'oublie pas que même si les Juifs sont des gens convenables, ça risque de ne pas leur servir à grand-chose, vu que tout le monde autour d'eux a renoncé à l'être depuis longtemps!

[…]

J'aurais tant aimé t'envoyer un strudel aux pommes de terre, mais, avec la poste qu'on a maintenant, on n'est sûr de rien. Mon cher, très cher garçon, tu ne quittes jamais mon cœur!
Ta mère.


Franz tâta du bout des doigts le papier à lettres finement texturé. Une sensation étrange l'envahit, telle une grosse bulle qui pétilla le long de sa colonne vertébrale et s'insinua par la nuque dans la région de l'occiput où elle flotta agréablement un petit moment. Ta mère, avait-elle écrit, et non Ta maman, comme sur les cartes postales ou avant, lorsqu'elle lui laissait des petits mots tout griffonnés sur la table de la cuisine. les enfants ont des mamans, les hommes ont des mères. […]

Ibid, p.170-171
Deux dates apparaissent dans les dernières pages du livre : 4 juin 1938, date de départ de Freud pour Londres puis, «presque sept ans plus tard», 12 mars 1945, date du bombardement de Vienne.

Mr. Norris change de train, de Christopher Isherwood

J'aime lire les témoignages sur l'Allemagne entre les deux guerres parus de préférence à l'époque1. Rien pour poser sa tête, évidemment Berlin Alexanderplatz, le journal de Viktor Klemperer à lire en parallèle du début des Souvenirs de Hans Jonas.
Cette fois-ci, avec Mr. Norris change de train publié en 1935, c'est un Anglais qui fait part de ses observations.

Résumé du livre: un jeune Anglais se prend d'amitié pour un escroc international.
Le livre est drôle, enlevé. Pour avoir lu son journal d'octobre 1983 avant ce roman de jeunesse, je souris de constater qu'Isherwood dépeint avec la même vigueur les enfants dans le caddy de leurs mères dans les supermarchés californiens que les fétichistes des bottes dans les bordels berlinois. Un auteur attachant.

Dans Mr. Norris change de train, j'ai eu la surprise de trouver quelques notations rappellant LTI2, en plus allègre.
1932:
Les reporters du crime et les paroliers du jazz avaient suscité une inflation sans précédent de la langue allemande. La terminologie de l'invective journalistique (traître, laquais de Versailles, criminel assoiffé de sang, escroc à la solde de Marx, fange hitlérienne, fléau communiste) en était venue à ressembler, par suite d'un emploi excessif, à la phraséologie formelle de politesse utilisée par les Chinois. le mot Liebe, jailli du lexique de Gœthe, ne valait plus un baiser de prostituée. Printemps, claire de lune, jeunesse, roses jeune fille, chérie, cœur, mai: telle était la monnaie courante, lamentablement dévalorisée, que mettaient en circulation les auteurs de tous ces tangos, valses, fox-trots, qui préconisaient l'évasion individuelle. Trouvez-vous une petite âme sœur, conseillaient-ils, pour oublier la crise et le chômage.

Christopher Isherwood, Mr. Norris change de train, p.147, traduction Léo Dillé (coll 10/18, 1964)
Il s'agit presque d'une guerre civile, entre communistes et nazis, avec les grèves, manifestations et contre-manifestations qui s'en suivent. Je ne me souvenais pas (l'ai-je jamais su?) que les nazis avaient subi un revers en novembre 1932:
Les négociations de Hitler avec la droite avaient été rompues; la Hakenkreuz allait jusqu'à flirter gentiment avec la faucille et le marteau. Des conversations téléphoniques, au dire d'Arthur, avaient déjà eu lieu entre les camps ennemis. Les troupes d'assaut nazies se joignaient aux communistes parmi les foules qui conspuaient les «traîtres» et les lapidaient. Pendant ce temps, sur les colonnes d'affiches trempées, des placards nazis représentaient le K.P.D. sous l'aspect d'un épouvantail en uniforme de l'armée rouge. Quelques jours plus tard, il y aurait d'autres élections, les quatrièmes de l'année. Les réunions politiques attiraient beaucoup de monde; c'était moins cher que de s'enivrer ou d'aller au cinéma. Les gens âgés restaient chez eux, dans leurs pauvres maisons humides, à faire du thé faible ou du café malté en parlant sans animation de la Débâcle.

Le 7 novembre, les résultats des élections furent proclamés. Les nazis avaient perdu deux millions de voix. Quant aux communistes, ils avaient gagné onze sièges. Ils possédaient en outre une majorité de plus de 100000 à Berlin.
— Vous voyez, dis-je à Frl. Schroeder, tout ça, c'est grâce à vous.
Nous l'avions persuadée, en effet, de descendre voter à la brasserie du coin pour la première fois de sa vie. Et maintenant elle était aussi ravie que si elle avait gagné à la loterie:
— Herr Norris! Herr Norris! J'ai fait exactement ce que vous m'avez dit, et tout est arrivé comme vous l'aviez prévu! La concierge est dans tous ses états. Ça fait des années qu'elle suit les élections, et elle soutenait que les nazis allaient gagner encore un million de voix ce coup-ci. Je me suis bien payé sa tête, je vous le certifie. Je lui ai dit: «Ha! ha! Frau Schneider! Vous voyez bien que moi aussi je m'y connais en politique!»

Ibid, p.182-183
En mars 1933, comme l'a remarqué Haffner, il fit très beau. Dès le début, il n'y eut aucun doute sur la nature du régime, mais certains s'en accommodaient fort bien:
Au début de mars, après les élections, il fit brusquement doux et chaud.
— C'est Hitler qui nous apporte le beau temps, dit la concierge.
Et son fils nous fit observer en plaisantant que nous devrions être reconnaissants à Van Der Lubbe de ce que l'incendie du Reichstag eût fait fondre la neige.
— Un si beau garçon!… remarqua Frl. Schroeder avec un soupir. Comment, grand Dieu, a-t-il pu faire une chose aussi affreuse?
La concierge eut un reniflement de mépris.

Notre rue avait un aspect tout à fait gai lorsqu'en y débouchant l'on voyait des drapeaux noir-blanc-rouge pendre immobiles aux fenêtres contre le ciel bleu du printemps. Sur la Nollendorfplatz, les gens étaient assis à la terrasse du café, en pardessus, et lisaient les articles concernant le coup d'Etat de Bavière. Gœring s'exprimait à traver le haut-parleur de la radio du coin.
— L'Allemagne est réveillée! déclarait-il.
Un marchand de glace était ouvert. Des nazis en uniforme marchaient à grandes enjambées ça et là, le visage sérieux et composé, comme s'ils avaient été chargés de missions importantes. Les lecteurs de journaux du café tournaient la tête afin de les regarder passer, souriaient et semblaient contents.

Ils souriaient d'un air approbateur à ces jeunes gens aux grandes bottes conquérantes, qui allaient bouleverser le Traité de Versailles. Ils étaient contents parce que ce serait bientôt l'été, parce que Hitler avait promis de protéger les petits commerçants, parce que leurs journaux annonçaient des temps meilleurs. Ils étaient soudain fiers d'être blonds, et frémissaient d'un plaisir furtif, sensuel, comme des écoliers, parce que les juifs, leurs rivaux en affaires, et les marxistes, une minorité vaguement définie de gens dont ils ne se souciaient guère, avaient été jugés, de manière bien satisfaisante, responsables de la défaite, de l'inflation, et qu'ils allaient le sentir passer.

La ville était pleine de chuchotements qui parlaient d'arrestations illégales à minuit, de prisonniers torturés dans les baraques du Sturmabteilung, forcés à cracher sur le portrait de Lénine, à boire de l'huile de ricin, à manger de vieilles chaussettes. Mais ces bruits étaient couverts par la voix puissante, irritée du gouvernement, dont les mille bouches démentaient.

Ibid, p.285 à 287




1 : M'agacent les prophètes rétrospectifs, qui vous annoncent après les événements que ceux-ci "étaient tout à fait prévisibles" (cf. les discours en 2009 sur la chute du mur de Berlin.)

2 : Viktor Klemperer, Lingua Tertii Imperii

L'aveu de Heidegger

Puis il y eut cette matinée d'été. Nous étions dans le jardin et parlions de la Grèce. Je luis dis soudain, avec une vivacité à laquelle l'esprit malin du vin de Bade n'était pas étranger, que son engagement désastreux en 1933 avait plongé ses amis français dans un bel embarras. Pourquoi à cette époque avait-il fait cela? Je me souviens que Mme Heidegger me regarda, pétrifiée. Surpris, après un moment de silence, Heidegger se pencha vers moi avec l'expression grave de quelqu'un qui s'apprête à livrer un grand secret: «Dummheit». Par stupidité.

Je songeai à une phrase que m'avait dite un jour Ernst Jünger et qui renversait singulièrement la perspective: «Ce n'est pas tant Heidegger qui devait passer le reste de sa vie à demander pardon pour s'être engagé quelques mois en 1933, mais plutôt Hitler qui devrait se mettre à genoux dans sa tombe et implorer son pardon pour l'avoir trompé et mystifié à ce point.»

Frédéric de Towarnicki, À la rencontre de Heidegger - Souvenirs d'un messager de la Forêt-Noire, p 25 (Gallimard - Arcades)

Le Léviathan dans la doctrine de l'Etat de Thomas Hobbes

Si l'on accepte le verdict proclamé outre-Rhin, un tel ouvrage contiendrait la quintessence d'une pensée politique complexe, difficile à saisir. Le Léviathan de Carl Schmitt représenterait à la fois un tournant dans les réflexions de l'auteur — Schmitt revoit en effet sa position à l'encontre du libéralisme — et une confirmation des thèses antérieures, tant l'Etat fort demeure malgré tout la conformation à opposer aux conceptions libérales qui favoriseraient la fuite du politique en dehors de l'Etat. Le juriste n'a aucunement hésité à présenter cette double «position» comme une critique à peine déguisée du régime national-socialiste, arguée au nez et à la barbe des intellectuels nazis les plus hauts placés.

Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.117-118

Douloureux mais tangible

Malgré le caractère éristique et agité du débat entre continuistes et théoriciens de la parenthèse, se faisait jour la réalité d'un dialogue scientifique, douloureux mais tangible, que la publication en français d'un ouvrage fort controversé du juriste, rédigé en 1938 et teinté d'un antisémitisme virulent, poussa jusqu'à des conclusions extrêmes: la traduction en 2002, du Léviathan dans la doctine de l'Etat de Thomas Hobbes, sous-titré Sens et échec d'un symbole politique, provoqua le revirement d'une querelle, jusqu'ici dialogique.

Tristan Storme, Carl Schmitt et le marcionisme, p.13-14
Il s'agit du débat autour de la période nationale-socialiste de Schmitt: continuité ou parenthèse?
Ce que décrit ici Tristan Storme, c'est le moment où le débat a cessé d'être débat, le moment où il n'a plus été possible d'avoir une opinion contraire au diktat de la pensée morale/moralisante/moralisatrice.
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