Billets qui ont 'protestation' comme mot-clé.

La vigueur d'un style soutenu par la protestation

J'ai découvert ainsi que le P. Thomas Philippe s'était conduit sans grandeur, avec une conception de la loyauté, de l'honneur, de la fidélité aux amitiés et à ce qu'on savait vrai, que je lui laisse et ne lui envie nullement. Il ne s'est pas contenté d'exécuter une mission qu'il n'aurait d'abord pas dû accepter, qu'on [ne] lui aurait même pas demandé s'il avait été l'homme qu'il devait être — car il il y a des choses qu'on ne demande pas à certaines personnes…; il a renchéri sur la condamnation romaine, il a épousé avec conviction des griefs qu'il savait ou avait su et devait savoir être faux. Il a, en plein chapitre réuni pou la visite, et devant le P. Chenu lui-même, accusé celui-ci de modernisme, de dévaloriser l'intelligence dans la théologie. Cela, je ne l'accepterai jamais. Je voudrais, sur mon lit de mort, au moment de paraître devant Dieu, avoir assez de forces et de lucidité pour attester solennellement, pour protester, pour dire que le P. Chenu a été condamné injustement, par une coterie misérable de gens médiocres, ignorants et sans caractère.

Yves Congar, Journal d'un théologien, p.53-54

Les phrases hors contexte

Oui, tous les «journaux», même les plus exacts, les plus sincères, trahissent. Le fait d'isoler un propos le mue en anecdote, le coupe de son ensemble de paroles tues mais communiquées, de ce rien d'ironie qui met les choses en place. Ce qui était mobile, fluent, rapide, devient immobile, figé, rigide. Des lecteurs futurs souriront, s'amuseront,, se moqueront, feront les esprits forts et les grands cœurs à bon compte, raconteront en simplifiant encore ces mots, ces anecdots un peu scandaleuses et touchantes. Il m'est arrivé bien souvent, pour éviter de tels malentendus, de tels contresens, de renoncer à rapporter ici telle phrase, telle boutade de mon père.

Claude Mauriac, Et comme l'espérance est violente, p.254 (21 août 1965)
Claude Mauriac s'inquiète de ce que ce qu'il rapporte puisse être mal interprété, ou même utilisé à charge.
Pour ma part, mais bien sûr il s'agit de fragments de littérature et non de fragments de vie, j'adore ça. J'adore détourner le sens d'une phrase, lui donner un sens absolu, en la coupant de son contexte.
Ainsi la phrase de sur la révolte citée par Renaud Camus (et que j'ai citée plus bas) intervenait dans le contexte domestique suivant, qui change passablement sa portée:
La canicule sévit toujours. On nous a donné une médiocre chambre sans air conditionné, ouvrant sur une rue latérale au-dessus d'un café d'évidence adoré de la jeunesse gueularde. Impossible de laisser la fenêtre ouverte, impossible de la fermer. À minuit, n'en pouvant plus, je suis tout de même allé me plaindre. On eut l'air presque étonné que je ne l'eusse pas fait plus tôt. Et on m'a donné aussitôt, pour le même prix, cette chambre-ci, qui est plus grande, qui ne donne pas sur la rue aux terrasses de café, et qui, comble du luxe, dispose de l'air conditionné. Comme quoi, Sartre et Benny Levy ont dit vrai: On a raison de se révolter.

Renaud Camus, Parti pris, p.272
Cette phrase solennelle dans ce contexte trivial est drôle, cette phrase hors son contexte suinte désormais l'ennui car elle est devenue un cliché, un mot d'ordre obligatoire (Indignez-vous), cette phrase hors contexte quand on sait de quel contexte elle vient d'être tirée est de nouveau amusante, puisque le mécanisme initial consiste justement à citer cette phrase dans un "mauvais" contexte, en porte-à-faux.
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