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La tombe d'à côté

Retour de la traduction à la volée.
D'abord j'ai cru à une histoire vraie, puis je me suis dit que j'étais trop crédule et que c'était une fiction (après tout le twittos s'appelle sixthformpoet), puis j'ai lu les commentaires.
Il est fort possible que ce soit une histoire vraie.
Après tout, l'auteur est anglais.
UN
Mon père mourut. Début classique pour une histoire drôle. Il fut enterré dans un petit village du Sussex. J'étais très proche de mon père et j'allais donc très souvent sur sa tombe. J'y vais encore. [Pas de panique, cela va devenir plus drôle.]

J'apportais toujours des fleurs; ma mère y allait souvent et elle apportait toujours des fleurs; mes grand-parents étaient encore vivants et ils apportaient toujours des fleurs. La tombe de mon père ressemblait souvent à un troisième prix mérité de l'exposition florale de Chelsea.

Parfait. Cependant, je me sentais coupable envers le type enterré à côté de mon père. Il n'avait JAMAIS de fleurs. Il était mort à 37 ans le jour de Noël; personne ne lui apportait de fleurs; et maintenant la tombe d'à côté s'était transformée en boutique de fleuriste éphémère. Alors je commençai à lui apporter des fleurs. JE COMMENÇAI Á ACHETER DES FLEURS Á UN MORT QUE JE N'AVAIS JAMAIS RENCONTRE.

Je le fis un certain temps sans jamais en parler à personne. C'était une private joke à usage interne; je rendais le monde meilleur un bouquet après l'autre. Je sais que ça peut paraître bizarre mais je me mis à penser à lui comme à un ami.

Je me demandais si nous avions une connexion cachée, quelque secret qui m'aurait attiré à lui. Peut-être étions-nous allés à la même école, avions-nous joué dans le même club de foot ou quelque chose comme ça. J'ai fini par googler son nom: dix secondes plus tard je l'avais trouvé.

Sa femme ne lui apportait pas de fleurs PARCE QU'IL L'AVAIT ASSASSINEE — LE JOUR DE NOËL. Après avoir assassiné sa femme, il avait également assassiné ses beaux-parents. Après cela il avait sauté devant le seul train passant dans le tunnel de Balcombe durant cette nuit de Noël.

C'était pour CELA que personne ne lui laissait de fleur. Personne sauf moi, bien sûr. Je lui apportais des fleurs tous les quinze jours; tous les quinze jours DEPUIS DEUX ANS ET DEMI.

Je me sentais terriblement mal par rapport à sa femme et ses beaux-parents. Bon, je n'allais pas leur apporter des fleurs tous les quinze jours pendant deux ans et demi, cependant j'avais l'impression de leur devoir des excuses.

Je trouvai où ils étaient enterrés, j'achetai des fleurs et j'allai au cimetière. Comme je me tenais debout devant leurs tombes et marmonnais des excuses, une femme apparut derrière moi. Elle voulut savoir qui j'étais et pourquoi je laissais des fleurs à sa tante et à ses grands-parents. MOMENT EMBARRASSANT.

Je m'expliquai; elle dit OK, c'est bizarre mais plutôt gentil. Je répondis merci, oui c'est un peu bizarre et, mon dieu, JE LUI PROPOSAI DE PRENDRE UN VERRE. Á ma grande surprise, elle dit oui. Deux ans plus tard, elle me dit oui de nouveau quand je la demandai en mariage car c'est ainsi que j'ai rencontré ma femme.

[FIN]

A l'enterrement de Michel de Certeau (13 janvier 1986)

Notons l'étonnement des a-religieux devant l'intelligence et la finesse de — certains — croyants : non, être croyant, ce n'est pas obligatoirement être fruste.
Pour le reste, savourons :
Elisabeth Roudinesco se tient dans l'assistance aux côtés de Serge Leclaire et tous deux sont aussi étonnés par l'intelligence de l'oraison funèbre et l'audace des hommages. Elisabeth Roudinesco réalise de manière spectaculaire ce qu'elle savait déjà, le rayonnement de Certeau dont témoignent le nombre et la diversité des participants à la cérémonie: «Serge Leclaire me dit: "Regarde. Qui a Paris aujourd'hui peut rassembler dans une même salle des gens aussi divers et qui se détestent tous ?"»

François Dosse, Michel de Certeau, le marcheur blessé, p.13-14, La Découverte, 2002

Les livres «morts»

Schechter partit pour Le Caire en décembre 1896, dès la fin du premier semestre universitaire, muni d'une lettre d'introduction du grand rabbin de Londres, Hermann Adler, au grand rabbin du Caire, Aaron Raphaël Ben Shim'on. Une fois sur place, il dut passer de nombreuses heures, voire des journées entières, à fumer des cigarettes en sirotant du café en compagnie du grand rabbin jusqu'à ce que celui-ci le récomprense de sa patience en lui accordant sa confiance et en l'emmenant à la synagogue Ben Ezra, la plus ancienne du Caire1. A l'extrémité d'un passage couvert, Schlechter aperçut une ouverture en hauteur dans un mur à laquelle seule une échelle permettait d'accéder. Schechter, en y montant, aperçut de quoi faire frissonner d'enthousiasme un érudit de sa trempe: une «salle sans fenêtres et sans portes de belles dimensions» remplie d'un fatras de livres et de papiers, de manuscrits et de textes imprimés, abandonnés là sans ordre depuis plus de huit siècles. Il venait de découvrir, comme il s'y attendait d'ailleurs à moitié, une gueniza.

Le mot «gueniza», expliquerait Schechter dans une lettre au Times, «vient du verbe hébreu "ganaz" et signifie cachette ou trésor. C'est un peu l'équivalent pour les livres de la tombe pour les hommes. C'est un peu l'équivalent pour les livres de la tombe pour les hommes. Quand l'esprit qui les habite les quitte, nous enfouissons les corps afin de leur épargner toute injure. De même, quand un écrit ne sert plus à rien, nous le mettons à l'abri pour lui éviter d'être profané2».

Une loi juive interdit la destruction du moindre document contenant les quatre lettres du saint nom, le tétragramme. Dans la plupart des cas, on enfouit sous terre, à la manière des restes humains, les documents en question qui, sous les climats humides, ne tardèrent pas à se décomposer. Dans les pays chauds et secs, les guenizot consistaient parfois en simples cavers ou en jarres, où les documents demeuraient intacts pendant des années, voire des siècles, comme à la synagogue Ben Ezra du Caire.

Les guenizot recevaient, outre les livres «morts», des ouvrages en mauvais état, dont certaines pages manquaient, ou «en disgrâce» parce que leur contenu ne semblait pas tout à fait orthodoxe. Au fil du temps, n'importe quel document écrit dans la langue sacrée, qu'il s'agît d'une chanson d'amour ou à boire, d'un testament ou d'un contrat de mariage, pouvait échouer dans une gueniza. Depuis huit siècles, l'ouverture en hauteur dans le mur de la synagogue Ben Ezra servait en quelque sorte de dépotoir aux écrits hébreux dont la communauté juive du Caire ne voulait plus.

Schechter décrivit aux lecteurs du Times la salle plongée dans la pénombre en des termes que n'aurait pas reniés Darwin:
«C'est un champ de bataille de livres où se sont affontées les œuvres de bien des siècles et om ne gisent plus que des feuilles éparses. Certains combattants ont péri sur le coup et sont tombés en poussière à l'issue d'une terrible lutte pour leur espace vital tandis que d'autres s'entassent en monceaux informes, impossibles à détacher les uns des autres sans endommager irrémédiablement les textes, même en s'aidant d'un produit chimique. Dans leur état actuel, ces monceaux de papiers présentent de curieuses associations: il arrive ainsi qu'on découvre un extrait d'un ouvrage de science niant l'existence des anges ou du diable, attaché à une amulette où ces mêmes êtres (surtout le diable) sont priés de bien se tenir et de ne pas s'opposer à l'amour de Miss Yair pour on ne sait plus qui3

Janet Soskice, Les aventurières du Sinaï, p.271-272, JC Lattès 2010 - traduction Marie Boudewyn



Notes:
1 : Stefen Reif, A Jewish Archive from Old Cairo (Richmond, 2000), p.19.
2 : Cf. le Times du 3 août 1897.
3 : Ibid.

La tombe de Balzac

Dimanche… août 1946

— S'il vous plaît, monsieur, la tombe de Balzac?
Le gardien du cimetière a froncé les souvcils, sans comprendre; et tout à coup son visage s'est éclairé et il a dit sur un ton d'indulgente supériorité:
— Honoré de Balzac, vous voulez dire? Alors, c'est différent: écoutez…
Le jeune homme, embarrassé par les deux bouquets qu'il tenait — un blanc et un rouge — a remercié d'un signe de tête. Puis il est parti, ses fleurs à la main, dans la verte lumière sous-marine qui est celle du Père-Lachaise en été, et je l'ai suivi de loin à travers les sépultures, seul avec lui sous la voûte des arbres. Le buste de Balzac est apparu entre les croix, je me dissimulai derrière un caveau. Me jeune homme ne s'agenouille pas; il ne paraît point davantage prier: simplement, il dispose ses œillets et ses marguerites sur la pierre, avec autant d'amour, semble-t-il, que Félix de Vandenesse préparant, au bas du perron de Clochegourde, ses bouquets pour Mme de Mortsauf. Il reste ensuite un long moment immobile, les bras croisés, dominant comme Rastignac ce Paris assoupi que recouvrent déjà les ombres du soir. Mais aucun désir de conquête ne doit hanter cette âme que je devine sans ambition.
Lorsqu'il fut parti, je m'approchai à mon tour du tombeau et je vis, en regardant la plaque, qu'il y avait tout juste quatre-vingt-seize ans que Balzac était mort.


Lundi.

Cette tombe bien entretenue et que deux bégonias en pots me parurent décorer de façon permanente, me fit me souvenir d'une lettre que reçut le général de Gaulle à l'époque où il était au Gouvernement. Un correspondant inconnu l'y informait de l'état de délabrement dans lequel se trouvait la sépulture de Balzac. Je communiquai pour éléments de réponse cette lettre à Marcel Bouteron. Il répondit peu de jours après qu'il s'occupait de remédier à cet état de chose et que le Général pouvait être assuré que le tombeau du romancier de la Comédie humaine ne serait plus laissé à l'abandon. Une enquête discrète devait révéler peu après que Marcel Bouteron avait supporté personnellement les frais de la restauration et qu'il s'était soucié d'assurer la continuité de cette surveillance au cas où il viendrait lui-même à disparaître. Aussi bien ces deux bégonias étaient-ils vraiment la signature de l'amour.

Claude Mauriac, Aimer de Gaulle, p.345 - Grasset, 1978
Je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui, mais en avril 2010 la concession arrivait à son terme : «Concession en reprise administrative aux fins de sauvegarde, s'adresser à la conservation.»
Il faudrait que j'y repasse.


Mes quatre souvenirs de Cavanna

Jeudi je passe à la bibliothèque de l'entreprise. Des Cavanna sont exposés sur le présentoir. Instruite par l'expérience (c'est ainsi que j'ai appris la mort de Robert Sabatier) je me tourne vers la bibliothécaire:
— En général ce n'est pas bon signe.
— Oui, il est mort, ç'a été annoncé ce matin.

Voici donc quatre souvenirs en hommage à quelqu'un que je pense avoir été d'une grande droiture.

- juillet 2003. Nous fêtons les dix ans de mariage d'un ami de terminale. Dans la chambre qu'il nous attribue, deux ou trois Cavanna à côté des Enfants modèles de Paul Thorez. Très peu de livres dans cette maison, j'en suis surprise, et beaucoup, énormément, de photos de leurs enfants, en très grands formats.
Je sors Les Ritals pour le feuilleter. (Aujourd'hui je dirais que ça m'a rappelé la voix de San Antonio, mais en réalité je ne me souviens pas vraiment. je sais que c'était une lecture entraînante, de celle qui vous entraîne avec elle.)

- Il y a cinq ou six ans, je l'ai croisé devant la brasserie Lipp. Il était vraiment très grand.

- Je me souviens de deux articles de lui dans Charlie Hebdo: l'un à propos de l'enterrement de Mitterrand à Notre-Dame, l'autre un an après septembre 2001. Je les ai retrouvés dans mes archives.
Le premier s'intitulait "Les Charognards", il était d'un anticléricalisme virulent et accusait l'Eglise de récupération (j'aurais plutôt accusé les socialistes d'hypocrisie, mais bon). Cela ne me gêne pas. L'anticléricalisme que l'on sent animé d'une violente colère m'a toujours paru "possible", il est possible de le comprendre, d'adopter son point de vue; d'une certaine façon il est possible d'être d'accord avec lui. Il oublie tout le bon pour ne focaliser que sur le mauvais, il est partial et injuste; mais il évite à ceux qui s'endormiraient trop vite dans le confort du "bien" d'oublier tout ce qu'on peut légitimement reprocher à l'Eglise. C'est une démangeaison salutaire.
(La colère, je la comprends. Ce que je ne supporte pas, c'est l'absence du sens du sacré. Réduire le monde à la dimension de l'homme m'est insupportable. Je ne supporte pas l'atteinte au sacré, y compris le sacré des autres, celui qui ne me concerne pas, que je ne comprends pas.)
A la fin de cet article, une phrase: «Arrête de chialer, Renaud, on va croire que tu es le père d'une de ses filles cachées.»
Le deuxième article revenait sur le travail des sauveteurs au World Trade Center. Il date de décembre 2002, je suppose qu'il a dû y avoir une commémoration à cette date. Il passe de la description à l'écœurement à la colère. Il termine par un adieu.
Fallait que je le dise

Difficile d'échapper aux images épouvantables des sauveteurs cherchant les corps parmi les décombres. Ces images de New York m'en ont rappelé d'autres, qui n'ont pas été filmées, celles-là, on ne filmait pas, alors, mais que j'ai vécues, j'étais en plein dedans. Ces images m'ont rappelé Berlin.

A Berlin, ça a duré deux ans. Ça dégringolait chaque nuit, avec, une ou deus fois par semaine, en plein jour, le «bombardement tapis» à grand spectacle. Plusieurs milliers de morts à chaque fois.

J'avais la chance — je dis bien la chance, car cela m'a évité l'Arbeitslag — de faire partie d'une équipe de tire-au-cul, de fortes têtes, de saboteurs, toutes nationalités mêlées, rebut des usines voué au déblaiement des décombres et à la recherche de ce qui pouvait se révéler encore vaguement vivant.

Nous partions à l'aurore, le ventre creux, entortillé de loques. Nous n'avions pas de casques, de masques, de lulls, de grues ni de camions. Juste nos mains, une pelle, une pioche. Et les lamentations tout autour, les cris, les sanglots, les maccchabées qu'on entassait, les encore pas tout à fait morts qu'on alignait sur la chaussée en attendant des brancardiers, jusqu'à la nuit tombée parfois.

Fouiller les décombres d'un bombardement, tâche quasi impossible autant qu'imbécile. Les gravats se hérissent de poutres, de portes, de meubles, tout ça enchevêtré, va chercher, toi! On entendait que ça gueulait, faiblement, sous quelque amas. Il fallait ôter d'abord les poutres et les ferrailles, à la force des bras, ça prenait des heures, les vivants souvent ne l'étaient plus quand nous parvenions jusqu'à eux.

J'ai vu, dans une cave transformée en abri, où une bombe, réglée pour n'expliser qu'après six ou sept impacts, merveille de la technique, avait terminé triomphalement sa course verticale: des morceaux sanglants collés aux murs de brique, au plafond crevé, on pataugeait dans la viande hachée mêlée aux lambeaux de vêtements…

J'arrête, je chiale, j'ai raconté cela dans Les Russkoffs, New York et ses parades à la con me le font remonter dans la gorge, j'étais dessous, j'ai eu de la chance. D'autres n'en ont pas eu.

C'était l'épouvante tous les jours, toutes les nuits, jour après jour, nuit après nuit. Qui bombardait? les Anglais, les Américains. Que bombardaient-ils? Des prisonniers de guerre français, russes, anglais, américains. Des déportés. Des Allemands, oui, un peu: femmes et gosses, les hommes étaient au front. Juste pour la terreur. Ah, mais, c'était la guerre! Bien sûr, Ducon. C'est aussi ce que disent aujourd'hui les terroristes et ceux qui les admirent.

Pour nous, les bagnards, les tire-au-cul, les réprouvés, pas de défilé avec bagpipes et oriflammes, pas même un merci… Ah, si, un jour, un vieil Allemand tout éperdu nous a fait spontanément un certificat, à Paulot Picamilh et à moi, attestant que nous avions sauvé sa vie et sa maison en flammes sous le bombardement. Plus tard, ça nous a sauvé la mise.

C'était la minute d'attendrissement du grand-père. A la niche, pépé. Bonsoir, m'sieurs-dames.

Cavanna dans Charlie hebdo du 18 décembre 2002

RIP Jean Fabre, fondateur de l'Ecole des Loisirs

Voir ici.

J'ai découvert cette maison d'édition aux alentours de 1993, quand la société où je travaillais a emménageé au dos de la bibliothèque de Levallois-Perret. A l'époque je ne lisais plus (comprendre: "plus rien de sérieux"), je feuilletais ce qu'il y avait sur les tables de présentation, j'emportais des policiers. Les bibliothécaires effectuaient un remarquable travail de sélection, je me souviens d'un livre de pâtisserie par Hermé (un "beau" livre) et d'un livre sur les énoncés des exercices de mathématiques en primaire dans les années 30 en Allemagne (qui revenaient assez souvent à calculer combien de kilos de patates mangeait un Juif en un an. J'ai compris alors ce qu'était l'endoctrinement).

Les livre de L'Ecole des loisirs, ce sont dans mon souvenir des livres "engagés" sur des sujets politiques, leurs conséquences sur le quotidien racontées du point de vue d'un enfant: je me souviens d'un livre sur la ségrégation aux Etats-Unis, un sur la guerre en Irlande, un sur une famille juive fuyant dans la campagne hollandaise, un sur l'homosexualité (Les lettres de mon petit frère de Chris Donner)…

Ce sont trois noms: Marie-Aude Murail (Le Hollandais sans peine, la série des Emilien, le grand cœur un peu nunuche, etc), Anne Fine (ce qui m'amènera à lire ses livres pour adultes aux éditions de l'Olivier (souvent atroces: Un bonheur mortel, Une sale rumeur), le premier de la liste étant Les confessions de Victoria Plum, dans lequel doit se trouver la remarque qu'un divorce, c'est la mort de toutes les private jokes qui ne sont plus rien dès que l'autre n'est plus là pour s'en souvenir avec vous)) et Robert Cormier, avec La guerre des chocolats et Après la guerre des chocolats, et surtout L'Eclipse, un formidable (comprendre effrayant) livre de SF écrit par un garçon qui découvre qu'un homme de sa famille par génération peut devenir invisible, et que c'est lui qui a hérité du don.

Comptent tout particulièrement le tendre Embrasser une fille qui fume et Toutes les créatures du bon Dieu de James Herriot (dont j'ai eu la surprise de découvrir en lisant Les demeures de l'esprit, Grande-Bretagne, Irlande II qu'il était une star en Grande-Bretagne).

Etrangement (ou pas), mes préférés dans cette liste sont épuisés et très difficiles à trouver.

RIP Roland de la Poype, héros de Normandie-Niémen et Gavroche du fond de l'âme

J'avais un ami qui avait été en classe avec Roland de la Poype. Il me racontait la façon dont il dévalait les rues du Mans sur le porte-bagage de sa moto dans les années trente, quand ils sortaient de leur collège jésuite.
Son sourcil se fronça, d'un air mélancolique et triste il ajouta : «L'un des pères l'avait pris en grippe, c'était vraiment terrible. Roland était son bouc émissaire. Il a fini d'ailleurs par être renvoyé de l'école. Il n'était pas méchant, mais il n'était pas très appliqué, toujours tête en l'air, toujours en train d'inventer quelque chose. Il était farceur.»

L'épisode (et sa conclusion) est raconté par Ghislain de Diesbach.
Beaucoup de futurs grands hommes, à commencer par Voltaire, ont été élevés chez les Jésuites et y ont fait, suivant la formule consacrée, « de solides études ». En chaque célébrité, l'ordre de saint Ignace aime à reconnaître un de ses chefs-d'œuvre, oubliant parfois l'époque où le brillant élève était indésirable. Un jour, au printemps 1945, nous en eûmes un piquant exemple.
Quelques années avant la guerre, Mme de La Poype était venue supplier le préfet de ne pas renvoyer son fils Roland qui, paraît-il, donnait alors du fil à retordre à ses maîtres. Le Préfet avait refusé en ajoutant :
— Croyez-moi, Madame, vous n'en ferez jamais rien de bon !
Après la Libération, Roland de La Poype, lieutenant dans l'escadrille Normandie-Niémen, héros fameux de la guerre aérienne et abondamment décoré par plusieurs pays, était venu revoir son ancien collège où il avait reçu un accueil triomphal. Le Père Préfet avait promené fièrement son « cher enfant » à travers les cours de récréation, au milieu d'élèves admiratifs, et il avait complètement oublié le petit différend, survenu dix ans plus tôt…
En attendant cette consécration, la gloire du collège était Antoine de Saint-Exupéry qui n'avait plus que quelques mois à vivre et allait bientôt lui donner son nom, ainsi qu'à la rue des Vignes, encore champêtre et sablée.

Ghislain de Diesbach, Une éducation manquée - souvenirs 1931-1949
Et-ce à cause de l'aviateur? toujours est-il qu'à la fin des années trente, après s'être fait renvoyé du collège, La Poype s'était inscrit aux cours proposés par l'aviation civile pour passer son brevet de pilote. (Il s'agissait de préparer la guerre, sans le dire.) «Finalement, conclut mon ami avec un sourire mélancolique, être renvoyé a été la chance de sa vie.»

La guerre fut déclarée, La Poype participa à la bataille d'Angleterre, et plus tard fit partie de l'escadron du Normandie-Niémen. Il l'a raconté tardivement, en 2007 (sans doute un livre rewrité, ce n'était pas le genre à s'appesantir sur le passé. Peut-être l'a-t-on convaincu qu'il devait laisser un témoignage).
Staline l'a autorisé à ramener son yak en France pour service rendu à la patrie.

Un jour mon ami revint tout excité d'une réunion familiale; il venait d'apprendre que le père d'une de ses nièces par alliance avait lui aussi fait partie de l'escadrille Normandie-Niémen. Ils avaient beaucoup discuté, et quelques temps plus tard, la nièce lui prêta quelques pages du journal de son père. Elles décrivaient une alerte aérienne durant la nuit, la nécessité de s'habiller vite avec peu de lumière, «comme d'habitude, La Poype avait perdu quelque chose, une chaussette, son pantalon ou sa chemise».

Roland de la Poype n'est plus.

RIP Georges Chaulet

Je me souviens que je prononçais intérieurement "Alpaja". Cela m'a fait un choc de découvrir un jour qu'il fallait dire Alpaga. Alpaga et Bulldozer, ce n'était pas du tout la même chose qu'Alpaja et Bulldozer.

J'aurais bien appelé les chattes Ficelle et Boulotte, cela leur correspondait bien.

Il existe une rue de Montgeron à Draveil qui m'évoque Framboisy.

J'ai été déçue de ne pas pouvoir prendre le pseudo de "Mille pompons", déjà emprunté.

C'est avec Georges Chaulet que j'ai découvert qu'il était terrible d'avoir lu "tout" d'un auteur. Il faut toujours garder un livre non lu.


Non, je ne savais pas qu'il vivait encore. C'est le même cas que celui de Vladimir Volkoff.

séminaire 7 : Henri Raczymow

Ici les notes de sejan.

Henri Raczymow est l'auteur d'une biographie de Maurice Sachs, d'une de Charles Haas, le modèle de Swann, intitulée Cygne de Proust1 et de Bloom & Bloch, une variation sur les héros proustien et joycien2.

Son dernier livre s'appelle Reliques, ce qui convient mal, car c'est un mot chrétien. Il aurait fallu utiliser shmattès qui signifie les restes, ce qui reste, et qui vient de la famille de ??, qui veut dire le nom.%%% Ce livre commence par une photo prise avant ma naissance. Il s'agit d'une de scène de massacre prise en 1939 en Pologne, incompréhensible sans légende. L'exergue est tiré de wi>L'Amant de Marguerite Duras, qui dit qu'on écrit toujours sur le corps mort du monde et sur le corps mort de l'amour.
Le livre est composé de photographies d'éléments disparates choisis parce qu'ils parlaient à l'auteur. Ces éléments sont comme tirés des boîtes à biscuits représentés par Christian Boltanski (tableau qui illustre la couverture). Ce sont des boîtes à souvenirs. Il n'y a pas de logique mais des associations affectives qui se ramènent toutes à la période de la guerre (l'URSS, le parti communiste, la guerre d'Espagne) ou au camp.
Faire ce livre a été une façon d'enterrer ses morts. Plus on vieillit, plus on a de morts à traîner avec lesquels on ne vit pas forcément en paix.
Il s'agit de découvrir et de montrer comment la littérature peut parler de la vie, c'est à dire de l'amour, de la mort, de l'écriture.

Ecrire pour prendre pitié, parce qu'on prend pitié.

Charles Haas était un homme de plage. Un homme de plage, c'est ce que nous serons tous dans deux générations, quand plus personne ne saura qui nous étions en nous croisant sur des photographies. C'est l'homme inconnu sur les photographies de groupe, c'est l'homme qui intéresse Modiano.
Charles Haas aurait dû être préservé de l'effacement par Proust. Mais la littérature échoue à préserver et la figure et le nom. (Dans le cas de Haas, elle a donc préservé la figure).
La littérature ne conserve que les noms propres. Lire un livre, cela ressemble à visiter un cimetière (idée d'ailleurs confirmer par Proust).

Un rêve non interprété est comme un livre non lu, dit le Talmud.

Bartleby, le héros de Melville, est réputé avoir travaillé au bureau des lettres mortes. De même le livre renferme des noms ilisibles.

L'oubli: c'est la mort à l'œuvre dans la vie.
Modiano travaille dans l'espace de l'effacement. Dans ses livres, les adresses et les n° de téléphones sont réels mais devenus caducs. Il y a enquête à mener.

La vocation des photos de famille est la même que celle des livres : sauver les morts. Elles rencontrent le même échec.
Les lettres mortes de Bartleby seront finalement brûlées. Les photos de famille finiront vendues au poids dans les brocantes.

L'histoire sauve le collectif mais piétine les morts dans leur individualité. cf Ricœur.

Finalement, la seule entreprise qui vaille est celle de Serge Klasferd, son Mémorial des enfants juifs déportés de France, qui réussit à mettre en vis-à-vis les photos de milliers d'enfants avec leur nom.
La littérature est à l'histoire ce que le christianisme est au judaïsme, elle sauve l'individu plutôt que la communauté.



1 : Une critique par Michel Braudeau est disponible ici.
2 : Je découvre en vérifiant ces données qu'il est l'auteur de Dix jours polonais, qui est dans mes projets de lecture depuis qu'il est sorti.
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